Les divisions internes de l’armée algérienne
Dr Abderrahmane MEKKAOUI (Maroc)
Politologue, spécialiste des questions sécuritaires et militaires. Membre du Collège des conseillers internationaux du CF2R.
Après l’opération « mains propres » initiée par le commandement de l’Armée nationale populaire (ANP) fin avril, début mai, tous les leaders des divers clans qui constituaient une menace sérieuse pour le commandement militaire ont été écartés.
L’oligarchie militaire actuelle est constituée de 22 généraux-major, dont le commandant de la gendarmerie, les six puissants chefs des régions militaires, les chefs de corps de l’état-major, de l’armée de l’air, de la défense aérienne, de la marine et de l’armée de terre. Sans oublier les sécuritaires représentés par le chef de la DCA sureté de l’armée dirigée par « Bob », Mohamed Gaidi, chef de la DSS, colonel Bouazza patron de la sécurité intérieure, et Mohamed Wassini de la sécurité extérieure.
Telle est la configuration du PC qui de facto dirige tous les autres pouvoirs, exécutif, judiciaire et économique. Le président intérimaire Abdelkader Bensalah et le chef du gouvernement, Noureddine Bedoui, , sont aux abonnés absents et se contentent de recevoir les injonctions du chef d’état-major, le général de corps d’armée Ahmed Gaïd Salah.
Après le douzième vendredi (mois d’avril) de protestation populaire massive, le peuple algérien a interpellé directement le chef d’état-major, le considérant comme le véritable chef de « l’association de malfaiteurs » qu’il a lui-même dénoncée… Lesoulèvement (hirak)a également fustigé une justice expéditive qui prend la forme de véritables règlements de compte entre clans politiques et militaires. Les fissures commencent à se faire jour et poussent à la surface trois noyaux durs. Les vieux généraux-major ayant profité du système s’inquiètent de voir l’opération d’assainissement se rapprocher d’eux pour les happer dans son engrenage, chacun parmi eux parrainant un ou plusieurs hommes d’affaires, disposant d’un ou plusieurs ports-secs réservés aux militaires et sans présence douanière, sans compter la multiplicité de leurs relais parmi les hommes politiques et médiatiques, et de leurs affidés parmi les walis et chefs de Daira.
Ces vieux briscards poussent Gaïd Salah à ne pas céder aux exigences du hirak et aux revendications de la population en maintenant intacte la feuille de route qui conduit à la présidentielle du 4 juillet 2019. Une opération qui consisterait, en fait, en un recyclage du système, en coupant toutes les branches mortes qui ne sont autres que leurs adversaires. L’exemple du maréchal Al-Sissi en Egypte est appelé à être dupliqué par les anciens généraux qui trainent derrière eux de nombreuses casseroles. Déjà, le général Ghali Belkssir, commandant de la gendarmerie, dénoncé pour ses excès et sa corruption par la population, a demandé à ses collègues d’épargner l’ex-ministre de la Justice, Tayeb Louh qui avait des ambitions présidentielles.
L’autre partie des généraux, minoritaire, essaie de limiter la panique qui s’est emparée des « vieux » et propose des scenarii politiques beaucoup plus adaptés à la situation de crise que traverse le pays. Mais ils ne disposent pas de pouvoir de décision au sein du conclave. L’impasse et la lutte générationnelle au sein du commandement sont perceptibles à travers les communiqués et discours de Gaïd Salah. Plusieurs observateurs occidentaux s’inquiètent de cette tension militaire au sein de l’état-major algérien et n’excluent pas le sacrifice des généraux « parrains » pour sauver la situation et éviter à l’Algérie la radicalisation du mouvement populaire.
L’autre dossier brûlant qui ébranle l’état-major de l’ANP est lié, lui, à la transaction colossale passée par le groupe américain Anadarko (filiale de Chevron) et le français Total, concernant la concession d’un grand gisement pétrolier et gazier à Elisi, dans le sud-est algérien. Passée sans le consentement d’une partie de la haute hiérarchie militaire occupée à gérer la crise, cette transaction entre les deux géants, d’un montant de 8,8 milliards de dollars, n’a pas donné l’occasion à l’Algérie d’appliquer son droit de préemption. Les généraux récemment promus accusent leurs aînés d’avoir avalisé cette opération profitable à la France en échange de la validation de la feuille de route de Gaïd Salah. Même les Saoudiens et les Emiratis ont laissé faire les deux géants des hydrocarbures. Force est de constater que Total aura, en plus du pétrole et du gaz de cette région, un océan de gaz de schiste évalué à plusieurs milliards de mètres cubes et une nappe phréatique dont les eaux s’étendent au-delà des frontières algériennes jusqu’en Libye, à Sebha.
Ces enjeux rappellent que les exportations de l’Algérie sont à 98% constitués d’hydrocarbures. Total a une autre ambition : racheter toutes les parts des autres gisements exploités par les Italiens et les Espagnols. Le monopole recherché par la société française inquiète les économistes algériens qui prévoient une crise majeure de l’économie algérienne en 2020.
En conclusion, l’incarcération du général Hossein Benhdid, suivie de celle de Louisa Hanoune, Secrétaire générale du Parti du Travail, ne sont que les symptômes de cette fracture qui secoue le commandement général de l’ANP. Un séisme qui risque de déboucher sur l’irréparable.