Mexique : le cartel de Sinaloa dans la tourmente
Alain RODIER
En janvier 2017, Joaquín « El Chapo » Guzmán, le célébrissime chef du cartel de Sinaloa a été incarcéré dans une prison de haute sécurité de Manhattan en attente de son procès1 après avoir été extradé vers les Etats-Unis. Selon la justice américaine, il aurait accumulé une fortune de 14 milliards de dollars en trente années d’activité en tant que baron de la drogue. Le département du Trésor américain estime pour sa part que le trafic de drogue à destination des Etats-Unis génère chaque année 64 milliards de dollars, ce qui tendrait à prouver que les gains d’El Chapo sont relativement modestes2. En réalité, si le cartel de Sinaloa est estimé comme « l’organisation de trafic de drogue la plus puissante du monde », il a toujours été concurrencé par nombre d’entités criminelles qui ont tendance à se multiplier au Mexique. Ce pays en compterait plus d’une quarantaine, dont neuf dominent le marché : Cartel de Sinaloa, du Golfe, de Juáres, de Tijuana, Jalisco – Nouvelle génération, les Zetas, les Chevaliers templiers, la Familia Michoacana, Beltrán-Leyva.
Il n’en reste pas moins que le pactole amassé par El Chapo attire bien des convoitises. Tout d’abord, Washington souhaite en récupérer une partie qu’il consacrerait à la construction du mur devant être érigé à la frontière mexicaine. Mexico qui lorgne aussi sur ce magot, ne l’entend pas de cette oreille et n’a pas l’intention de transférer le moindre peso à son grand voisin du nord. De toute façon, les fonds d’El Chapo restent aujourd’hui introuvables car ils n’apparaissent pas dans les canaux financiers officiels.
Dans le milieu criminel, l’arrestation de Guzman a entraîné une guerre interne au cartel pour en prendre la direction. Sachant que cette organisation n’a pas une structure pyramidale mais plutôt « en râteau », chacune de ses branches étant dotée d’une grande autonomie, de nombreux prétendants montent au créneau. Si les affrontements entre cartels en Amérique latine sont toujours sanglants, les guerres internes le sont plus encore car les protagonistes se connaissent généralement de longue date et les haines personnelles sont décuplées.
Un prétendant neutralisé
Le mardi 2 mai, une opération conjointe de la police et de l’armée a permis l’arrestation de Dámaso López – alias El Licenciado – , un des principaux caïds du cartel, dans un immeuble d’un quartier cossu de la banlieue de Mexico.
Dámaso López travaillait à l’origine pour l’administration pénitentiaire mexicaine. Il avait été le directeur adjoint de la prison de haute sécurité de Puente Grande, près de Guadalajara, dans l’Etat de Jalisco, où Joaquín Guzman était incarcéré suite à sa première arrestation en 1993. Après avoir considérablement amélioré ses conditions de vie en prison3, il avait fini par l’aider à s’échapper le 19 janvier 2001. López avait alors suivi El Chapo dans la clandestinité en devenant un des responsables du cartel. Pour le remercier de ses bons services, Guzman avait même nommé son fils, Dámazo López Serrano, comme l’un des responsables du groupe « Los Antrax » chargé de la protection et des assassinats pour le compte de la direction cartel. En conséquence, en 2013, Dámaso López avait été placé sur la liste des principaux trafiquants de drogue internationaux par le Département d’État américain.
El Chapo a de nouveau été arrêté le 22 février 2014, mais il est parvenu encore une fois à s’échapper le 11 juillet 2015, grâce à la complicité d’une partie du personnel pénitentiaire et à l’intervention de membres de son cartel qui ont creusé un tunnel de plus d’un kilomètre de long jusqu’à sa cellule. Il a été repris le 8 janvier 2016 et c’est à ce moment là que la guerre interne a débuté.
López a tenté de prendre le contrôle de l’organisation alors dirigée par la famille d’El Chapo. Ce dernier a eu trois épouses dont les deux premières (Alejandrina Maria Salazar Hernández et Griselda Guadalupe) sont soupçonnées avoir directement trempé dans ses affaires criminelles. Il est assez courant que les épouses de chefs criminels prennent le relais lorsque leur conjoint est incarcéré. Elles servent alors de courroie de transmission entre le prisonnier et l’extérieur. El Chapo a eu neuf enfants nés de ces trois unions et plusieurs de ses fils (surnommés « Los Chapitos ») ont été menacés – et même enlevés pour deux d’entre eux en août 2016 avant d’être libérés contre rançon – par les hommes de López. Le fait que le chef des gardes du corps des fils d’El Chapo, Francisco Javier Zazueta Rosales, ait été tué lors d’un affrontement avec les forces de l’ordre en avril de la même année n’est vraisemblablement pas étranger à ce curieux épisode. López n’a pas non plus hésité à attaquer la propriété de la mère de Guzmán dans l’Etat de Sinaloa en juin de la même année, ce qui est considéré comme un affront inacceptable, même dans le monde des organisations criminelles structurées.
Toutefois, il semble que López ne soit pas parvenu à ses fins, ce qui expliquerait sa présence à Mexico et non dans le fief du cartel. Il est possible il tentait de nouer de nouvelles alliances, vraisemblablement avec le cartel de Jalisco-Nouvelle génération, pour reprendre l’initiative.
*
Le cartel de Sinaloa est actuellement dirigé par Ismael « El Mayo » Zambada García et Rafael Caro Quintero4. Ce sont des truands à l’ancienne qui sont restés en dehors de la guerre qui a opposé López aux fils Guzman. Mais « El Mayo » est malade et dans l’incapacité d’exercer une réelle autorité. Les deux hommes sont concurrencés par les jeunes ambitieux ,qui n’ont pas leur expérience et qui sont prêts à tout pour faire valoir leurs ambitions. A terme, le cartel de Sinaloa pourrait exploser en de multiples factions qui se battraient pour le contrôle de territoires. Cela ne promet rien de bon pour l’avenir, car la violence devrait perdurer voire s’accroître au Mexique.
- Il est sous le coup de 17 charges criminelles mais ne risque pas la peine de mort car c’était une des conditions exigée par Mexico pour accorder son extradition. ↩
- Le magazine Forbes estimait la fortune d’El Chapo à un milliard de dollars en 2009, mais il a reconnu pouvoir s’être trompé tant les informations étaient difficiles à vérifier. ↩
- Dans la plupart des prisons latino-américaines, ce sont les détenus qui font la loi car leurs organisations corrompent les gardiens selon le vieil adage « plata o plomo » (de l’argent ou du plomb). ↩
- Ce dernier a rejoint le cartel en 2013 après sa libération de prison où il était enfermé depuis 1985. ↩