Le groupe islamique de combat libyen
Éric DENÉCÉ
Le Groupe islamique de combat libyen (GICL) a été fondé en Afghanistan, au début des années 1990, par des moudjahidines libyens, vétérans de la guerre soviéto-afghane, restés sur place à l’issue du conflit. Son existence n’a toutefois été officiellement annoncée qu’en 1995. Le GICL est inscrit sur la liste noire des organisations terroristes par le Conseil de sécurité de l’ONU.
À partir de 1995, sous la houlette d’Abou Abdallah Saddik, son leader historique, le GICL s’est lancé dans le djihad contre le régime de Tripoli. Une grande partie de ses militants est alors rentrée en Libye afin de renverser le colonel Kadhafi et de lui substituer un Etat islamique radical. Des actions terroristes ont ainsi été menées à l’intérieur du pays. Les services de sécurité ont alors réussi à déjouer une tentative d’attentat dirigée contre le Guide libyen en 1996. Ce dernier a aussitôt lancé une lutte sans merci contre le GICL et, chose impensable jusqu’alors, une coopération étroite a été établie avec les services de renseignement occidentaux pour lutter conjointement contre Al-Qaïda. Cette décision a fait du colonel Kadhafi un ennemi à abattre pour l’organisation créée par Ben Laden ; le numéro 2 d’Al-Qaïda, Ayman al-Zawahiri, désignait encore en 2010 le guide libyen comme une de ses cibles prioritaires.
Les opérations policières menées en Libye ont contraint la plupart des activistes du GICL à quitter le pays pour poursuivre leurs activités à l’étranger. Beaucoup de militants se sont éparpillés au sein de cellules internationalistes d’Al-Qaïda.
– Le plus célèbre est Anas Al-Liby qui participa aux attentats d’août 1998 contre les ambassades américaines de Dar es Salaam, en Tanzanie, et de Nairobi, au Kenya. Il a été arrêté en mai 2002 à Londres.
– Un autre terroriste important est Ibrahim Abou Faraj Farj Al-Libi, qui a été arrêté au Pakistan le 2 mai 2005. Issu du GICL, il a réussi à grimper les échelons de la hiérarchie d’Al-Qaïda, plus particulièrement au sein du Comité militaire. Il faisait partie du premier cercle des fidèles d’Oussama Ben Laden qu’il avait rencontré au Soudan au milieu des années 90. Il était ainsi devenu le responsable des opérations extérieures de la nébuleuse de Ben Laden, succédant à Khaled Cheikh Mohamed après la capture de ce dernier, en mars 2003.
En novembre 2007, le GICL s’est déclaré filiale officielle d’Al-Qaïda, ce qui a accru la participation des djihadistes libyens aux opérations contre les Américains en Irak.
La Cyrénaïque, terre de djihadistes
Un rapport présenté en 2007 devant l’académie militaire américaine de West Point, a révélé que la Cyrénaïque, épicentre de la révolte contre le colonel Kadhafi, a été l’un des principaux foyers de recrutement des combattants islamistes engagés en Irak. Des documents saisis en 2007 en Irak par les forces américaines, contenant une liste de 600 combattants membres d’Al-Qaïda, indiquent ainsi que 112 d’entre eux étaient Libyens, et en grande majorité originaires de Cyrénaïque.
C’est plus particulièrement de la ville de Derna que sont originaires des centaines de combattants libyens partis combattre sur les théâtres d’opérations extérieurs du djihad, en Afghanistan ou en Irak. Certains sont depuis revenus en Libye.
La constatation la plus frappante qui se dégage de l’étude de West Point, c’est que la région qui va de Benghazi à Tobrouk, en passant par Derna, représente l’une des plus grandes concentrations de terroristes du monde, avec un combattant envoyé en Irak pour 1 000 à 1 500 habitants.
Si l’Arabie saoudite occupe la première place en valeur absolue en ce qui concerne le nombre des djihadistes (41%) partis combattre les forces américaines, la Libye, occupe le second rang (19%, soit 112 djihadistes). Cela signifie que presque un cinquième des combattants étrangers en Irak étaient libyens et que ce pays, en proportion de sa population, a davantage contribué au djihad que n’importe quelle autre nation, y compris l’Arabie saoudite. Et Derna (90 000 habitants) a envoyé plus de combattants (52) en Irak que n’importe quelle autre ville,
Une autre caractéristique de la contribution libyenne s’exprime à travers la proportion élevée de volontaires kamikazes dans ses rangs. Les djihadistes libyens étaient beaucoup plus portés à commettre des attentats-suicide (85%) que les autres nationalités (56%). Ce sont là des chiffres qui ne peuvent qu’inquiéter.
