Le tourisme, cible des attentats du Caire d’avril 2005
Alain RODIER
Le mois d’avril 2005 a été marqué, au Caire, par une série d’attentats visant délibérément des cibles touristiques. L’explosion qui a eu lieu, le 7 avril, au sein du bazar de Khan al-Khalili au Caire, a causé la mort de deux Français, d’un Américain et a fait 18 blessés. Le 30 avril, un kamikaze se jette du haut d’un pont place Abdel Moneim Riyad, derrière le musée du Caire. Dans la déflagration qu’il déclenche, il se tue et blesse sept personnes dont un couple d’Israéliens, un Suédois, une Italienne et trois Egyptiens. Environ une heure plus tard, deux jeunes femmes vêtues du traditionnel voile noir des intégristes, tirent sur un bus transportant une quarantaine de touristes israéliens dans le quartier très fréquenté de Sayyeda Aïcha, près des grandes mosquées d’Al-Rifaï et de Sultan Hassan. Elles trouveront toutes les deux la mort dans cette action qui n’a pas fait d’autres victimes.
L’attentat du 7 avril
L’auteur de l’attentat du 7 avril, lui-même déchiqueté lors de l’explosion de la charge qu’il transportait sur sa mobylette, a été identifié comme étant Hassan Reffat Ahmed Bishandi, un jeune Egyptien de 18 ans. Il était élève ingénieur à l’université de Zagazig, au Caire.
La bombe était confectionnée avec des explosifs provenant de composants de feux d’artifice auxquels étaient ajoutés des clous et des pièces métalliques destinés à faire de nombreuses victimes. La mise à feu aurait été accidentelle, vraisemblablement causée par un mauvais réglage de la minuterie. Une autre hypothèse est que l’artificier du réseau, ait réglé intentionnellement la bombe cinq minutes plus tôt que prévu sans le dire à Bishandi qui n’avait pas une âme de commando suicide.
La police a tout de même arrêté et interrogé environ 30 personnes, dont 20 de la famille du terroriste. Elle a trouvé à son domicile des CD-Rom contenant des informations expliquant comment composer une bombe artisanale, ainsi que des messages issus de mouvements islamiques extrémistes. Il semble que le poseur de bombe agissait avec quelques complices, dont neuf sont toujours en détention. Parmi eux, Akram Mohamed Fawzi, vraisemblablement le leader du groupe et l’artificier du réseau, aurait fourni les CD-Rom saisis chez Bishandi. Ashraf Said Youssef, un des membres de ce réseau, arrêté en cette occasion, est mort en détention.
Les attentats du 30 avril
Les attentats du 30 avril, vraisemblablement commis par le même groupe, étaient deux actes coordonnés. Les terroristes qui ont trouvé la mort ce jour-là étaient tous liés à Ashraf Said. Par leur geste, ils ont sans doute voulu venger la mort de leur compagnon qu’ils supposent décédé sous la torture.
Ihab Yousuri Yacine, le kamikaze de 45 ans qui s’est jeté du haut d’un pont sur des touristes, avant de faire détonner la charge artisanale qu’il avait sur lui, était déjà poursuivi par les forces de sécurité. Il était recherché par la police vraisemblablement après avoir été dénoncé par Ashraf Said.
Nagat Yousuri Yacine, l’une des deux jeunes femmes terroristes, âgée de 22 ans était sa sœur ; l’autre, Imane Ibrahim Khamis, âgée de seulement 19 ans, était son épouse. Les deux femmes suivaient le bus dans une voiture conduite par une troisième personne. Elles ont profité d’un embouteillage pour descendre du véhicule et tirer, avec des armes de poing, dans la direction du bus. Imane a ensuite tué sa belle-sœur avant de retourner l’arme contre elle.
Il est préoccupant de noter que c’est la première fois qu’en Egypte, des femmes sont impliquées directement dans un attentat terroriste. Elle rejoignent ainsi la cohorte des fameuses « veuves noires » palestiniennes ou tchétchènes. Un bout de papier a été trouvé dans le sac d’une des deux kamikaze sur lequel il était écrit : « nous continuerons à sacrifier nos vies pour en sauver d’autres ».
