Libye : le maréchal Haftar à la manœuvre
Alain RODIER
Le général Khalifa Haftar, qui a été élevé au grade de maréchal en septembre par la Chambre des représentants de Tobrouk, est en train de consolider sa position. Un tournant important est survenu à l’été 2016 lorsque les forces de l’Armée nationale libyenne (ANL), le bras armé de Tobrouk, se sont emparées des ports pétroliers d’El-Sidra, de Ras Lanuf, de Brega et de Zueitina en chassant la milice Petroleum Facilities Guard (PFG) d’Ibrahim el-Jadrane, fidèle au Gouvernement d’union nationale (GUN) de Fayez El-Sarraj. Ce dernier, qui siège à Tripoli n’est toujours pas reconnu par Tobrouk malgré sa légitimité internationale théorique. Il est d’ailleurs possible qu’il soit profondément remanié dans un proche avenir, El-Sarraj n’étant pas certain de conserver sa place en raison de ses résultats jugés comme décevants. Même le très respecté chef de la National Oil Corporation (NOC) libyenne, Mustafa Sanalah, a annoncé qu’il soutenait l’action du nouveau maréchal dans le « croissant » pétrolier. Depuis, les exportations ont repris, apportant de nouveaux financements à … Tobrouk !
Si le GUN est reconnu par les Etats-Unis, l’Union européenne, la Ligue arabe et l’Union africaine, le parlement de Tobrouk de son côté est soutenu par la Russie, l’Egypte et les Emirats arabes unis[1]. Khalifa Haftar s’est rendu par deux fois à Moscou cette année, cet été et fin novembre. Il a été reçu par les plus hautes autorités moscovites dont le patron du FSB, Nikolaï Patroushev. Autre fait symbolique, le 11 janvier 2017, il a été invité à visiter le porte-aéronefs Koutznetsov alors que ce navire passait à proximité de Tobrouk, suite à sa fin de mission menée au large de la Syrie. A l’évidence, Moscou, déjà très présent en Syrie et en Egypte, est en train d’avancer ses pions en Libye via le maréchal Haftar.
Les milices Fajr Libya (Aube de la Libye) de Misrata sont les seules forces qui soutiennent directement le GUN et assurent sa protection via la Garde présidentielle fraîchement crée à Tripoli. Après plusieurs mois de combats menés dans le cadre de l’opération Al-Bunyan Al-Marsous (« Structure solide ») destinée à combattre Daech, elles sont parvenues à reprendre la ville de Syrte. Epuisées, elles ont tout de même repris l’offensive pour tenter de contrer le maréchal Haftar. Par mesure de précaution, ce dernier a fait déployer des systèmes de défenses anti-aériens SA-9 dans la région de Ras Lanuf, les Fajr Libya étant équipées de MiG-23 MLD. Cette menace latente gêne considérablement les exportations de pétrole évoquées ci-dessus.
Offensives dans le sud-ouest de la Libye
Fin 2016, le général Haftar a entrepris de nettoyer le sud du pays des groupes et milices susceptibles de menacer la sécurité de la Libye ainsi que celle du Tchad. Cette opération a débuté par des frappes aériennes de MiG-21MF et MiG-23 ML décollant de la base aérienne de Ras Lanuf dirigées contre des positions dont certaines étaient tenues par Fajr Libya et par son allié, le Front pour l’alternance et la concorde au Tchad. Ces bombardements ont été suivis d’offensives au sol permettant à l’ANL de s’emparer de plusieurs lieux stratégiques. Un incident sérieux s’est alors produit sur la base aérienne de Joufra. A savoir qu’un Hercules C-130 (le seul présent en Libye) ayant à son bord des membres du Conseil militaire de Misrata a été touché au sol par un chasseur de l’ANL au motif qu’il transportait des armes. En réponse, les milices de Misrata ont dépêché des renforts pour la « 3e Force » de Misrata (stationnée dans le Fezzan depuis 2014) dans les régions de Joufra et de Sebha, en assurant aussi vouloir « sécuriser la zone ». La 12e brigade d’infanterie de l’ANL commandée par le colonel Mohamed Ben Nayel et formée essentiellement de tribus ayant soutenu Kadhafi, a pu contenir cette offensive. La situation est donc montée d’un cran au point d’inquiéter Martin Kobler, l’émissaire des Nations unies pour la Libye, qui a appelé toutes les parties « à faire preuve de retenue ».
La situation du sud-ouest libyen est compliquée par la présence ancestrales de tribus (Awlad Suleiman, Ghaddadfa, Toubous, Touaregs et autres) qui se livrent à de nombreuses activités criminelles dont la principale est la contrebande et le trafic d’êtres humains.
Des éléments de Daech qui ont quitté Syrte devant l’avance de Fajr Libya sont également présents sur zone, en particulier dans les régions de Bin Walid, Brak al-Shati et Sebha. Ils représentent une menace importante de déstabilisation de la région et risquent de pousser plus au sud. Haftar conscient du danger tente de les pourchasser et de détruire des camps d’entraînement qui auraient été ouverts dans le désert.
*
Toutefois, des tractations en coulisses auraient lieu entre les milices de Misrata et le parlement de Tobrouk pour tenter de normaliser autant que faire se peut la situation. En signe de bonne volonté, les milices Fajr Libya auraient coupé l’approvisionnement en armes et munitions de la Brigade de défense de Benghazi (BDB), une coalition de mouvements islamistes radicaux formée en juin 2016 qui s’oppose à l’ANL. Ces armes provenaient du dépôt de Tamina situé au sud de Misrata, dont les milices Fajr Libya se sont emparées le 10 décembre.
Par ailleurs, la Brigade 604 affiliée à des milices salafistes de Misrata est chargée de sécuriser Tamina. Cette unité serait assez favorable au maréchal Haftar qui tente d’étendre son influence sur cette ville dont le nouveau maire est un de ses proches.
L’Italie qui est le premier pays occidental à avoir rouvert son ambassade à Tripoli le 10 janvier 2017, s’active discrètement pour favoriser le rapprochement entre les milices de Misrata et le gouvernement de Tobrouk.
Il reste l’inconnue constituée par les milices qui ont fait allégeance au cheikh Sadiq al-Ghariani, le grand mufti de Libye. Il est très proche des Frères musulmans ete d’Al-Qaida « canal historique »…
Il n’en reste pas moins qu’un embargo sur les importations d’armes perdure et que le maréchal Haftar fait tout ce qu’il peut pour qu’il soit levé. En attendant, il se fournit sur le marché parallèle, vraisemblablement avec l’aide de Moscou.
[1] Qui maintiennent aussi des contacts avec le GUN mais qui soutiennent militairement l’ANL, en particulier à partir de la base aérienne d’Al-Khadim, située à une centaine de kilomètres de Benghazi.