Mali : la situation de non droit s’éternise
Alain RODIER
La situation au Nord-Mali est en train de s'éterniser. Les forces islamiques étendent peu à peu leur emprise sur les agglomérations, s'étant notamment emparées de la localité de Douentza, le 1er septembre. Elles appliquent la loi islamique (la charia) pure et dure, interdisant le commerce d'alcool, la diffusion de musiques « impies » sur les chaînes de radio locales, veillent au respect des « bonnes mœurs », détruisent des sites patrimoine historique de la région – car ils sont jugés « blasphématoires » – et assurent la sécurité civile. Pour ce faire, elles n'hésitent pas à employer la violence la plus extrême en brûlant les commerces qui ne respectent pas leurs règles, en lapidant ou fouettant les couples non mariés, en coupant mains et pieds de voleurs pris sur le fait, etc.
De son côté, le fragile pouvoir du président de transition Dioncounda Traoré ne parvient pas à remettre un minimum d'ordre dans les administrations et en particulier au sein des forces armées. C'en est à un tel point qu'il a demandé fin août, après moult tergiversations, l'aide des forces de la CEDEAO (Communauté économique des Etats d'Afrique de l'Ouest) pour rétablir la souverainement de l'Etat au Nord du pays. Toutefois, ces dernières ne devront intervenir « en appui » de l'armée malienne que dans le nord du pays. C'est officiellement cette dernière qui devrait être chargée de la reconquête. Malheureusement, la décision du président de transition ne semble pas rencontrer l'adhésion de la totalité des militaires et en particulier, des anciens putschistes.
AQMI et ses filiales à la manœuvre
La situation dans le Nord du pays est totalement aux mains de mouvements qui dépendent, d'une manière ou d'une autre, d'Al-Qaida au Maghreb islamique (AQMI). Les deux principales katibas qui forment l'ossature de l'ancienne 9ee région militaire de l'ex-GSPC y sont présentes. Elles sont respectivement dirigées par Abid Hamadou – alias Abou Zeid[1] – (katiba Al Fatihîn) et Mokhtar Belmokhtar (katiba Al Moulathamoun). Abou Zeid a établi ses quartiers à Tombouctou et Belmokhtar à Gao. Il existe également d'autres unités de taille plus modeste appelées seriyats (unité combattante). La plus connue serait dirigée par Amada Ag Hama – alias Abdelkrim Taleb[2]. Il en existerait d'autres créées et dissoutes au gré des évènements. L'une s'appellerait la seriyat el Vourghane commandée par l'Algérien Yahia Abou El Hamam Al Jezairy (« l'Algérien ») qui a mené des actions terroristes en Mauritanie.
A gauche, Mokhtar Belmokhtar, alias « Mr Marlboro ».
A droite, Abdelmalek Droukdel, l'émir d'AQMI.
Le chef d'AQMI, Abdelmalek Droukdel a bien donné des instructions (« installer progressivement la charia au Nord-Mali »), mais nul ne sait vraiment s'il joue un rôle réel dans l'affaire. Son lieu de repli, situé à l'est l'Alger, est en effet bien éloigné du Mali. Cela est d'autant plus vrai que, Yahia Djouadi, son représentant, qui dirige officiellement la 9e région, a été remplacé comme « émir du Sahara » par Nabil Makloufi – alias Abou Alkama – qui occupait ce poste à titre transitoire. Mais, Makloufi a trouvé la mort dans un banal accident de voiture survenu au Nord-Mali, le 9 septembre. Son poste devrait revenir à un proche de Droukdel resté en Algérie pour des raisons de sécurité. Il aurait tout de même envoyé une mission de liaison de trois membres conduite par un de ses principaux adjoints, Abderrahmane Abou Ishak Essoufi, le chef de la commission juridique du Conseil consultatif (la Choura) d'AQMI. Mais les trois individus ont été interceptés par les forces algériennes à l'entrée du village de Berriane, dans la région de Ghardaïa, le 15 août 2012.
Le mouvement Ansar Dine veut l'établissement d'un Mali islamique appliquant strictement la charia. Son chef est Iyad Ag Ghali, un ancien rebelle touareg réputé pour son opportunisme. Il est d'ailleurs « bien connu des services », ayant servi de négociateur lors de plusieurs prises d'otages. Il s'est converti à l'islam extrémiste. A noter qu'un de ses cousins est Abdelkrim Taleb, un des chefs militaires d'AQMI ! Cette parenté ne serait pas étrangère à sa conversion à l'islam radical. Le chef militaire d'Ansar Dine est un certain Omar Hamaha. C'est lui qui a conquis Tombouctou. Toutefois, Ansar Dine reste aujourd'hui présent essentiellement à Kidal.
A gauche, Iyad Ag Ghali, le chef d'Ansar Dine.
A droite, Abdel Hakim, le chef du MUJAO.
Le MUJAO – Mouvement pour l'unicité et le jihad en Afrique de l'Ouest – d'Abdel Hakim, est soit–disant une branche dissidente d'AQMI. C'est ce mouvement qui semble être le plus actif sur le terrain. Il a enlevé sept personnels diplomatiques algériens, le 5 avril 2012 à Gao, avant d'en relâcher trois. Il a assassiné le vice-consul Tahar Touati fin août, car ses revendications n'avaient pas été satisfaites. Il s'agissait de la libération des trois responsables d'AQMI arrêtés le 15 août dans la région de Ghardaïa. Par contre, il a libéré trois otages européens enlevés à Tindouf car, dans ce cas, ses exigences avaient été acceptées (libération de trois islamistes et le paiement d'une rançon). Son PC est situé à Gao. Le porte-parole du MUJAO est Adnan Abou Walid Sahraoui, un ancien membre du Front Polisario.
