Les groupes terroristes affiliés à Al-Qaeda au Pakistan
Alain RODIER
Traditionnellement, les mouvements violents sont nombreux et influents au Pakistan. Ils s'organisent autour de trois zones : le Cachemire, les Zones tribales et l'Afghanistan. Il est parfois difficile de s'y retrouver dans la multiplication des groupes, appellations et sigles qui varient au fil du temps, car les mouvements changent de nom au gré des circonstances.
Cachemire
- Le Jaish-e-Mohammad "l'Armée de Mahomet", fondé en 2000, interdit en 2002 ; fort de quelques centaines de militants, il mène la lutte au Cachemire. Son chef, Moulana Massoud Azhar, est soupçonné par New Delhi d'avoir commandité l'attaque du parlement indien en 2001. C'est l'un des groupes les plus actifs et les plus violents. Un de ses principaux responsables est Omar Naqashbandi. En outre, c'est ce mouvement qui aurait accueilli au Pakistan des responsables d'Al-Qaida (dont peut-être Bin Laden en personne) après le départ des taléban.
- Le Lashkar-e-Jhangvi (LeJ) aussi baptisé Harakat-ul-Djihad-Al-Islami (HuJI) est une faction dissidente du Harakat ul-Mujahidin, est désigné par les autorités comme l'un des plus dangereux mouvement terroriste sunnite. Ses liens avec Al-Qaeda sont avérés. Il serait le responsable des attentats contre les techniciens français de la DCN 1 le 8 mai 2002 et contre le consulat américain de Karachi le 14 juin 2002. Par trois fois, il a tenté de s'attaquer au Président Mousharaf : avril 2002, 14 et 21 décembre 2003. Dans deux de ces attentats, il n'a dû sa survie qu'à la technologie des brouilleurs américains embarqués à bord des voitures d'escorte qui ont déréglé les systèmes de mise à feu des engins explosifs. L'enlèvement suivi de la décapitation du journaliste américain Daniel Pearl le 23 janvier 2002 est également attribué à ce mouvement 2 . Ce mouvement est également réputé pour ses actions contre la minorité chiite du pays. Plus grave, il semble qu'il soit présent parmi les membres des services de sécurité pakistanais, en particulier au sein des services secrets (ISI).
- Le Harakat-ul Mudjahédine Al-Aalmi (HuM Al-Aalmi) est aussi un mouvement extrémiste sunnite qui coopèrerait avec le Lashkar-e-Jhanqvi. Ainsi, des terroristes des deux mouvements préparant des attentats suicide conjoints ont été arrêtés au début février 2005 à Karchi.
- Le Laskar e-Taïba (LET) (l'Armée du Pur), fondé dans les années 1985, est dirigé par le Docteur Hafiz Mohammed Sayed qui est l'une des vingt personnes les plus recherchées par Washington. Ce mouvement a tenté de s'en prendre au Président Mousharaf le 24 avril 2002 à l'aide d'un minibus piégé. Le 17 mars de la même année, il avait revendiqué l'attaque à la grenade d'un temple protestant à Islamabad. Après le départ des taléban, des dépôts d'armes appartenant à ce mouvement ont été trouvés en Afghanistan. Il est aujourd'hui interdit au Pakistan. Des militants appartenant à ce mouvement ont été découverts et condamnés en Virginie (Etats-Unis). Bien qu'officiellement dissout au début 2002, certains observateurs estiment que ce mouvement a pris le pas sur les autres au Cachemire indien. Son objectif serait d'étendre le djihad à l'Inde toute entière où vivent 200 millions de musulmans.
- L'Islami Tehreek e-Pakistan dont le chef, Sajid Ali Naqvi a été arrêté en novembre 2003.
- Le Umnah Tameer e-nau.
- Le Tehreek-ul-Mujahideen dont le chef Abdul Shafi Dar a été appréhendé par les autorités indiennes en décembre 2004.
- Le Kashmiri Harakat ul-Mujahidin (ex Harakat ul-Ansar), est dirigé par Sayed Salahudin, Farouk Kashmiri, Maulana Fazalur Rehman Khalil et Hafiz Mohammed Said.
- Le Tanzeemul Fuqra dont le chef Moubarak Ali Shah Gilani a été arrêté. Richard Reid, le terroriste aux chaussures piégées qui a tenté de faire exploser un avion d'American Airlines à la fin décembre 2001 est lié à cette organisation.
- Le Jaamat al-Islami dirigé par Syed Ali Shah Geilani et Abdulrashid Tourabi est responsable de l'attentat de New Delhi du 13 décembre 2001 et d'affrontements au Cachemire le 14 mai 2002. Sa branche armée serait le Hizb ul-Mujahidine.
- Le Muttahidda Majlis-e-Amal (MMA) est un mouvement politique dirigé par Qazi Hussein Ahmad qui regroupe six mouvements religieux très influents sur les Oulémas et actif sur la question du Cachemire. Bien qu'officiellement pacifique, cette alliance prône l'établissement d'un "démocratie islamique" et s'oppose au président Musharaf..