Les autorités craignent que d’autres membres du groupuscule soient encore dans la nature. Le conducteur du véhicule qui transportait les deux femmes pourrait être le frère de Ihab Yousuri Yacine, prénommé Mohamed, âgé de 17 ans. La police le soupçonne d’avoir participé à la confection de la charge explosive et d’avoir acheté les deux armes de poing sur le marché parallèle. Il a été interpellé en Libye et extradé vers l’Egypte le 8 mai. Il se cachait grâce à la complicité d’un compatriote employé comme cuisinier dans un hôtel.
Le tourisme, cible délibérée des terroristes
Toutes les autorités religieuses égyptiennes, y compris les responsables des Frères musulmans (organisation interdite mais « tolérée » en Egypte), ont condamné ces attentats.
Les récents attentats semblent être l’œuvre d’un groupe de nouveaux terroristes islamiques ayant peu de liens avec la génération précédente. A l’évidence, leur objectif est de nuire à l’économie égyptienne en s’attaquant à des touristes étrangers.
Toutefois, la localisation des attentats du 30 avril semble due au hasard. Dans le premier cas, le kamikaze s’est fait exploser alors qu’il allait être appréhendé par la police. Dans le deuxième cas, c’est à l’occasion d’un arrêt du bus dû à un embouteillage, chose fréquente au Caire, que l’action a été déclenchée. Par contre, dans les deux cas, la volonté de passer à l’action était réelle. Le peu de victimes s’explique par l’amateurisme des exécutants.
En effet, en raison de la composition rudimentaire et artisanale des charges employées, de la vétusté des armes utilisées contre le bus de tourisme, et du jeune âge de la plupart des terroristes, les enquêteurs pensent qu’il ne s’agit pas d’opérations lancées par une cellule structurée obéissant à des commanditaires nationaux ou étrangers de « l’ancienne génération ». En conséquence, aucun lien opérationnel ne peut être fait avec la nébuleuse Al-Qaida. Bien que deux revendications soient parvenues aux autorités, l’une émanant des « Brigades d’Abdullah Azzam » 1 , l’autre d’un groupe qui se nomme « Al-Qaida au pays du Nil », il semble que l’organisation soit purement locale, originaire des villages du district de Shubra au nord du Caire. Les exécutants ne semblent pas avoir suivi de préparation ou d’entraînement préalable, ce qui explique le relatif échec de ces opérations qui auraient pu être beaucoup plus meurtrières s’il s’était agi de djihadistes chevronnés, comme en Irak.
Les attentats précédents ayant eu lieu en Egypte ont toujours eu des répercutions importantes sur le tourisme, une des activités les plus lucratives pour l’économie du pays. Ainsi, le 7 octobre 2004, les attaques à la voiture piégée contre l’hôtel Hilton et un camping de Ras Shitan (Sinaï) qui avaient causé la mort de 34 personnes dont dix Israéliens 2 avaient fait fuir l’ensemble des touristes résidants dans la zone. Surtout, les attentats du 18 septembre 1997, devant le musée égyptien du Caire, qui avaient occasionné la mort de 9 touristes allemands et de leur chauffeur de car 3 , et celui du 17 novembre 1997, sur le site de Louxor au cours duquel 58 touristes étrangers et quatre Egyptiens avaient été tués 4 , avaient plongé l’industrie touristique dans un marasme catastrophique dont le pays a mis des années à se relever. En 2004, huit millions de touristes ont visité l’Egypte. Ce pays reste donc une cible privilégiée pour les fondamentalistes musulmans, qu’ils soient « indépendants » ou sous la tutelle de mouvements extrémistes.
- 1Abdullah Azzam avait été l’un des professeurs en religion d’Oussama Bin Laden à Djedda. Il a créé le Bureau des services aux moudjahidines arabes (Makhtab Al Khidamat al Muudjahidine al-Arab – MAK) qui était chargé de recruter des combattants arabes internationalistes pour lutter contre les Soviétiques en Afghanistan. Bin Laden l’a rejoint en 1988, mais la lune de miel a duré moins d’un an. Azzam est décédé avec ses deux fils lors d’un attentat à la bombe le 29 novembre 1989. Certains pensent qu’Oussama Bin Laden n’est pas étranger à cette « disparition », car il est alors devenu le seul leader de l’organisation qui sera appelée par la suite Al-Qaida.
- 2Sur les 10 militants responsables de ces attentats, 5 ont été arrêtés, 3 sont morts et 2 se sont échappés.
- 3Les deux auteurs avaient été arrêtés, jugés et pendus.
- 4Six assaillants avaient été abattus par la police lors de cette opération.