Mer Rouge : entre défi sécuritaire et catastrophe environnementale
Alain CHARRET
Si le sujet est peu évoqué dans la presse occidentale, la situation en mer Rouge est loin d’être réglée. Ainsi cette semaine plusieurs incidents notables ont été relevés et en particulier le 31 août 2024. Les Houthis ont annoncé avoir frappé le porte-conteneur Groton dans le golfe d’Aden. Il faut savoir que ce même navire avait déjà été la cible des rebelles yéménites le 3 août dernier et avait dû se dérouter sur Djibouti pour réparer les dommages causés. Le 30 août, après avoir pris soin de couper son transpondeur AIS[1], le Groton quittait Djibouti pour les Émirats arabes unis. Visiblement cette mesure n’a pas suffi à dissimuler son départ, car quelques heures plus tard, il était de nouveau victime d’une frappe en provenance du Yémen.
Visiblement les Houthis ne se contentent pas de localiser leurs cibles à l’aide de l’AIS. De plus, ils ont mis en garde tous les navires naviguant en mer Rouge ou dans le golfe d’Aden qui coupent leur transpondeur ou encore « trichent » en diffusant de fausses informations. Au regard des derniers évènements, on peut que constater qu’ils bénéficient d’autres sources de renseignements que la simple exploitation des données AIS.
Comme on peut le voir ci-dessus certains navires n’hésitent pas à annoncer clairement leur absence de liens avec Israël espérant ainsi échapper aux attaques des rebelle (© www.marinetraffic.com)
De plus ces rebelles semblent pouvoir agir relativement librement et continuer à frapper leurs cibles malgré les opérations aériennes anglo-américaines annoncées régulièrement qui, en définitive, semblent avoir bien peu d’effet. Il en est de même pour les opérations EUNAVFOR Apsides, menée par l’Union européenne et Gardien de la prospérité, coalition dirigée par l’US Navy regroupant une coalition d’une vingtaine de pays. À part la destruction de quelques drones, elles ne sont vraiment utiles que pour porter secours aux équipages en détresse.
Selon le Joint Maritime Information Center ce sont au moins 94 incidents visant des navires de commerce dans la zone concernée qui ont été recensés depuis le 19 novembre 2023. Et les Houtis ne se limitent pas aux navires de commerce. Ils ont déjà tenté d’atteindre, souvent sans succès, des bâtiments de guerre. Il semble même qu’ils aient pris pour cible le porte-avions américain USS Dwight D. Eisenhower le 31 mai 2024. C’est en tout cas ce qu’ont revendiqué les rebelles yéménites. Si le Pentagone n’a fait aucun commentaire l’observation du trafic maritime et aéronautique en mer Rouge interroge. En effet, à partir de cette date le navire américain a rapidement quitté la zone pour s’éloigner du Yémen et regagner la Méditerranée via le canal de Suez. Il faut savoir que les navires militaires diffusent très rarement leur position via l’AIS. C’est bien sûr le cas des porte-avions. Cependant, il existe un autre moyen permettant de localiser ces derniers. Il suffit pour cela de suivre les mouvements de certains aéronefs embarqués. Il s’agit notamment des C2 Grumman qui effectuent au moins une rotation quotidienne. Dès que l’aéronef en question est en vol, il peut être suivi via les sites spécialisés tel que Flightradar24 grâce au transpondeur ADS-B[2]. On peut donc ainsi avoir une idée assez précise de la zone où opère le porte-avions.
Dans le cas présent les vols ont été interrompus pendant plus de cinq jours. Puis, après son transit par le canal de Suez et son entrée en Méditerranée l’US Navy a annoncé que dans le cadre d’une relève programmée le navire regagnait les États-Unis et serait remplacé par l’USS Theodore Roosevelt. À noter que ce dernier se trouvait à ce moment-là en escale en Corée du Sud. De plus on ne manquera pas de noter que si ce second porte-avions s’est bien ensuite dirigé vers le Moyen-Orient, il n’a pas rejoint la mer Rouge comme son prédécesseur, mais le golfe d’Oman. L’ensemble de ces éléments ont conduit certains analystes à penser que le pont de l’USS Eisenhower avait bien été touché et sans doute endommagé en partie ce qui avait interrompu momentanément les vols.
© Joint Maritime Information Center (combinedmaritimeforces.com)
Cette semaine une autre opération des Houthis auraient dû retenir l’attention. Il s’agit de l’explosion de plusieurs charges déposées par les rebelles yéménites sur le pont du pétrolier grec Sounion. Ce navire avait été la cible d’une première attaque le 21 août 2024 au large d’Hodeida et avait dû y jeter l’ancre avant d’évacuer son équipage. Ce sont maintenant 150 000 tonnes de brut qui risquent de se déverser en mer Rouge, ce qui serait une catastrophe environnementale d’une ampleur sans précédent.
[1] Le système automatique d’identification (AIS) des navires est un outil destiné à accroitre la sécurité de la navigation et l’efficacité de la gestion du trafic maritime.
[2]L’Automatic Dependent Surveillance-Broadcast est un système de surveillance coopératif pour le contrôle du trafic aérien et d’autres applications connexes.