La situation intérieure en Ethiopie
Alain RODIER
Un peu d’Histoire
La situation catastrophique de la Corne de l’Afrique ne date pas d’hier. En effet, depuis les années 1960, plus de trois millions de personnes ont trouvé la mort lors de conflits internes ou de guerres entre Etats de la région. De plus, les grandes famines des années 1980 ont fait plus d’un million de victimes supplémentaires, dont la majorité en Ethiopie.
En 1952, suite à une décision des Nations Unies, l’Erythrée et l’Ethiopie furent réunies en une fédération. En 1962, l’empereur Hailé Sélassié annexa l’Erythrée, en faisant une province de l’Ethiopie. Une révolte débuta alors qui se transforma en guerre d’indépendance. Ce fut l’une des causes du coup d’Etat militaire de 1974, qui déposa le régime de Sélassié. Cependant, le Comité des forces armées (Derg), dirigé à partir de 1977 par le lieutenant-colonel Mengistu Haïlé Mariam – alias le « Négus rouge » – mena une politique encore plus répressive, faisant à l’époque plus de 100 000 morts.
En juillet 1977, la Somalie envahit l’Ogaden, mais, appuyés par les Soviétiques, les Cubains et les Sud-Yéménites, les Ethiopiens finissent par repousser les agresseurs, en mars 1978. Cependant, la situation intérieure du pays ne s’améliore pas.
Devant cet état de fait, les indépendantistes érythréens (Front de libération des peuples érythréens – FLPE) font cause commune avec les opposants éthiopiens, amenant finalement la chute du Derg le 28 mai 1991, et l’arrivée au pouvoir de Meles Zenawi ,qui dirige le (Front de libération du peuple tigréen – FLPT). En 1993, l’Erythrée forte de quatre millions d’habitants accède à l’indépendance. Parallèlement, une guerre éclate avec Djibouti en 1991 pour se terminer en 1996.
En 1994, une nouvelle constitution met en place un système fédéral reposant sur neuf régions ethniques et deux régions autonomes.
En 1998, un nouveau conflit occasionné par des revendications territoriales sur une bande frontalière désertique éclate entre l’Ethiopie et l’Erythrée. 70 000 morts sont causés par cette guerre qui se termine en 20001.
Dès 1999, une guerre civile larvée commence à ensanglanter l’Ethiopie, opposant le pouvoir d’Addis-Abeba à divers mouvements rebelles dont certains sont soutenus par des chefs de guerre somaliens et l’Erythrée.
Les élections du 15 mai 2005 devaient représenter une ouverture démocratique car le scrutin avait été étendu aux mouvements d’opposition. La victoire entachée d’irrégularités du Front démocratique révolutionnaire du peuple éthiopien (FDRPE), de Menles Zenawi, a amené une vague de manifestations, de grèves et d’insurrections armées. Celles-ci se développent sous l’impulsion de la Coalition pour l’unité démocratique (CUD), conglomérat de mouvements d’opposition dirigé par Hailu Shawel. Le bilan fut lourd : 86 morts et 11 000 arrestations.
Un autre mouvement d’opposition d’importance moindre existe. Ce sont les Forces démocratiques éthiopiennes unies (FDUE), présidées par Beyene Petros. En raison du non respect des règles démocratiques, le pays, qui bénéficiait d’un des plus important volume d’aide internationale du continent africain2, a vu cet apport indispensable diminuer très sensiblement, excepté lors des inondations d’août 2006 qui causèrent la mort de centaines de personnes. Le mécontentement déjà très vif au sein de la capitale Addis-Abeba a gagné les campagnes. De plus, les relations avec l’Erythrée et surtout avec la Somalie sont de nouveau tendues.