En 2009, les chefs du GICL emprisonnés auraient renoncé à leur lutte armée contre le régime de Kadhafi dans un accord conclu avec des représentants libyens de la sécurité. C’est la raison pour laquelle Saïf al-Islam, le fils du guide, aurait alors libéré 800 d’entre eux des prisons libyennes. Ils ont aujourd’hui rejoint les rangs de l’insurrection.
Ainsi la coalition militaire sous l’égide de l’OTAN a soutenu une rébellion comprenant des terroristes islamiques, qui étaient, hier encore, des djihadistes qui tuaient des GI’s américains en Irak.
La participation du GICL aux combats
Le chef des rebelles libyens, Hakim al-Hasidi – un des chefs du GICL ayant reçu un entraînement militaire dans un camp en Afghanistan – a déclaré que les djihadistes qui ont lutté contre les troupes alliées en Irak sont aujourd’hui en pointe dans le combat contre le régime de Kadhafi. Il disposerait d’un millier d’hommes sous son commandement. Al-Hasidi est aujourd’hui membre du CNT de Derna, responsable de la sécurité de l’est de la Cyrénaïque. Il a opéré sous les ordres du général Abdul Fatah Younis, ancien ministre de l’Intérieur de Kadhafi, jusqu’à son assassinat, non élucidé, fin juillet.
Cette situation est confirmée par l’amiral américain Stavridis, Commandant suprême des Forces alliées de l’OTAN en Europe : « Des douzaines d’anciens combattants du GICL participent aux efforts des rebelles visant à renverser Kadhafi ». Mais il ajoute qu’ils l’ont fait à titre personnel au lieu d’organiser des opérations en tant que groupe constitué.
En écho à cette déclaration, le Wall Street Journal écrivait, au printemps 2011, que les leaders du GICL « ont récemment pris leurs distances avec Al-Qaïda et soutiennent que leur combat n’a jamais visé que le régime libyen ».
Abdul Hakim Al-Hasidi a insisté sur le fait que ses combattants « sont des patriotes et de bons musulmans, non pas des terroristes ». Mais il a également déclaré que « les membres d’Al-Qaïda sont également de bons musulmans et qu’ils se battent contre l’envahisseur ». Plus inquiétant, il ajoute : « Contrairement à ce qu’affirme Kadhafi, je ne fais plus partie d’Al-Qaïda. Mais si la situation d’instabilité perdure, je n’hésiterai pas à avoir recours à eux».
Après avoir été très inquiets quant à la présence de combattants d’Al-Qaïda au sein des insurgés libyens, les services de renseignement occidentaux semblent avoir fermé les yeux sur ordre des politiques. L’amiral Stavridis s’en était pourtant fait l’écho devant le Sénat des Etats-Unis. Il a reconnu tacitement que le renseignement américain a détecté des « signes d’activités terroristes parmi les groupes rebelles ». Cela n’a rien d’étonnant dans la mesure ou les combattants du GICL sont le pilier de l’insurrection armée. Les mouvements de plusieurs de certains ses membres ont d’ailleurs pu être suivis :
- Abdul Hakim Al-Hasidi aurait quitté Benghazi à la mi-avril, pour se rendre à Misrata sur un bateau chargé d’armes, avec « 25 combattants bien entrainés ».
- Abdelmomem Al-Madhouni – alias Mustapha al Zawi, Orwa, ou encore Ibn al-Ward – membre d’Al-Qaïda dans les années 1990, aurait été tué dans les combats à Brega ; il était recherché par Interpol.
- Ismail Sallabi, un autre membre du GICL, a entrainé 200 fondamentalistes dans la caserne du 7 avril à Benghazi, avec l’aide d’une vingtaine d’experts envoyés du Qatar.
Les déclarations d’Al-Qaïda
Saleh Abi Mohammad, le responsable des médias au sein de la branche maghrébine d’Al-Qaïda a accordé au printemps une interview au journal saoudien Al-Hayyat publié à Londres. Il y affirme que son organisation a établi des « émirats » à Benghazi, Al-Bayda, Al-Marj, Shihat et surtout à Derna. « Nous sommes spécialement présents à Derna, où sheikh Abdul Hakim est notre émir et où il a formé – aux côtés d’autres frères – un conseil islamique pour gouverner la ville en vertu de la sharia ». Il ne faut pas négliger de ce fait le potentiel de rayonnement régional qu’offrirait à Al-Qaïda une implantation ouverte dans la Libye orientale.
Saleh Abi Mohammad a également confirmé que l’organisation terroriste a acquis récemment des armes, «destinées à protéger nos combattants et à défendre la bannière de l’islam ». Cette présence d’Al-Qaïda en Libye est à l’origine des réserves occidentales initiale sur la livraison d’armes aux rebelles. Elle a été bien vite balayée afin de renverser à tout prix Muamar Kadhafi.
