Mali : point sur les forces rebelles
Alain RODIER
Début 2013, les forces rebelles du nord du Mali sont principalement constituées de trois grandes formations dont le point commun est la volonté de soumettre les populations qu'elles contrôlent à la loi islamique la plus sévère.
Bien que leur nombre soit difficile à évaluer, l'Union africaine estime qu'elles regroupent environ 6 500 activistes armés, sans compter les sympathisants (volontaires ou forcés) qui apportent localement une aide logistique. Ce chiffre est à rapprocher des estimations des effectifs d'Al-Qaida au Maghreb islamique (AQMI) fin 2011 : ils comptaient moins de 1 000 hommes !
Cette forte augmentation des effectifs s'explique par la déstabilisation que connaît la région depuis la chute de Kadhafi à l'automne 2011. En effet, les Touaregs maliens qui servaient au sein de l'armée libyenne sont rentrés au pays et ont lancé, début 2012, une insurrection sous la houlette du Mouvement national de libération de l'Azawad (MNLA). Des activistes islamique algériens ont alors appuyé le MNLA, ce qui a leur permis de prendre le contrôle du Nord-Mali. Puis, ces islamistes ont alors évincé les Touaregs jugés pas assez « intégristes » pour prendre leur place. Aujourd'hui, le MNLA ne représente plus une force combattante cohérente, une partie de ses membres ayant rejoint les islamistes.
Depuis, les mouvements djihadistes gèrent la zone, imposant partout la charia. Non seulement de nombreux volontaires étrangers ont rejoint ces groupes, mais les islamistes ont recruté sur place de nouveaux activistes. Enfin, la jonction a été faite avec des forces de la secte islamique nigériane Boko Haram qui a dépêché des activistes au Sahel.
Al-Qaida au Maghreb islamique (AQMI)
Le groupe le plus important se revendique d'Al-Qaida au Maghreb Islamique, héritier du Groupe salafiste pour la prédication et le combat (GSPC), lui-même descendant des Groupes islamiques armés (GIA). Cette formation est essentiellement composée d'Algériens, mais quelques étrangers sont venus compléter les effectifs. Installé, depuis longtemps dans l'Adras avec la relative bienveillance des autorités politiques maliennes précédentes, AQMI a su nouer des alliances avec des tribus bérabiches, notamment en contractant des mariages avec des filles de chefs de clans.
AQMI est théoriquement placé sous la coupe d'Abdelmalek Droukdel qui a son PC à l'est d'Alger. Ce dernier a désigné comme « émir du Sahara » pour la zone sahélienne (qui s'appelait auparavant « 9e région militaire ») l'Algérien Yahia Abou El Hammam Al Jezairy, de son vrai nom Djamal Okacha[1]. Il devrait coordonner les actions des différents groupes qui se revendiquent d'AQMI. Son influence réelle est actuellement inconnue.
Le groupe le plus important d'AQMI évoluant au Sahel est la katiba (compagnie) Al Fatihin, placée sous les ordres d'Abou Zeid, de sa vraie identité Mohamed Ghedir. Cet islamiste convaincu détient quatre otages français : Daniel Larribe, Thierry Dol, Pierre Legrand et Marc Ferret.
La seriyat (section) d'Amada Ag Hama – alias Abdelkrim Taleb – séquestre pour sa part Philippe Verdon et Serge Lazarevic. Son chef, Abdelkrim Taleb, a revendiqué dans le passé l'assassinat de Michel Germaneau.
Ces unités tiendraient la région de Tombouctou.
Djamal Okacha (à gauche) et Abou Zeid (à droite)
Mouvement pour l'unicité et le jihad en Afrique de l'Ouest (MUJAO)
Le MUJAO dirigé par Abdel Hakim depuis Gao détiendrait Alberto Rodriguez et trois diplomates algériens. L'année dernière, ce mouvement n'a pas hésité à assassiner le vice-consul algérien Tahar Touati qu'il avait également pris en otage.
Le MUJAO est essentiellement présent à Gao où le chef de la shurah (conseil) serait Abou al Walid al Sahrawi. A l'origine, ses activistes sont principalement des Mauritaniens qui se répartissent entre quatre katibas, dont une est dénommée Oussama Ben Laden[2].
