Le Pérou, pays perdu ?
Alain RODIER
Le Pérou dirigé depuis juin 2006 par le social-démocrate Alan Garcia1 est considéré par Washington comme un « pays perdu » depuis le fin des années 1980 ; c’est à dire qu’il est aux mains des trafiquants sans espoir de retour à court ou moyen terme. Les producteurs de coca appelés comme dans le reste de l’Amérique latine, les « cocaleros » n’hésitent pas à déclencher des grèves et autres manifestations violentes quand le gouvernement prend des mesures jugées trop « répressives » à leur égard. Cette situation sociale explosive également provoquée par le fait que la moitié de la population vit en dessous du seuil de pauvreté fait que le gouvernement est dans l’impossibilité de proposer toute alternative viable aux cocaleros. Ses efforts pour éradiquer le trafic de drogue n’apportent en conséquence que de très maigres résultats.
De plus, la corruption est massive. Un exemple, l’ancien chef des services secrets péruviens : Vladimoro Montesinos, proche conseiller du président Alberto Fujimori (lui-même en fuite), surnommé le « Raspoutine des Andes », a été condamné pour corruption, blanchiment d’argent de la drogue trafic d’armes, trafic d’influence et meurtre… Lorsqu’il dirigeait les services secrets péruviens, il avait toute la confiance de Washington ! Le comble est qu’il a fait livrer aux Forces armées révolutionnaires de Colombie (FARC) plus de 2 000 fusils d’assaut qui provenaient de Jordanie. Il semble que son réseau de trafic d’armes à destination des FARC n’ait pas été complètement démantelé car la police a encore arrêté en septembre 2006 à Lima des trafiquants qui s’apprêtaient à livrer des munitions et surtout, cinq missiles anti-aériens portables à ce mouvement considéré comme narco-terroriste. Lors de ces opérations répressives, il n’est pas rare de découvrir des policiers et des militaires « ripoux ».
Trafic de drogue et Kidnapping
La compagnie aérienne Nuevo Continente2 a servi de couverture pour se livrer au transport de la drogue. En effet, son fondateur Fernando Zevallos Gonzales a été condamné en décembre 2005 à vingt années d’emprisonnement pour trafic de stupéfiants3. Gonzales est une des figures du gang des « Norteños » dont les frères Tito, Manuel et Jorge Lopez Paredes sont également des responsables importants.
La production du pays en drogues diverses, mais plus particulièrement en cocaïne, devrait s’accroître notablement dans les cinq prochaines années. Les zones de cultures principales se trouvent dans la vallée d’Huallaga et à San Gaban dans le département de Puno. Au total, 38 000 hectares de coca et d’un peu d’opium seraient cultivés par 45 000 familles, soit moins de 1% des 27 millions de Péruviens. Les cocaleros ne sont pas organisés en cartels comme en Colombie ou au Mexique mais en petits groupes indépendants dont certains ont développé des laboratoires de transformation. Ils reçoivent l’appui d’activistes du mouvement révolutionnaire Sendero Luminoso (Sentier lumineux/SL). La drogue quitte le pays par voie maritime (70 % de la production4), aérienne, terrestre et fluviale. Les destinations principales sont le Mexique, la Bolivie, le Brésil, la Colombie, l’Equateur et le Chili où la marchandise est achetée par des cartels étrangers (principalement les Mexicains et dans une moindre mesure par les Colombiens) qui se chargent de l’acheminer vers les Etats-Unis et l’Europe. Cependant, quelques cas de « mules humaines5 » et de drogue envoyée par colis postal en Europe directement depuis le Pérou ont été signalés.
Le Pérou développe également l’industrie du Kidnapping à grande échelle, particulièrement dans la région de Lima. Des étrangers, mais aussi de riches Péruviens, sont la cible des kidnappeurs. Des gangs se sont spécialisés dans ce type d’activité comme celui de Johny Vasquez Carty qui purge une peine de prison au sein du pénitencier de Piedras Gordas à Lima. Cela ne l’empêche pas de continuer à diriger son organisation depuis sa cellule. Jose Gamboa, le gouverneur de cet établissement pénitentiaire a été arrêté en juin 2006 en raison des « facilités » qu’il accordait à Vasquez Carty et à d’autres criminels endurcis.
Des faux monnayeurs ont par ailleurs réalisé, début 2005, d’excellentes copies de billets de 100 dollars et en ont inondé l’Equateur, le Venezuela et le Chili.
Les succès limités de forces de sécurité
Cependant, les forces de sécurité ont connu quelques succès significatifs dans la lutte contre le crime dont l’arrestation en 1992 d’Abimael Guzman Reynoso alias le « président Gonzalo », le chef du mouvement narco-terroriste Sendero Luminoso puis, à la fin 2004, d’un des principaux leaders du mouvement : Alejandro Aguilar Yanac alias « camarade Leandro ». Ce mouvement, responsable de la mort ou de la disparition d’environ 37 000 personnes, a perdu beaucoup de son influence. Il compterait encore quelques centaines activistes qui obligent le gouvernement du président Alan Garcia, élu en juin 2006, à maintenir l’état d’exception dans les provinces de Ayacucho, Apurimac, Cusco, Huancavelica, Junin et Huanuco. Guzman et sa compagne et adjointe Elena Iparraguirre ont été condamnés à la réclusion à perpétuité le 13 octobre 2006. Ce qui reste du Sendero Luminoso ne survit que grâce à l’apport de revenus tirés du trafic de drogue.
Victor Polay Campos, le chef du « mouvement révolutionnaire « Tupac Amaru » actif dans des régions reculées comme la vallée Huallaga a été condamné à 32 années de prison en mars 2006. Il avait été appréhendé en 1992. Ce mouvement s’était rendu célèbre lors de l’invasion de la résidence de l’ambassadeur du Japon fin 1996 – début 1997 (l’occupation avait duré quatre mois).
Globalement, l’insécurité est telle que le gouvernement a décidé en juin 2005 de réarmer des milices d’autodéfense dans les départements d’Ayacucho, d’Huancavelica et de Cuzco au Sud du pays. Ces hommes, au nombre d’environ 94 000 sont appelés les « ronderos » (patrouilleurs).
- 1 Créée en 1992, cette compagnie s’appelait Aero Continente jusqu’en juillet 2004.
- 2 Il devrait être jugé ultérieurement pour d’autres méfaits tels qu’enlèvements, meurtres, etc.
- 3 Il était opposé à l’ancien officier Ollanta Humala soutenu par le bouillant président vénézuelien Hugo Chavez qui l’avait qualifié de « voleur, raté, truand, corrompu ». Cette intervention tonitruante d’Hugo Chavez a vraisemblablement participé à la défaite de son poulain, la population n’appréciant guère cette intervention extérieure dans la politique péruvienne.
- 4 En 2005, de la drogue a été trouvée dans des cargaisons de calamars congelés. Le port de Callao situé au nord de Lima est l’une des principales base de départ employée par les trafiquants.
- 5 Des personnes qui acceptent, contre rétribution, de transporter des stupéfiants. La drogue enveloppée dans des sachets en latex est souvent ingérée par ces transporteurs occasionnels. Leur point de départ est l’aéroport de Lima.