La lutte pour la "libération" du Cachemire sert de plus en plus de prétexte à l'objectif actuel de l'ensemble de ces mouvements : la chute du président Mousharaf, accusé d'être le valet de Washington. Il est remarquable de noter que ce dernier est un grand admirateur de Kémal Atatürk, créateur de la Turquie laïque.
Les zones tribales
Les zones tribales frontalières avec l'Afghanistan offrent un lieu de refuge sûr pour les membres d'Al-Qaeda, les mouvements associés, les taléban 3 et les islamistes de toutes obédiences. Ces régions (du Nord au Sud : Bajaur, Mohmand, Khyber, Orakzai, Kurram, Waziristan – c'est dans cette région que les Américains auraient localisé en 2004 Bin Laden 4 et les reste de son état-major -) sont tenues par des pachtounes sunnites et difficiles d'accès pour forces de sécurité. Les règles de base des tribus sont : l'hospitalité, la violence, le port des armes, le devoir de vengeance et le rachat des crimes par l'argent. Leur activité la plus lucrative est la contrebande à grande échelle.
L'Afghanistan
En Afghanistan voisin, Al-Qaeda a reçu officiellement le soutien de Gulbuddin Hekmatiar, ancien premier-ministre afghan, leader du mouvement fondamentaliste Hezb-i-islami, ce qui facilite encore plus les échanges entre les deux pays : drogue, armes, argent. Un des chefs de tribus les plus connus pour son irrédentisme et son soutien à Al-Qaeda est Nek Mohammed.
l semble désormais qu'Hekmatiar ait passé un accord opérationnel avec les taléban. L mollah Omar reste quant à lui introuvable mais il dirigerait la lutte de ses hommes contre le pouvoir du président Karzaï. Il a nommé un nouveau porte parole en la personne de Mohamed Yasir qui a pris la direction de la commission "information et culture".
L'Afghanistan, pays voisin où les islamistes avaient été éradiqué est d'ailleurs en train de refaire surface. Kaboul a été la cible de quatre attentats suicide en 2004. Des combattants étrangers ont été repérés à plusieurs reprises par les forces de la coalition. Des enlèvements sont commis régulièrement. Ainsi, Sayed Mohammed Akbar Agha, le dirigeant du "Jaish-ul-Muslimeen" (l'Armée des musulmans) a pris trois employés des Nations Unies en otages le 28 octobre 2004 avant de les relâcher le 23 novembre de la même année. Cette prise d'otages relativement courte et au dénouement heureux laisse penser à certains observateur qu'il s'agit en fait d'un enlèvement crapuleux effectué par un des nombreux groupes mafieux qui se développent actuellement en Afghanistan. Le même mouvement qui se présente comme une dissidence des taléban a appelé à la guerre sainte contre les occupants au début novembre 2004 et a mené quelques actions sporadiques peu significatives. Akbar Agha est ensuite passé au Pakistan où il a été appréhendé par les autorités dans la ville de Quetta le 11 décembre 2004. Il a été remplacé au début 2005 par Ishaq Mansour, un ancien responsable de la police des taléban. Les autorités s'attendent à ce que les actions contre les Occidentaux augmentent dans l'avenir : enlèvements voire des attentats.
Un des problèmes principaux présenté par l'Afghanistan est son retour sur le devant de la scène internationale en tant que pays producteur de drogue. Les estimations du bureau des drogue et du crime des Nations Unies font état d'une augmentation de 64% en 2004 par rapport à 2003 ! En 2004, l'Afghanistan a fourni presque 90% de l'opium produit dans le monde (4 500 tonnes). Nul doute que l'argent généré sert, entre autres, à financer les taléban et les réseaux terroristes liés à Al-Qaeda.
Il est vrai que des opérations spectaculaires des forces de sécurité pakistanaises ont eu lieu au Waziristan au début 2004, particulièrement dans la région de Wana. La fin 2004 a vu diminuer le nombre de militaires dans la région, les autorité déclarant avoir tué 300 activistes dont 100 étrangers, particulièrement des Ouzbeks, des Tchétchènes, des Tadjiks et des Afghans. 13 camps d'entraînement auraient été détruits et 45 tonnes de munitions saisies. Les forces pakistanaises auraient perdu plus de 200 hommes. Certains chefs de tribus auraient promis de ne plus "abriter" les terroristes islamique en échange … d'argent comme Baitullah Mehsud, une chef de tribu connu qui s'est rendu aux autorités avec 150 de ses hommes en février 2005. Le résultat s'est fait rapidement sentir. Des membres des tribus accusées par Al-Qaeda de "collaborer" avec le pouvoir ont été assassinés. Shahlam Khan, un politicien connu pour ses liens d'amitié avec le président afghan Hamid Karzai et dont le frère est ambassadeur au Qatar, a été abattu à Wana par des activistes encagoulés le 29 décembre 2004.
