La région des « trois frontières », repaire des criminels et des terroristes en Amérique latine
Alain RODIER
Depuis de très longues années, la région dite des « trois frontières », située entre le Brésil, l’Argentine et le Paraguay, constitue une zone refuge pour criminels et terroristes de toutes obédiences. Malgré des tentatives des forces de l’ordre des trois pays, cette zone reste un sanctuaire où toute personne recherchée peut trouver un havre sûr et y faire des « affaires ».
On y rencontre des membres des cartels colombiens, brésiliens, mexicains mais également des membres des organisations criminelles italiennes, turques, ukrainiennes, chinoises et japonaises. A titre d’exemple, Pedro Juan, un des principaux chefs de la criminalité organisée paraguayenne y aurait noué des liens avec la triade chinoise 14 K, les organisations mafieuses chinoises Tai Chen (Canton) et Pak Lung Fun, ainsi qu’avec une mafya turque. Quant à la Camorra, elle est présente en Argentine depuis le XIXe siècle : les Italiens immigrés y sont surnommés les « Parlermitains ».
Des activistes de mouvements terroristes, particulièrement islamiques, y sont également implantés1. Sur les 6 millions de musulmans que compte l’Amérique latine, environ 1,5 million vivent au Brésil et 700 000 en Argentine. Le Paraguay accueille une communauté moins importante mais très pratiquante.
Sur les 500 000 habitants peuplant la région des trois frontières, 23 000 sont d’origine libanaise. Ils ont en grande partie a fui la guerre civile (1973-1990), et ont permis l’implantation dans la zone de mouvements terroristes tels le Hezbollah, les Frères musulmans égyptiens, le Hamas et le Jihad islamique palestiniens. Téhéran finance la plupart des mosquées présentes dans la région.
Beaucoup d’argent issu de différents trafics serait blanchi sur place et une partie importante serait renvoyée au Liban. Les chiffres avancés par diverses agences de renseignement sont de 300 millions à 500 millions de dollars. Une partie de cette manne financerait les mouvements islamiques extrémistes.
La présence de cellules dormantes d’Al-Qaida dans la zone n’est pas exclue. En effet, Khaled Cheikh Mohamed – alors chef opérationnel de la nébuleuse initiée par Oussama Ben Laden – a effectué un voyage sous son identité réelle au Brésil du 4 au 24 décembre 19952. Il serait retourné dans la région sous une fausse identité dans les années 1998-2000 et aurait notamment séjourné à Foz de Iguazu3.
Des terroristes d’extrême gauche, dont ceux du mouvement Partido Patria Libre (Parti de la Patrie Libre)4, trouvent également refuge dans cette région, d’où ils conduisent des raids dans le nord-est de l’Etat de Conception, au Paraguay.
La ville paraguayenne de Ciudad del Este (250 000 habitants officiels, certainement beaucoup plus5) est devenue avec le temps, une véritable cour des miracles. Elle est considérée comme le troisième centre commercial mondial après Miami et Hong Kong. Personne n’a donc intérêt à y restreindre les activités licites et illicites. Tout s’y négocie : drogue, armes6, êtres humains, blanchiment d’argent, etc. Un trafic remarqué est celui des voitures volées. Ainsi, les autorités estiment que 70% des 600 000 véhicules particuliers circulants au Paraguay sont d’origine douteuse. Situé à proximité, le port argentin de Puerto de Iguazu (30 000 habitants recensés) permet d’accéder à l’océan Atlantique par les fleuves Iguazu et Parana. C’est à partir de ce port que de grandes quantités de cocaïne et de marijuana partent pour l’Europe.
Il n’est pas sans risque de s’intéresser à ce qui se passe dans la région. Ainsi, Juan Agosto Roa, un journaliste du quotidien ABC Color basé à Asuncion (Paraguay), qui enquêtait sur les activités de contrebande, a échappé de peu à un assassinat le 27 février 2006. Deux individus évoluant sur une moto ont mitraillé son véhicule dans le plus pur style des crimes mafieux.
L’Amérique latine est déjà une zone d’instabilité chronique qui inquiète de plus en plus Washington. La région des trois frontières est un sanctuaire difficilement pénétrable où se côtoient aventuriers, agents de renseignement, criminels de droit commun et terroristes. Cette « zone grise » est donc un endroit privilégié où les OCT et les mouvements terroristes peuvent se rencontrer en toute impunité et organiser l’échange de services (généralement des armes contre de la drogue).
Tous les pays intéressés par ce qui se passe en Amérique latine, et plus largement, sur l’ensemble du continent américain considèrent la région des trois frontières comme une tête de pont de première importance. La présence des services secrets iraniens y a été détectée depuis des lustres. Depuis peu, ils ont été rejoints par leurs homologues chinois dont la mission est de participer à l’élargissement de l’influence de Pékin en Amérique latine. En effet, si le premier point d’ancrage de Pékin dans la région reste Cuba, la Chine accroît de manière exponentielle ses échanges économiques avec le Brésil, l’Argentine, le Pérou, la Bolivie et fait un effort remarqué vers le Venezuela.
- 1 Cette région a servi de base de départ aux terroristes qui s’en sont pris à l’ambassade d’Israël en Argentine en juillet 1992 (28 victimes) et au centre juif de Buenos Aires en juillet 1994 (85 victimes). Les autorités sud-américaines ont formellement reconnu l’implication les pasdarans iraniens dans ces opérations terroristes.
- 2 Des rumeurs non confirmées font également état simultanément de la présence de Ben Laden.
- 3 Informations à prendre avec prudence car elles sont de sources américaines et, depuis les attentats du 11 septembre 2001, Washington a tendance à voir la nébuleuse Al-Qaida présente un peu partout, même où elle ne l’est pas.
- 4 Mouvement révolutionnaire paraguayen lié aux Forces armées révolutionnaires de Colombie (FARC).
- 5 30 000 musulmans vivent dans cette ville. La deuxième « communauté » est constituée de personnes d’origine chinoise.
- 6 Souvent des armes brésiliennes de marque Taurus et Rossi.