Mexique : Le criminel le plus recherché de la planète arrêté
Alain RODIER
Le 22 février 2014, Joaquin « El Chapo » Guzman, le criminel le plus recherché de la planète et parrain du cartel de Sinaloa, a été appréhendé par les fusiliers-marins mexicains en coopération avec la Drug Enforcement Administration (DEA) américaine. Il a été arrêté à 6 heures du matin dans un complexe touristique de la station balnéaire de Mazatlan, au nord-ouest du Mexique. Guzman avait été repéré depuis fin 2013 et placé sous surveillance discrète. Depuis ces derniers jours, il se savait traqué par les autorités qui multipliaient les perquisitions. Au cours de ces opérations, 13 personnes ont été arrêtées et les autorités ont saisi 97 armes longues, 36 armes de poing, 2 lance-grenades, un lance-missile, 43 véhicules – dont 19 blindés – et 20 propriétés immobilières, dont quatre ranchs.
Joaquin « El Chapo » Guzman Loera, le criminel primé par Forbes
Joaquin « El Chapo » Guzman présente deux caractéristiques principales. En 2011, il était estimé comme la 1 140e fortune mondiale et la 55e personne la plus influente du monde par le magazine Forbes[1] et comme l'ennemi numéro un à Chicago, les autorités n'hésitant pas à le comparer à Al Capone. Il est vrai que Jose « Juanito » Mares Barragan, un de ses lieutenants, avait été arrêté dans cette ville en février 2013. Il représentait le cartel dans la région et a avoué à des agents spéciaux infiltrés que la drogue arrivait par avions privés dont les pilotes touchaient 10% du prix de la cargaison. Et pourtant, El Chapo est bien plus influent que son glorieux ancien Al Capone. D'ailleurs, sa tête venait d'être mise à prix pour 7 millions de dollars après avoir culminé pendant des années à 5 millions de dollars.
Né en 1954 (ou 1957 selon les sources) dans une famille de pauvres fermiers de l'Etat de Sinaloa, Guzman a 2 sœurs et 4 frères. Marié, il vivait dans la clandestinité la plus totale, non tant pour échapper aux autorités mais plutôt à ses ennemis qui ne rêvent que de le voir raide mort. Jugé comme implacable et extrêmement déterminé, il fait également preuve d'un véritable talent d'organisateur ce qui constitue vraisemblablement la clef de sa survie et de celle de son cartel. Il basait notamment son pouvoir sur la corruption, y consacrant plus de 10% de ses profits.
Arrêté une première fois le 9 juin 1993 au Guatemala, il a été condamné à 230 années de prison et devait être extradé vers les Etats-Unis. Mais les procédures étant extrêmement longues à l'époque, Guzman est parvenu à s'échapper le 19 janvier 2001 en soudoyant ses geôliers. Depuis, il restait introuvable. Les mauvaises langues prétendaient qu'il existerait un accord tacite entre lui et les autorités mexicaines. Ces dernières ne le pourchasseraient pas trop énergiquement et son cartel se garderait de s'en prendre directement à l'Etat. Mais, on ne prête qu'aux riches ! Une autre rumeur prétend qu'il aurait financé la campagne présidentielle d'Enrique Peña Nieto aujourd'hui à la tête de l'Etat. Ce dernier n'aurait pas montré la reconnaissance attendue en permettant son arrestation, ce qui rappelle ce qui s'est passé avec le clan Kennedy à l'égard de la mafia dans les années 1960. Il est à espérer que le président Nieto ne connaîtra pas le sort de son illustre prédécesseur.
