Mali : la situation au Sahel, cause du coup d’Etat ?
Alain RODIER
Répartition des touaregs en Afrique
Un coup d'Etat a renversé, le 21 mars 2012, le président malien Amadou Toumani Touré (ATT). Il est le fait d'officiers subalternes, de sous-officiers et de militaires du rang emmenés par le capitaine Amadou Sango. Regroupés au sein du Comité national pour le redressement de la démocratie et de la restauration de l'Etat (CNRDRE), ils reprochent au pouvoir de ne pas avoir pris les bonnes décisions ni fourni les moyens nécessaires aux unités impliquées dans les combats qui se déroulent au Nord du pays, depuis le début de l'année.
La situation dans la zone saharo-sahélienne malienne
Depuis l'effondrement du régime libyen, le nord du Mali connaît un regain de violences qui pourrait amener à terme la perte du contrôle de cette région par Bamako.
Les forces rebelles
En effet, le Mouvement national de libération de l'Azawad (MNLA) mène d'intenses combats pour s'emparer des localités de Menaka, Aguelhoc, Tessalit et Anderamboukana. Début février, l'importante ville de Kidal, pourtant gardée par deux camps militaires était même menacée. Le MNLA est dirigé par l'ancien colonel de l'armée libyenne Ag Mohamed Najem[1]. Il comprend de plusieurs milliers de combattants touaregs de retour de Libye, qui ont rejoints des membres de tribus locales qui se sont soulevées.
Le MNLA possèderait ses bases arrières dans les provinces de Tigherghar et de Tin-Assalak. Il aurait été rejoint par des déserteurs de l'armée malienne, dont le colonel Ag Bamoussa et le lieutenant-colonel Ag Mbarek Aky. D'autres déserteurs et quelques 50 000 civils ont choisi de fuir vers les pays voisins pour s'y mettre en sécurité.
Les autorités maliennes soutiennent qu'Al-Qaida au Maghreb islamique (AQMI) appuie le MNLA, argument que nie farouchement Ag Mohammed Najem. Il assure même qu'après avoir obtenu l'indépendance du nord du pays (les trois provinces de Tombouctou, Gao et Kidal), il se retournera contre les fondamentalistes musulmans d'AQMI. En effet, il craint surtout que sous ce prétexte, des forces spéciales étrangères -françaises[2] et américaines – ne soient dépêchées sur place pour soutenir l'armée malienne, en particulier dans le domaine de la logistique, du renseignement et du guidage des appuis feu air-sol. Si cela devait se faire, ce serait contre l'avis d'Alger qui est farouchement opposé à toute intervention étrangère dans la région.
Toutefois, Iyad Ag Ghali, une figure historique des révoltes touaregs des années 1990 a créé son propre mouvement dont l'idéologie est clairement islamiste : le Jama Ansar dine (« Les défenseurs de l'islam »). Il réclame l'application stricte de la charia dans le nord du pays et déclare que le Nord-Est est déjà passé sous son influence. Les négociations qui avaient été engagées entre le Jama Ansar dine et le MNLA, destinées à unifier la rébellion, ont été rompues à la mi-mars.
Les forces gouvernementales
Les forces maliennes sont totalement dépassées par la tournure prise par les évènements, d'autant qu'elles connaissent de nombreuses désertions et un manque criant de moyens. Elles ont même été obligées de se retirer de certaines zones, faute de munitions. Ainsi, certaines localités sont tombées aux mains des rebelles – dont Aguelhoc et Tessalit – et des centaines de militaires y ont été faits prisonniers ou auraient été assassinés.
L'aviation tente bien d'intervenir pour disloquer les colonnes de rebelles qui croisent dans le désert. Toutefois, les 12 Mig-21MF Fishbed-J et les deux hélicoptères Mi-24D encore opérationnels au sein de l'armée de l'air malienne sont bien incapables de menacer sérieusement les forces du MNLA, surtout que ces dernières sont soupçonnées posséder des missiles sol-air portables provenant des arsenaux libyens. Cela rend les pilotes très précautionneux et la précision des tirs air-sol s'en ressent, devenant fortement aléatoire.
La situation est si confuse qu'Alger a décidé de suspendre la coopération militaire entretenue avec Bamako. Tous les instructeurs algériens présents dans le nord du Mali ont été rapatriés.
La situation confuse qui règne dans le nord du pays à l'heure actuelle devrait perdurer. En effet, les distances sont immenses et l'armée malienne n'a pas les moyens ni l'entraînement nécessaire pour faire face à cette nouvelle révolte qui dépasse en ampleur les précédentes (1990-1995 et 2007-2009).
Seules des négociations menées via des chefs de clans locaux peuvent encore sauver la mise. Mais les rebelles touaregs sentent qu'une victoire sur le terrain est à leur portée. Ils sont donc peu enclins à négocier, d'autant que nombre de promesses faites par le passé par les dirigeants en place à Bamako sont restées lettre morte.
Le coup d'Etat réprouvé par la communauté internationale ne va certainement pas améliorer la situation. Alors, l'Azawad va-t-il devenir le prochain Kosovo ?
- [1] Le colonel Ag Mohamed Najem, qui commandait une unité de l'armée libyenne à Sabha, dans le centre du pays, aurait déserté en juillet 2011. Il est le cousin d'Ibrahim Ag Bahanga qui dirigeait la dernière rébellion touareg de 2007-2009. Ce dernier est mort le 26 août 2011 dans des conditions non élucidées.
- [2] Un des porte-paroles du MNLA, Moussa Ag Acharatoumane, est réfugié en France.