Les insurges somaliens en passe de terroriser le monde !
Alain CHARRET
Le 14 septembre 2009 une opération des forces spéciales américaines, dans le sud de la Somalie, éliminait Saleh Ali Saleh Nabhan. Il était recherché par les services de Washington pour son implication présumée dans les attentats anti-israéliens de Mombasa, au Kenya, en 2002.
Trois jours plus tard, un double attentat suicide frappait le quartier général de la force de maintien de la paix de l'Union africaine dans la capitale somalienne. Revendiqué par Al-Shabaab, cet attentat faisait 21 victimes parmi lesquelles le commandant adjoint de l'AMISOM [1], le général burundais Juvenal Niyoyunguruza. La revendication précisait qu'il s'agissait d'une opération visant à venger l'assassinat par les militaires américains de Saleh Ali Saleh Nabhan. Les insurgés islamistes somaliens faisaient ainsi preuve d'une redoutable capacité de réaction.
La rapidité avec laquelle ces derniers ont pu monter une telle opération nécessitait d'importants moyens, tant financiers que logistiques. Selon un chercheur spécialisé sur les groupes islamistes, Al-Shabaab aurait notamment bénéficié de la complicité du ministre somalien de la Défense, Cheikh Yousouf Mohamed Siad. Ce dernier aurait vendu pour 50 000 dollars l'information concernant la tenue à l'aéroport de Mogadiscio de la réunion regroupant des responsables somaliens et le commandement de la mission de l'Union africaine.
Cheikh Yousouf Mohamed Siad, également connu sous le nom de Indha'adde, est un transfuge du Hizbul Islam dirigé par Cheikh Hassan Dahir Aweys. Ce dernier accusé, par les services américains d'être un membre d'Al-Qaïda, fait l'objet d'une fiche de recherche établie par Interpol. Avant de faire défection Indha'adde avait en charge la sécurité de Hizbul Islam. Il a officiellement quitté ce mouvement en mai 2009 pour rejoindre le gouvernement. C'est son implication présumée qui aurait justifié sa brève arrestation par les forces de sécurité ougandaises, le 6 octobre dernier, alors qu'il se trouvait à Kampala en voyage privé [2].
Des kamikazes de nationalité américaine
Au moins un des kamikazes ayant participé à l'attentat du 17 septembre aurait été un ressortissant américain qui résidait auparavant à Seattle. Au volant d'un des deux véhicules volés portant le sigle de l'ONU, il n'aurait eu aucune difficulté à se faire passer pour un officier des Nations unies, en particulier grâce à sa maîtrise de la langue anglaise.
Ce ne serait pas une première car, déjà, en octobre 2008, lors de la série d'attentats suicide qui avait frappé Hargeisa, au Somaliland, et Bossasso, une ville du nord-est de la Somalie, un des kamikazes était citoyen américain. Il s'agissait de Mohamed Shirwa, un ancien étudiant de Minneapolis âgé de 27 ans, qui est ainsi le premier cas connu de kamikaze en provenance des Etats-Unis.
Selon Robert Mueller, le directeur du FBI, plusieurs dizaines de ressortissants américains se trouveraient actuellement en Somalie afin de s'entraîner au djihad. Le camp d'entraînement baptisé Abou Souleim situé dans le sud du pays, compte, parmi ses instructeurs, un Américain qui se fait appeler Abou Mansour Al-Amriki. Celui-ci est né en mai 1984 en Alabama et son vrai nom est Omar Hammami. Il est apparu plusieurs fois sur des vidéos de propagande émanant d'Al-Shabaab.
Toujours selon le directeur du FBI, ce sont au moins 1 100 volontaires étrangers, parmi lesquels figurent des ressortissants de plusieurs pays européens, qui se trouveraient actuellement en Somalie. Le fait que ces combattants participent aux combats locaux est un élément confirmant la radicalisation du mouvement. Mais à moyen terme cela peut devenir une menace dépassant la Somalie et même l'Afrique. Il est effectivement à craindre que des Occidentaux endoctrinés par Al-Shabaab ne regagnent leurs pays d'origine dans le but d'y perpétrer des actes terroristes. Ce qui fait dire à Robert Mueller qu'Al-Shabaab représente une menace pour les États-Unis.
Al-Shabaab, une menace régionale
En effet, ce groupe, qui a officiellement prêté allégeance à Oussama Ben Laden en septembre 2009, n'hésite pas à menacer l'étranger. Il s'en est pris d'abord au Kenya, accusé de former les militaires des forces du gouvernement de transition [3]. Ensuite Al-Shabaab a menacé de frapper au cœur des capitales de l'Ouganda et du Burundi, en représailles à la participation des militaires de ces pays à l'AMISOM, considérée par les islamistes comme une force d'occupation [4]. Ces menaces sont à prendre très au sérieux compte tenu du savoir-faire de ces islamistes qui, ne l'oublions pas, sont liés à Al-Qaïda. Cette nébuleuse a déjà durement frappé le Kenya et la Tanzanie, en août 1998, lors des attaques contre les ambassades américaines à Nairobi et Dar Es-Salam. D'ailleurs ces attentats avaient été préparés en Somalie.
Un autre élément récent tend à confirmer une radicalisation du mouvement. Il s'agit de la destruction, le 19 octobre 2009, du tombeau du leader soufi cheikh Ali Cibar, leader d'un mouvement pourtant majoritaire chez les musulmans somaliens. C'est une indication supplémentaire qui tendrait à indiquer un renforcement de la présence de combattants étrangers en Somalie. Une action qui n'est pas sans rappeler la destruction des statues bouddhistes par les taliban afghans, au printemps 2001.
L'accroissement des zones d'opération des pirates somaliens
L'augmentation croissante des actes de piraterie maritime au large des côtes de Somalie – mais également bien plus loin, puisque certaines attaques de pirates somaliens se sont déroulées à plus de 700 milles marins des côtes – ajoute à la menace que fait peser sur le monde le chaos somalien. Car ces pirates ne se cantonnent plus aux eaux du golfe d'Aden ; ils sont en passe d'écumer une partie non négligeable de l'océan Indien. S'il n'est pas encore bien établi dans quelle mesure les insurgés islamistes – groupes mafieux ou terroristes – participent à ces actions, le risque croissant qu'ils font peser sur le trafic maritime international n'en est pas moins réel. Surtout que, d'une manière ou d'une autre, tout ou partie de l'argent des rançons est investi dans l'achat d'armes et munitions dont les groupes insurgés font une grande consommation.
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Plus que jamais la Somalie, privée de gouvernement central depuis 1991, présente toutes les caractéristiques d'un sanctuaire pour djihadistes. L'offensive en cours menée par les forces armées pakistanaises dans les zones tribales du nord-ouest du pays, qui semble mettre à mal les taliban et les combattants étrangers d'Al-Qaïda, pourrait encourager ceux-ci à quitter le Pakistan pour rejoindre la Somalie, d'où ils pourraient poursuivre leurs actions plus sereinement.
Alain Charret
Rédacteur en chef de Renseignor
Membre du comité de rédaction du journal Les nouvelles d'Addis
Chercheur associé au Centre Français de Recherche sur le Renseignement (CF2R)