Mexique : évolution des organisations criminelles
Alain RODIER
Durant la première moitié de l'année 2011, les organisations criminelles transnationales (OCT) mexicaines ont poursuivi avec une brutalité extrême leurs guerres internes, mais aussi celles qu'elles mènent contre les autorités du pays. Le nombre des victimes depuis décembre 2006, date de l'arrivée au pouvoir du président Felipe Calderon, s'élèverait à environ 35 000 tués !
Or, la violence est encore montée d'un cran depuis le début de l'année.
- Des charniers contenant les corps de jeunes gens ont été découverts le long de la frontière américaine, au printemps. Il s'agit la plupart du temps de candidats à l'émigration vers les Etats-Unis. Les raisons de leur assassinat ne sont pas parfaitement connues. Certains auraient refusé d'être enrôlés de force par les Zetas.
- Des responsables politiques locaux, des représentants de la société civile, des membres des forces de sécurité et des journalistes ont été pris pour cibles par le crime organisé.
- La société nationale Petroleos Mexicanos (PEMEX) a fait l'objet de l'intérêt des cartels qui ont trouvé là un moyen supplémentaire de s'enrichir en se livrant à des vols d'hydrocarbures par siphonage de pipelines et détournements de camions citernes, grâce à des enlèvements d'employés ensuite libérés contre le versement de rançons et par extorsion de fonds (racket).
- Des voitures piégées ont explosé au milieu de la foule.
- Des jeunes ont été froidement abattus sur leurs lieux de loisir.
- Des centres de traitement de la toxicomanie ont été attaqués.
En fait, les OCT mexicaine utilisent maintenant l'arme du terrorisme intérieur, défiant ouvertement l'Etat qui se trouve dépassé par la violence souvent atroce des actes commis par les criminels. En effet, ces derniers n'hésitent pas à torturer leurs victimes avant de les assassiner, puis à se livrer à de véritables mises en scènes macabres comme le fait de démembrer ou de les décapiter. Cette horreur est destinée à impressionner les populations afin qu'elles ne soient pas tentées de coopérer avec les autorités. Parallèlement, les cartels jouant du chaud et du froid, fournissent une aide aux populations qu'ils maintiennent sous leur coupe. Ce rôle « social » de la criminalité est destiné à s'attirer les faveurs des gens qui se sentent abandonnés par le pouvoir dans l'incapacité d'assurer la mission régalienne qui est la sienne.
Les divisions des OCT mexicaines
Les guerres internes et les quelques succès policiers ont amené certains changements au sein de la hiérarchie des OCT mexicaines, qui peuvent être classées en deux blocs opposés.
D'un côté, un premier « bloc » regroupe les cartels de Sinaloa, du Golfe, de Tijuana et de Michoacana.
– le cartel de Sinaloa, dirigé par le légendaire Joaquin « El Chapo » Guzman et le non moins tristement célèbre Ismael « El Mayo » Zambada Garcia, est devenu l'organisation criminelle la plus puissante du Mexique.
Contrôlant déjà presque toute la moitié ouest du pays, ce cartel tente de prendre pied dans les Etats de Durango, Guerrero, Michoacan et Mexico. Il se bat actuellement férocement pour tenter de conquérir la ville touristique d'Acapulco.
Il s'est allié à son ancien rival, le cartel du Golfe, en créant une organisation appelée les « cartels unis », aussi dénommée la « nouvelle fédération », de manière à s'opposer à son adversaire le plus déterminé : les Zetas.
Il a étendu ses tentacules à l'étranger et en particulier en Colombie où il s'est allié avec l'organisation de Cifuentes Villa qui fournit la cocaïne qu'il commercialise ensuite. Il est présent aux Etats-Unis, en Afrique de l'Ouest et plus discrètement en Europe, particulièrement en Espagne, en Grande-Bretagne et en France. Il assurerait un peu moins de la moitié du trafic de drogue passant par le Mexique.
– Le cartel du Golfe qui a perdu la ville de Monterrey abandonnée aux Zetas, est néanmoins parvenu à préserver la région stratégique de Matamoros, qui présente l'avantage d'être une ville frontière avec les Etats-Unis mais aussi un port international permettant tous les trafics.
Son alliance avec le cartel de Sinaloa lui a également permis de conserver le contrôle de la ville de Reynosa. Cependant, ses chefs historiques, les frères Cardenas Guillen, sont hors jeu maintenant, Osiel ayant été extradé vers les Etats-Unis en 2007 – où il purge une peine non compressible de 25 ans de prison – et Antonio ayant été abattu le 5 novembre 2010 par les fusiliers marins mexicains. Ils auraient été remplacés par Jorge Eduardo Costilla Sanchez « El Coss », qui aurait toutefois du mal à s'imposer à la tête de cette organisation criminelle qui fut dans le passé la plus puissante du Mexique.