A noter que l'appartenance d'activistes à tel ou tel mouvement est très fluide. Ainsi, certains responsables militaires disent dépendre d'AQMI tout en ayant des fonctions au sein d'Ansar Dine et du MUJAO ! Par ailleurs, les islamistes bénéficient de leur toute nouvelle notoriété pour recruter de nombreux activistes au sein de la population locale ou de celle des pays voisins. Il faut dire qu'ils ont reçu le renfort d'une centaine de combattants de la secte nigériane Boko Haram qui s'est installée à Gao où ils ont reçu le meilleur accueil du MUJAO. Ces volontaires sont aussi bien des Arabes, des Songhaï, des Peuls que des Touaregs qui ont déserté le MNLA sentant que leur intérêt était actuellement de rejoindre les islamistes. De nombreux combattants étrangers sont également présents dont des Algériens, des Saharaouis, des Tchadiens, des Sénégalais, etc. Parmi les Maliens se trouvent beaucoup d'anciens militaires qui ont servi en Libye – au sein des forces de Kadhafin – ou au Mali.
Cette ressource humaine, encombrante et difficile à gérer au début, constitue désormais une force de plus en plus redoutable. En effet, les nouvelles recrues subissent un entraînement militaire intensif et reçoivent des armes qui ont été dérobées en Libye ou achetées à Belmokhtar, dont la spécialité bien connue est la contrebande. Les financements ne semblent pas manquer. Ils proviennent traditionnellement des rançons, de différents trafics qui s'effectuent dans la zone saharo-sahélienne, en particulier celui de cocaïne colombienne mais aussi d'héroïne qui est parvenue par des voies détournées depuis l'Afghanistan et l'Extrême-Orient[3]. Plus curieusement, des représentants qataris seraient également présents sur zone pour apporter leur « aide humanitaire » aux populations. De nombreuses interrogations demeurent à propos du côté « humanitaire » de cette action. Il faut se souvenir que les forces spéciales du petit émirat ont été très actives en Libye… Il n'est pas exclu que l'on se retrouve en face du même processus.
Le MNLA en pleine déconfiture
Le Mouvement national de libération de l'Azawad (MNLA), qui avait lancé l'offensive contre les forces maliennes le 17 janvier 2012 et qui avait rapidement amené la chute des trois provinces du Nord – Kidal, Tombouctou et Gao -, s'est fait totalement dépasser par les islamistes. Après avoir tenté de négocier un accord avec Ansar Dine, le MNLA, dirigé par son secrétaire général, Bilal Ag Cherif et son président du bureau politique Mahmoud Ag Aghaly, a dû quitter les agglomérations pour se réfugier dans les collines de Zakake, au nord de Kidal. Le célèbre colonel Mohamed Ag Najem, qui a combattu dans les rangs de l'armée libyenne, se trouverait pour sa part dans la région d'Hassilabiad, proche de la frontière mauritanienne. Sans moyens financiers, les combattants se sont égayés dans la nature, notamment au Niger voisin.
En face de ces forces islamistes dont le nombre est actuellement impossible à évaluer mais qui se compteraient désormais au moins plusieurs milliers de combattants[4] dont certains sont déjà aguerris, il est légitime de se demander ce que peuvent vraiment faire les forces armées maliennes, même appuyées et soutenues par les 3 300 hommes de la CEDEAO. Cela est d'autant plus inquiétant que les islamistes sont surarmés[5], très mobiles et extrêmement motivés. Ils sentent la « victoire au bout du fusil ».
Des rumeurs laissent entendre que les drones de la CIA pourraient bientôt entrer en action. Il est vrai qu'ils ont démontré leur efficacité létale en zone AFPAK, au Yémen et en Somalie. Les cibles potentielles au Nord-Mali sont nombreuses et bien identifiées. Seul le feu vert de la Maison-Blanche est encore nécessaire.
- [1] Abou Zeid est le responsable de l'assassinat du Britannique Edwin Dyer, en juin 2009. Il détient encore quatre otages français d'Areva enlevés le 16 septembre 2010 au Niger : Daniel Larribe, Marc Feret, Thierry Dol et Pierre Legrand.
- [2] Abdelkrim Taleb détient Philippe Verdon et Serge Lazarevic, deux « géologues » français enlevés en novembre 2011, à Hombori, au Mali. C'est lui qui a revendiqué l'« exécution » de Michel Germaneau, en juillet 2010.
- [3] Il ne faut pas oublier ceux des êtres humains, des cigarettes, des véhicules, etc.
- [4] Les chiffres varient, mais celui de 6 000 est le plus souvent avancé. Il est toutefois très probable que les enrôlés de force ne montreront pas la même ardeur au combat que les islamistes purs et durs.
- [5] Ils possèdent notamment une bonne défense anti-aérienne avec des mitrailleuses lourdes et des missiles portables, ainsi que des missiles antichars. Certains véhicules blindés de type BTR 60 ont également été récupérés sur l'armée malienne.