Une nouvelle katiba Ansar al Sunnah a été récemment créée, chapeautant quatre seriyat respectivement dénommées « Abdullah Azzam », « Al Zarkawi », « Abou al Laith al Libi » et « Les volontaires au martyr. » Les membres de cette katiba seraient essentiellement des recrues locales issues des tribus Songhai.
A noter que le MUJAO a connu une défection importante fin 2012 : celle Abou Ali Al Ansari al Sahrawi qui a rejoint Ansar Dine avec la katibat Salahuddin.
Abdel Akim
Ansar Dine
Ansar Dine – de son nom exact Jum'a Ansar al-din al salafiya : le groupe des défenseurs salafistes de la religion – est emmené par Iyad Ag Ghaly – alias cheikh Abou Elfadel – un Touareg malien qui s'est « converti » à l'islam radical. Son cousin Abdelkrim Taleb, membre d'AQMI, n'est sans doute pas étranger à cette « conversion ». Personnage controversé, Iyad Ag Ghaly a engagé des négociations de paix fin 2012 mais les a rompu unilatéralement. C'est lui qui aurait déclenché le raid vers le Sud du Mali qui a provoqué l'intervention des forces françaises. Ses troupes sont essentiellement issues des tribus arabes, touarègues et songhaïs.
Oumar Ould Hamaha – alias « le barbu rouge » – a été longtemps présenté comme le chef opérationnel d'Ansar Dine, mais aussi comme le porte-parole du MUJAO. C'est lui qui a conquis Tombouctou l'année dernière, à la tête de troupes se réclamant d'Ansar Dine[3]. Finalement, il aurait créé fin 2012 sa propre katiba – Ansar al Charia – constituée d'Arabes bérabiches. Il serait en pointe de l'offensive déclenchée par Iyad Ag Ghaly avec l'appui du MUJAO et d'AQMI.
Iyad Ag Ghaly (à gauche) et Oumar Ould Hamaha (à droite)
Le cas Mokhtar Belmokhtar
Mokhtar Belmokhtar (MBM) – alias « Le borgne » ou « Mister Marlboro » – a quitté AQMI fin 2012 pour retrouver toute sa liberté. Il aurait rejoint le MUJAO, mais l'information n'est pas confirmée. Il reste l'homme incontournable de la région car son passé de contrebandier lui permet de s'approvisionner en armes, munitions, véhicules, pétrole et vivres auprès de ses réseaux.
Mokhtar Belmokhtar
Ansaru
Ansaru – de son nom exact Ansarul Muslimina Fi Biladi Sudan : « L'avant-garde pour la protection des musulmans en Afrique noire » – est vraisemblablement un groupe dissident de la secte Boko Haram. Il détiendrait le dernier otage français enlevé : Francis Collomp. Son chef serait Abou Ussamata Al Ansari.
Il semble que les différents mouvements djihadistes coordonnent maintenant leurs opérations avec un professionnalisme certain. Ils sont équipés de milliers de véhicules 4X4, de motos[4] et de quelques blindés à roues, d'origine soviétique. Ces véhicules sont souvent équipés de mitrailleuses lourdes de 14,5 mm. Les activistes sont surarmés, leurs matériels et munitions provenant des dépôts de l'armée libyenne. Ils pourraient détenir des missiles sol-air portable (Manpads) mais il n'est pas certain qu'ils puissent les mettre en œuvre correctement, par manque d'entraînement et défaut de maintenance. Par contre, ils manient bien les mitrailleuses anti-aériennes, ce qui rend tout vol à basse altitude problématique. La provenance des carburants nécessaires aux mouvements des colonnes reste mystérieuse.
En résumé, l'adversaire est nombreux, volontaire – voire fanatique -, aguerri – au moins en ce qui concerne l'encadrement – et très mobile. De plus, il connaît bien la menace qui pèse sur lui (les raids aériens) et prend les mesures nécessaires pour ne pas en être victime : convois éparpillés, camouflage à chaque arrêt, défense anti-aérienne en « boule de feu », etc.
- [1] Ce dernier commandait précédemment la seriyat (section) el Vourghane
- [2] Cette dernière est intervenue aux côtés de 300 combattants d'AQMI (lkatiba El Moulethemine) pour repousser l'attaque du MNLA dans la région de Gao, fin novembre 2012.
- [3] Ce mouvement est donc présent à Kidal et à Tombouctou.
- [4] Une partie des véhicules provient vraisemblablement du marché noir.