– Le cartel de Tijuana, dirigé aujourd'hui par Fernando « el Ingénio » Sanchez Arellano (neveu des frères et sœurs Arellano Felix, membres fondateurs du cartel d'où l'ancien nom d' « organisation Arellano Felix »), a été un des plus importants gangs du Mexique. En totale perte de vitesse en raison de nombreuses défections, il se retrouve de fait placé sous le contrôle du cartel de Sinaloa.
– La famille Michoacana a été démantelée après la mort de son chef charismatique Nazario « El màs Loco » Moreno Gonzales, tué par les forces de l'ordre en décembre 2010. Toutefois, un groupe se présentant comme les « Chevaliers templiers » aurait repris son héritage en mars 2011.
De l'autre côté, une coalition est emmenée par les Zetas, qui regroupent autour d'eux les cartels de Juarez, du Pacifique Sud, de Villareal et d'Acapulco.
– les Zetas. Si ces derniers commandés par Heriberto « El Lazca » Lazcano ont connu différents revers, ils ont néanmoins réussi à prendre possession des villes de Nuevo Laredo, Monterrey et du port de Vera Cruz.
Les anciens militaires d'élite qui constituaient l'ossature du mouvement commencent à se faire plus rares, obligeant les Zetas à embaucher de nouvelles recrues moins expérimentées sur le plan opérationnel, mais qui comblent cette lacune par une sauvagerie sans nom.
Les Zetas se sont alliés à leurs homologues guatémaltèques, les Kaibiles, ainsi qu'à des Maras (des gangs criminels ultra violents issus d'Amérique centrale) pour prendre le contrôle du trafic de drogue dans ce pays. Le nord du Guatemala est ainsi devenu un terrain d'action privilégié pour les Zetas, qui y ont étendu la violence qu'ils font régner au Mexique. Ainsi, le 16 mai, 27 cadavres décapités ont été retrouvés dans une ferme de San Andrès. Cette tuerie porterait leur signature.
– L'organisation Vicente Carillo Fuentes (du nom de son chef) ou cartel de Juarez est en perte de vitesse, ayant été obligée abandonner le contrôle d'importants territoires au profit de son ancien allié devenu aujourd'hui son principal ennemi : le cartel de Sinaloa.
Cette organisation ne serait plus présente que dans la région de Juarez où une guerre totale se poursuit. Le groupe armé les Aztecas, bras armé du cartel se retrouve opposé aux Doble A (Artistas Asesinos) et aux Mexicalos qui représentent le cartel de Sinaloa.
– Le cartel des frères Beltran Leyva rebaptisé le Cartel du Pacifique Sud (CPS) dirigé par Hector, le seul membre de la famille encore dans la nature, s'est allié aux Zetas pour lutter contre le cartel de Sinaloa et pour s'opposer à la prise d'Acapulco. Miné par les guerres intestines, ce cartel contrôle encore les routes de la cocaïne dans les Etats de Sinaloa, Durango, Sonora, Jalisco, Michoacán, Guerrero et Morelos.
– La faction Edgar Valdez Villareal (arrêté le 30 août 2010) est issue d'une scission avec le cartel des frères Beltran Leyva. En fait, c'est le groupe armé Los Negros qui a fait défection pour mener sa propre vie. Cette organisation à caractère paramilitaire, actuellement commandée par Carlos Montemayor « Alenjandro Garcia », entretient des relations avec des gangs situés aux Etats-Unis (MS-13, Mexican mafia) pour y assurer la distribution de la cocaïne.
– Une petite organisation est apparue à Acapulco sous le nom de Cartel indépendant d'Acapulco (CIDA). Son chef, Benjamin El Padrino Flores Reyes, a été arrêté au début mars 2011. Il a été remplacé par Moisés El Koreano Montero Alvarez.
La politique du tout sécuritaire prônée par le président Calderon n'a pas obtenu les résultats escomptés. Depuis 2006, la violence s'est accrue, la corruption des responsables politiques et des forces de l'ordre ne paraît pas avoir sensiblement diminué et les cartels tiennent en coupe réglée une partie du pays. Reste à savoir si le pouvoir avait d'autres choix à faire.
Les élections présidentielles de 2012 devraient dire si le peuple renouvelle sa confiance au parti du président sortant ou s'il décide de changer de gouvernance. Le problème réside dans le fait qu'une alternance politique n'apportera pas de solution miracle à ce cancer qui ronge le pays, d'autant que le problème du crime organisé est global et ne peut être combattu efficacement que par une coopération policière et judiciaire internationale. Il semble que ce temps n'est pas encore venu, chaque Etat mettant en avant des considérations politiques, économiques et d'ego national pour ne pas faire les sacrifices nécessaires.