L’attitude du CNT
Face à ces faits, les réponses des membres du Conseil national de transition sont embarrassées. Ils reconnaissent qu’après la chute du système Kadhafi, à Benghazi, les arsenaux ont été pillés. Mais ils déclarent que la Libye orientale avait peu de casernes, souvent mal équipées. Les manifestants ne se seraient donc emparés que de petites quantités d’armes. Néanmoins, ils ne nient pas que la prolifération des armes est une réalité, C’est pourquoi le CNT fait un effort de recensement et a demandé aux citoyens de lui remettre ces armes à terme, lorsque la « crise » sera terminée.
Par ailleurs, les membres du CNT, comme Achour Bourachid, originaire de Derna, ne s’offusquent aucunement de la présence des fondamentalistes au coeur de la révolution : « Nous sommes tous musulmans (…). Nous sommes dans la phase de libération nationale. Ce n’est pas le moment d’exacerber nos différences. Nous commencerons à nous inquiéter lorsque ces gens s’exprimeront».
Enfin, concernant la présence de terroristes, les dénégations sont plus catégoriques. La majorité des représentants interrogés affirment qu’il n’y a pas de terroristes étrangers (Al-Qaïda) dans l’est de la Libye, pas plus que de mercenaires favorables car les uns comme les autres seraient très facilement identifiés par la population. Un de nos interlocuteurs à Tobrouk a toutefois reconnu que des « combattants » avaient égorgé des soldats de Kadhafi à Ajdabiya. Mais ils ont été arrêtés et fichés. Ils ne seraient au demeurant que « quelques dizaines ».
Plus inquiétant, le CNT a littéralement « enterré » l’affaire du meurtre du général Abdul Fatah Younis et de ses deux adjoints. Or tout conduit à croire qu’ils ont été assassinés par les hommes du GICL. En effet, Younis, en tant que ministre de l’Intérieur de Kadhafi et créateur des forces spéciales du régime de Tripoli, a été en pointe, depuis 1996, dans la lutte contre les djihadistes. Ceux-ci ne l’ont pas oublié. Ils lui reprochaient par ailleurs son manque de résultats en tant que commandant militaire du CNT, face à aux forces loyalistes. Les altercations fréquentes au sein du comité militaire des rebelles se sont ainsi soldées par un règlement de compte violent, lequel a bien failli entraîner l’implosion du CNT.
La constitution d’un nouveau foyer terroriste régional ?
Les services de renseignement sont très inquiets sur le devenir des armes pillées par les insurgés dans les arsenaux libyens. En particulier des missiles sol-air portables de type SAM-7. Des membres d’Al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI) auraient en effet acquis plusieurs exemplaires de ces matériels des mains de trafiquants libyens. Si l’information n’a pas été confirmée, les services français ont émis la crainte de les retrouver demain « au Sahel, en Afghanistan ou à La Courneuve« . Selon Claude Guéant, le ministre français de l’Intérieur, l’armement destiné aux insurgés libyens a déjà transité en partie jusqu’au Sahel.
En effet, les autorités maliennes ont récemment déclaré avoir déjà enregistré plusieurs signes d’infiltration d’armes (AK 47, RPG 7, ZU 23 SAM 7) et de matériels (pick-up et camions de transport de troupes) dans le nord du pays.
C’est pourquoi, fin avril, le ministre malien des Affaires étrangères, Mr Soumeylou Boubeye Maïga, jugeait la situation « grave et préoccupante » dans la région. Il a fait état de l’installation d’une nouvelle base d’AQMI en territoire malien, à proximité de la frontière mauritanienne, à proximité de la localité de Nara (370 kilomètres au nord de Bamako). Plusieurs véhicules transportant des éléments supposés d’AQMI auraient été observés dans la forêt de Wagadou. Cette nouvelle base permettrait à l’organisation terroriste de lancer de nouvelles opérations en territoire mauritanien et de se replier au Mali.
Les répercussions de la crise libyenne se font ressentir jusqu’en Algérie, où selon des sources sécuritaires, la dégradation du climat sécuritaire en Kabylie est directement liée au conflit qui secoue ce pays, ce dont AQMI tirerait profit pour ses ravitaillements en armes et munitions.
Le conflit en Libye est donc un facteur d’insécurité pour l’ensemble de la région sahélo-saharienne, mais aussi du Maghreb. Grâce à l’arrivée des armes libyennes, AQMI est en train de renforcer son arsenal et d’accroître la menace qu’elle représente pour les États de la région. Les chefs d’état-major d’Algérie, du Mali, du Niger et de Mauritanie en ont récemment discuté à l’occasion d’une réunion qui s’est tenue à Bamako. Pire, AQMI pourrait être tenté d’étendre son action plus à l’est.
Les retombées des événements libyens pourraient favoriser l’apparition de sanctuaires, véritables « mini Waziristan », dans une région qui demeure excessivement difficile à contrôler par les forces de sécurité locales. Cette situation précaire n’est pas sans rappeler le contexte afghan des années 1990.