La stratégie d’Al-Qaida évolue
Alain RODIER
Selon les Américains, la stratégie d’Al-Qaida est en train d’évoluer. Sans rien abandonner des tactiques opérationnelles déjà employées – terrorisme, actions de guérilla, etc. – des unités dites « semi-conventionnelles » sont en train de se mettre en place, notamment dans les zones de non droit existant au Pakistan, en Afghanistan et en Somalie. Des forces paramilitaires de plusieurs centaines de combattants, allant jusqu’au niveau du bataillon conventionnel, seraient en cours de formation. Ces unités sont dotées d’armements semi-lourds : mortiers, mitrailleuses, missiles anti-chars et anti-aériens portables. Après avoir été entraînées au combat classique, ces unités reçoivent pour mission de s’emparer d’objectifs qui sont jugés vulnérables mais significatifs : postes de police, petites garnisons militaires et parfois même, certaines localités. La saisie, généralement temporaire, de ces objectifs a trois buts :
- créer un choc psychologique au sein des forces adverses grâce à une large exploitation médiatique de ces « victoires » ;
- galvaniser les mouvements de « résistance » et permettre ainsi le recrutement de nouveaux activistes ;
- apporter une expérience opérationnelle réelle aux membres de ces unités qui formeront les cadres de l’avenir.
Al-Qaida , qui prévoit une guerre très longue avant d’atteindre ses objectifs – par opposition aux Américains qui espéraient une guerre de courte durée – voit dans la création de ces unités l’embryon de futures armées islamiques qui devraient remplacer à terme les forces de sécurité vaincues.
Leurs zones d’actions restent des régions généralement peu contrôlées par l’adversaire : la province d’Al-Anbar en Irak, la vallée de Kunar, les provinces de Kandahar et de Paktika en Afghanistan, et l’ensemble de la Somalie, laquelle reste un Etat de non-droit depuis les années 1990.
Al-Qaida souhaiterait inclure également des régions comme le Sahel, le Darfour, le Caucase, la frontière yéméno-saoudienne et certaines îles d’Indonésie parmi ses zones d’opération. Cependant, ces théâtres manquent cruellement de bases de repli où pourrait être installée la logistique nécessaire à de telles unités : centres de formation, hôpitaux de fortune, centres de transmissions, etc. Pour Al-Qaida, il convient de ne pas brûler les étapes afin de ne pas renouveler les erreurs qui ont été commises par le passé, notamment par les Groupes Islamiques Algériens (GIA) qui n’ont pu concurrencer les forces armées régulières et ont été vaincus militairement dans les années 1995-1997.
Il n’est donc pas question de dégarnir les sanctuaires déjà sous contrôle, de peur que ceux-ci ne soient reconquis par les forces adverses. Il n’est absolument pas question non plus d’abandonner les tactiques déjà employées avec succès, en particulier le combat clandestin qui secoue actuellement l’ensemble de la planète. L’exemple à suivre est celui du Commandant Massoud qui a su, petit à petit, lever une armée qui s’est attaquée à des villes voisines, depuis son sanctuaire de la vallée du Panshir. Son action s’est conclue par la prise de Kaboul.
Cette stratégie n’est pas sans rappeler celle du vietminh, durant sa guerre d’indépendance (1946-1954) contre les Français, puis lors de la guerre du Vietnam (1960-1975). Le résultat est connu. Dien Bien Phu a démontré qu’une armée moderne engagée dans un combat classique pouvait être défaite par des unités paramilitaires sous-estimées par leur adversaire conventionnel.
De premiers indices viennent confirmer cette nouvelle stratégie. En 2005, des unités islamiques se sont emparées temporairement des villes irakiennes de Ramadi et de Qaim avant d’en être chassées par les forces de la coalition. En juin 2006, le même phénomène est en train de se produire dans le sud de l’Afghanistan, notamment avec l’invasion de la localité de Musa Qala. C’est également le cas en Somalie, avec la prise de Balad1 (30 kilomètres au nord de Mogadiscio) par une milice des Tribunaux islamiques opposée à Moussa Sudi Yalahow, un chef de guerre membre de l’Alliance pour la restauration de la paix et contre le terrorisme (ARPCT), mouvement soutenu en sous-main par les Américains. Lorsque des localités tombent aux mains des islamistes, la charia y est immédiatement instaurée, les « collaborateurs » jugés et exécutés sommairement, et les édifices publics dévastés. Malheureusement pour Al-Qaida, en raison du danger omniprésent, la presse internationale ne couvre pas ces événements, ce qui serait le « fin du fin » de ces opérations destinées à avoir un impact médiatique maximum.
Avec cette nouvelle stratégie, les forces islamiques prennent de gros risques car elles acceptent de se heurter de front à des forces régulières qui bénéficient de la supériorité militaire, en raison notamment de l’emploi de blindés et de l’aviation. Mais la grande arme des islamistes reste leur infinie patience alors que les Occidentaux exigent des résultats immédiats. Ils acceptent de « perdre une bataille » dans la mesure ou ils gagneront la guerre in fine. Pour arriver à cette fin, il convient donc à leurs yeux, de mener une intense campagne médiatique destinée à décourager les opinions publiques occidentales qui, soulagées de ne pas être islamisées, obligeront leurs gouvernements à replier leurs forces afin de laisser les peuples à décider « librement » de leur avenir, comme en Iran, après la chute du Shah.
Au fait, qui a dit qu’Al-Qaida n’existait plus ?
- 1Le 5 juin, les Tribunaux islamiques en Somalie annonçaient avoir également gagné la bataille de Mogadiscio après près de quatre mois de combats contre l’ARPCT. Si ce fait s’avère vrai, la chute de Balad, ville clef pour l’approvisionnement des troupes des différents chefs de guerre de la capitale somalienne n’y est pas étrangère.