Le cartel de Sinaloa
Guzman était à la tête du cartel le plus puissant du Mexique et d'Amérique latine, celui de Sinaloa. Il était secondé par le sinistrement célèbre Ismael « El Mayo » Zambada-Garcia. Ce cartel contrôle quasiment 20 des 32 Etats du pays, et tente de prendre pied dans les Etats de Durango, Guerrero, Michoacán et dans la ville touristique d'Acapulco, qui fut un temps une zone préservée où tous les truands pouvaient jouir d'un repos mérité en famille sans craindre d'être criblés de balles par leurs voisins. Cette époque est révolue, ce site enchanteur vanté par les tours opérateurs étant devenu un lieu d'affrontements comme les autres.
Le cartel de Sinaloa, qui est en constante expansion, a ouvert des représentations en Colombie, en Equateur, au Pérou, en Bolivie et en Argentine. Au Pérou, il a recruté des criminels colombiens, équatoriens et péruviens pour protéger les plantations de coca situées à la frontière équatorienne. En Colombie, c'est lui qui serait chargé des exportations à partir du port de Buenaventura et du golfe d'Uraba, via l'organisation de Cifuentes Villa qu'il contrôle et qui fournit la cocaïne qu'il commercialise ensuite. Ainsi, en avril 2013, un bateau de pêche est intercepté au large du port de Buenaventura. 59 sacs pour un total de 1 181 kilos de cocaïne sont découverts dans les réservoirs d'eau potable. Les 7 marins colombiens sont arrêtés. Mais la cargaison avait été inspectée avant son chargement par des membres du cartel de Sinaloa. Il est également présent aux Etats-Unis, en Afrique de l'Ouest et plus discrètement en Europe, particulièrement en Espagne, en Grande Bretagne et en France. Il assurerait un peu moins de la moitié du trafic de drogue transitant par le Mexique.
Le cartel de Sinaloa s'est allié à son ancien rival, le cartel du Golfe (CDG), en créant une organisation appelée la « Nouvelle Fédération » (ou « Fédération ») aussi dénommée les « cartels unis » ou encore le « cartel du Pacifique », de manière à s'opposer à ses adversaires les plus déterminés : les Zetas. Toutefois, un groupe a fait sécession en septembre 2012 pour se retourner contre lui. Ce nouveau groupuscule s'est appelé « La Corona ». Cela ne semble toutefois pas remettre en question sa primauté. En effet, le cartel de Sinaloa recrute de nombreux enfants pour les intégrer dans ses rangs. Outre le fait qu'ils sont facilement malléables, leur jeune âge leur permet d'échapper à des sanctions judiciaires quand ils sont arrêtés. Deux groupes spécifiques sont chargé du recrutement au sein même des écoles du pays : « Los Antrax » et « los Sanguinarios del M1 ». Des gangs de mineurs autonomes sont également liés au cartel de Sinaloa comme « Los Chapitos » dans les Etats de Nuevo Laredo et de Ciudad Juarez.
En dehors du trafic de cocaïne, d'héroïne et de majijuana qui lui sont familiers, le cartel s'est lancé dans la fabrication et la distribution de drogues synthétiques Les laboratoires sont situés dans l'Etat de Jalisco ainsi dans ce qui s'appelle désormais le « triangle d'or »[2] : les Etats de Sinaloa, Durango et Chihuahua.
Il est difficile de dire quelles vont être les conséquences de l'arrestation d'« El Chapo » Guzman. Généralement, quand un puissant parrain disparaît, les organisations criminelles concurrentes tentent d'en profiter pour prendre l'avantage. Ce devrait être le cas pour les Zetas qui sont en conflit frontal avec le cartel de Sinaloa pour le contrôle de nombreux territoires. D'autre part, il est possible que les sicarios du cartel de Sinaloa tentent de venger l'arrestation de leur leader en s'en prenant aux représentants de l'Etat et aux populations civiles. La violence qui est déjà endémique au Mexique devrait donc s'accroître dans les semaines et mois à venir. Il n'en reste pas moins qu'il s'agit là d'une grande victoire du gouvernement mexicain qui a fait tomber un des chefs historiques du crime organisé latino-américain. Il faut espérer qu'il ne s'échappera pas comme lors de sa précédente incarcération.