Les ethnies éthiopiennes
La population éthiopienne forte d’environ 77 millions d’âmes est composée par environ 80 ethnies elles-mêmes subdivisées en clans et tribus. Les ethnies principales sont les Tigréens (13%) et les Amharas (25%) d’origine sémitique qui peuplent les hautes terres intérieures. Fait fondamental, ces deux ethnies sont les dépositaires de l’histoire et du pouvoir dans la région depuis des siècles. Les ethnies d’origine couchitique telles les Oromos (entre 35 et 40%), les Sidamas (9%), les Afars (4%) et les Gouragués (2%) sont plutôt établies dans le centre, le sud et l’est du pays. Enfin, les Somalis (6%), qui résident dans la région de l’Ogaden, ont constitué une quarantaine de groupuscules armés farouchement opposés au pouvoir central. Heureusement pour lui, ils sont aussi divisés qu’en Somalie voisine. Toutefois, le déploiement des troupes à cette frontière en juillet-août 2006 – dont une partie est entrée dans la région de Baidoa – laissait à penser que Addis-Abeba craingnait une contagion de l’islam radical qui pouvait déstabiliser cette région, voire le pays tout entier.
Les Amharas ont dirigé le pays du temps de Mengistu. Ils sont représentés depuis le début des années 1990 par plusieurs structures :
- l’Organisation des peuples amhara (OPA), dont le dirigeant et membre fondateur, le neurochirurgien Asrat Woldeyes, est aujourd’hui emprisonné. D’obédience marxiste, ce mouvement, composé de nombreux intellectuels et étudiants amharas, peut éventuellement passer à l’action armée ;
- le Parti démocratique éthiopien du salut (PDES). Fondé en 1992 aux Etats-Unis par le colonel Gashu Wolde, ancien ministre des Affaires étrangères de Mengistu, ce petit parti a le soutien des milieux conservateurs américains depuis qu’il s’est converti au protestantisme ;
- l’Union démocratique éthiopienne (UDE). Fondée en 1974, ce mouvement de faible importance est d’obédience monarchiste. Divisé à l’intérieur, il semble être en sommeil en ce moment. Même son ancien fondateur, Mengesha Seyoum a disparu.
Les autres mouvements d’opposition
Les mouvements d’opposition politiques et armés sont extrêmement nombreux en Ethiopie. La plupart du temps, ils peuvent être qualifiés de groupuscules. Les principaux sont :
- le Parti démocratique éthiopien (PDE). Mouvement formé essentiellement d’intellectuels et d’étudiants, il semble sincèrement souhaiter l’avènement d’un régime démocratique à l’occidentale en Ethiopie. Harcelé par le régime (Tamrat Tarekgen et Tadedesse Asheber, deux de ses dirigeants ont été jetés en prison), certains de ses membres peuvent entrer en clandestinité, voire, dans la lutte armée. Il a fusionné en 2003 avec l’Union démocratique éthiopienne (UDE) ;
- le Front patriotique du peuple éthiopien (FPPE). Apparu au début des années 2000, ce mouvement armé est surtout actif dans le nord du pays. Il est vraisemblablement soutenu par l’Erythrée ;
- le Front de l’union démocratique révolutionnaire (FUDR) qui rassemble des activistes de l’ethnie afar ;
- le Front national de libération de l’Ogaden (FNLO) qui milite pour l’indépendance de l’Ogaden. En août 2006, treize de ses membres auraient été tués par l’armée éthiopienne alors qu’ils tentaient de pénétrer dans le pays en provenance de la Somalie voisine ;
- le Lion conquérant. Dirigé par Assefaw Wossent Tefferi, le dernier fils vivant du Negus, ce groupuscule monarchiste vit en exil à l’étranger ;
- le Front de libération oromo (FLO) est né en 1973 sous la direction du cheikh Blissa Ibrahim. Il a participé à la destitution de Mengistu en 1991 ; il est actuellement dirigé par Daoudi Ibsa Ayana ; bien implanté en Erythrée, il possède également des bureaux aux Etats-Unis, à Londres et à Berlin.
Conclusion
Addis-Abeba reste confronté à des problèmes internes d’importance. L’opération militaire déclenchée en Somalie à la fin décembre 2006 a permis au pouvoir de les escamoter temporairement. Les forces armées éthiopiennes ont profité de l’occasion qui leur était offerte pour s’attaquer à des groupes du Front de libération oromo (FLO) et du Front national de libération de l’Ogaden (FNLO) qui étaient installés sur le sol somalien en prétendant qu’ils « préparaient une incursion armée contre l’Ethiopie ».