Il n'en reste pas moins que la région est loin d'être contrôlée hermétiquement par les forces pakistanaises. Le Waziristan est peuplé au nord par les tribus "Wazir" qui sont sédentaires et au sud par les "Mahsouds" qui sont semi-nomades. Un ancien prisonnier de Guantanamo renvoyé dans son pays a repris le combat dans la région. Il s'agit d'Abdullah Mehsud, recherché par toutes les forces de police locales. Il a été le responsable de l'enlèvement de techniciens chinois en octobre 2004. Selon les autorité, de 60 à 80 Djihadistes internationaux auraient migré à la fin 2004 plus au Nord dans les régions de Swat, Malakand et le haut et le bas Dir.
Karachi, mégapole impossible à contrôler entièrement par les forces de sécurité offre des possibilités intéressantes pour Al-Qaeda. Ses écoles coraniques constituent des viviers d'où seront extraits les futurs militants. Les nombreux moyens de transmissions modernes y sont présents : téléphones internationaux, cyber cafés, aéroport international pour les messagers … Le web est une des façons de communiquer avec les différentes cellules implantées à travers le monde. Aidé par des spécialistes, Bin Laden a créé un système de correspondance crypté et camouflé derrière des messages anodins. D'autres sites servent aux revendications d'attentats ou à diffuser se propagande 5 . Al-Qaeda se sert actuellement des sites sawt al-jihad, jehadonline.org et al-Mujahidine pour revendiquer des attentats. Les points de départ des messages sont généralement des cyber cafés utilisés à des heures de grande fréquentation. Bien sûr, les "transmetteurs" changent fréquemment de lieu d'émission. Le réseau utilise également les sociétés de messagerie rapide et de transferts financiers express.
Karachi est une des villes les plus criminelles du Monde. On y disparaît facilement sans laisser de traces, les trafics les plus intenses y ont lieu et le terroriste en herbe en mal de logistique peut y faire son marché : armes, explosifs, drogue …
Le problème majeur posé par le Pakistan, pays détenteur de l'arme nucléaire est : le pouvoir, actuellement proche des Etats-Unis, tiendra-t'il longtemps en place face aux coups de boutoir donnés par les fondamentalistes épaulés par Al-Qaeda ? En mars 2004, le Président Mousharaf est qualifié par Zawahiri de "traître et tueur de musulmans". Il se défend donc bec et ongles, sachant que sa survie même est en jeu.
Ainsi, en février 2003, le Général Mushaf Ali Mir, chef d'Etat-major de l'Armée de l'Air, ancien de l'ISI, connu pour son soutien à Al-Qaeda, disparaît dans un tragique accident d'avion.
Un fait prend forme en 2004 : l'attaque de la minorité chiite (20 % de la population à 97 % de religion musulmane) par des activistes sunnites. Ainsi, une bombe a explosé dans l'imambargah (mosquée chiite) voisine d'une des plus célèbres écoles coraniques de Karachi : la Sindh Madrassa Islam school le 7 mai 2004 faisant au moins 13 tués parmi les fidèles. Le complexe de Sindh Madrasa à Karachi compte une mosquée chiite et une sunnite. Il est le symbole de la fraternité entre les deux courants de l'islam. C'est à lui qu'ont voulu s'attaquer les extrémistes sunnites. Des émeutes anti-chiites ont également eu lieu et des responsables ont été attaqués comme Agha Ziauddin Moosavi, tué le 8 janvier 2005 à Gilgit.
Enfin, la démocratie commet également des erreurs. Abdullah Mehsudin qui a organisé l'enlèvement de deux ingénieurs chinois à la mi-octobre 2004 avait été libéré de la base de Guantanamo-Bay en mars de la même année.
Les autorités pakistanaises déclarent pour leur part avoir arrêtés plus de 600 membres d'Al-Qaeda.
- 1Omar Saîd Cheikh, Shahab-Uddin, alias Imram, Asif Zaheer, Mohammad Bashir, des auteurs de cet attentat ont été arrêtés.
- 2Omar Said Cheikh, le responsable de cette action, a été arrêté et condamné à la peine capitale. Deux autres activistes ont été appréhendés en avril 2004 : Malik Tasaddaq et un le 17 novembre 2004 : Asim Gafoor. Amjad Hussein Farooqi, un des principaux cerveaux de ces opérations dont la tête avait été mise à prix 330.000 dollars a été abattu le 26 septembre 2004.
- 3Outre le mollah Mohammad Omar, Kaboul pense que les zones tribales accueillent son adjoint Akhtar Mohammad Ousmani, le mollah Obaidullah, ancien ministre de la défense, le mollah unijambiste Dadullah, ancien chef des services de renseignement, le mollah Abdul Samad, le mollah Birabar, ancien responsable de la sécurité intérieure, le commandant Hafiz Mujeeb , Mohammed Mukhtar Mujahid, le porte-parole. Ils auraient fondé le "Rahbari choura" (consiel dirigeant) chargé de la lutte contre la coalition en Afghanistan.
- 4plus particulièrement dans le Waziristan sud, dans la région de Shawal.
- 5(il aurait notamment utilisé les sites "Azzam.com", "alsaha.fares.net", "muslm.net/cgi-bin/muslm.pl", "66.78.57.63/harb/index.htm" , "alneda.com". Deux nouveaux sites viennent d'apparaître en 2004 : la "voix du djihad" et "Al-Battar")