La pègre albanaise envahit le monde occidental
Alain RODIER
Les Organisations criminelles transnationales (OCT) albanaises – qui peuvent également être qualifiées de mafias – ont pris pied dans l’ensemble du monde occidental, coopérant et parfois bousculant leurs homologues déjà en place. Cette expansion est due au fait qu’en apparence, elles se sont fait plus discrètes. Parallèlement, elles se sont modernisé et ont commencé à s’ouvrir sur l’extérieur.
L’Albanie est un petit pays de trois millions deux cent mille citoyens, qui s’est libéré du joug stalinien d’Enver Hoja en 1990. La criminalité organisée s’y est considérablement développée suite à l’insurrection générale de 1997 qui a plongé le pays dans le chaos. Ces événements ont été provoqués par les bandes mafieuses locales et beaucoup d’anciens membres des forces communistes qui reprochaient au président Sali Berisha – actuel Premier ministre – d’avoir tenté de mettre fin aux activités délictueuses internationales initiées après l’effondrement du pouvoir communiste. L’élément déclencheur a été la faillite des sociétés financières frauduleuses. Cette année-là, trois cent mille armes individuelles, des milliers de tonnes d’explosifs de toute nature et environ trois millions de grenades ont été dérobées dans les arsenaux de l’armée et de la police. Aujourd’hui, l’Albanie constitue l’exemple même d’un Etat mafieux, non du fait direct des autorités politiques, mais parce que la criminalité locale est beaucoup plus riche, plus influente et mieux armée que les représentants de l’ordre.
Les Organisations criminelles transnationales albanaises
Les OCT albanaises contrôlent actuellement les principales villes du pays : Vlorë, Dürres, Gjirokaster, Gramsh, Dirba et Elbasan. Le trafic de drogue et la prostitution rapportent à eux seuls environ 4 milliards de dollars annuels aux différentes mafias1. Cet argent sale est recyclé dans l’économie légale du pays. A titre d’exemple, Vajdin Läme, un mafieux notoire qui a été tué dans l’explosion de la cage d’ascenseur de son immeuble (la charge avait été mise en œuvre à l’aide d’un téléphone portable), possédait deux chaînes de télévision, trois radios, une entreprise de travaux publics, etc.
Dès novembre 2003, le chef de la police de Tirana, Pjerin Ndreu affirmait que des liens existaient entre la politique, la justice et les trafiquants de drogue, d’armes et d’êtres humains. Fait significatif, Fatos Nano qui fut trois fois Premier ministre, a purgé une peine de prison de 1993 à 1997 pour détournement d’aide humanitaire. Cependant, depuis le retour au pouvoir de Sali Berisha en 2005, 43 chefs de clans et plus d’une centaine de tueurs ont été arrêtés. Des purges importantes ont également eu lieu au sein de l’administration jugée comme gangrenée par les mafias. Ces progrès indéniables ne doivent pas cacher que la tâche à accomplir reste immense et que les moyens dont dispose l’Etat albanais ne sont pas actuellement à la mesure de la menace. De plus, l’Albanie (et le Kosovo) ne possèdent pas de registre d’identification national – ce qui rend impossible toute vérification d’identité – et l’Etat ignore le patrimoine réel de ses citoyens, ce qui est très pratique pour blanchir de l’argent acquis illégalement.
La criminalité albanaise est organisée autour de familles traditionnelles appelées camarillas, où l’on entre que par les liens du sang ou du mariage. Ses caractéristiques sont : une hiérarchie rigide, le respect des traditions claniques d’honneur de silence et de vengeance et l’amour des armes. Ces familles respectent le code Kanun qui fixe les règles de vie. Ses traditions sont particulièrement violentes. Un exemple : pour venger la mort de l’un des siens, un clan peut tuer tous les membres masculins de la famille de l’assassin. Cette tradition a fait qu’en 1997, 10 000 hommes étaient condamnés à rester cloîtrés chez eux de peur d’être assassinés. Le clan s’appelle le fis. Son leader est appelé krye. Il nomme des « capitaines », kryetar, et des « lieutenants », chef, qui dirigent des groupes bénéficiant d’une grande indépendance. Il existe aussi des « officiers de liaison », miq, qui assurent la coordination entre les différents groupes. Il est très difficile pour les forces de sécurité d’intercepter les communications de ses clans car ces derniers utilisent des dialectes peu répandus. Il leur est aussi impossible de les pénétrer, tout nouveau venu étant suspect par nature.
En Albanie, chaque parti politique, chaque homme d’affaires d’importance, notamment dans la finance, est discrètement soutenu par une ou des familles. Les anciens des services de sécurité communistes ont fourni les instructeurs et parfois les hommes de main aux différents clans.
Les activités des OCT albanaises
Le pays constitue une des plaques tournantes les plus importantes de la planète pour tous les trafics. Les deux principaux points de passage sont les ports de Vlorë et de Durrës.
Les spécialités de la criminalité albanaise sont les suivantes :
- Le trafic de drogue2. Les Albanais se sont lancés, en liaison avec les Colombiens, dans la culture locale de la coca et du cannabis. D’autre part, ils seraient à l’origine de 40% du trafic de drogue pénétrant en Europe occidentale ; dans ce domaine, ils coopèrent étroitement avec le crime organisé turco-kurde qui contrôle la route des Balkans.
- Le trafic d’armes. Depuis 1992, l’Albanie fournit en armes les extrémistes d’origine albanaise en Macédoine. Elle propose sur le marché de la grande criminalité des armes de guerre dont des fusils d’assaut et des armes anti-chars qui sont utilisées lors d’attaques de fourgons blindés.
- Le trafic de cigarettes, d’hydrocarbures, de migrants clandestins. Les destinations les plus importantes sont l’Italie et la Grèce ; depuis ces pays, des filières acheminent les clandestins vers les pays de l’espace Schengen avec comme « Eldorado final » : la Grande-Bretagne.
- La contrebande est une tradition ancestrale qui est devenue avec le temps, une véritable institution. Ainsi, durant les années 1990, l’Albanie fournissait l’ex-Yougoslavie en produits placés sous embargo. En 1997, aucune cigarette n’est entrée légalement dans le pays, la contrebande subvenant totalement aux besoins de la population. Un tiers des voitures individuelles circulant en Albanie provient de vols effectués en Europe.
- La prostitution y est souvent assimilée à de l’esclavage. Ainsi, sur les quelque 300 000 prostituées originaires d’Europe orientale travaillant en Europe occidentale, la plus grande partie est passée par l’Albanie pour dressage. Les gangs albanais sont considérés comme les plus « sauvages » dans la gestion de ce type d’activité, n’hésitant pas à assassiner de manière atroce quelques récalcitrantes, pour l’exemple. En 2002, les forces de sécurité italiennes ont noté une recrudescence du trafic d’enfants albanais destinés ensuite à l’adoption, à la prostitution ou à la mendicité en Europe occidentale.
- Le racket et les enlèvements crapuleux sont également monnaie courante.
Les ramifications internationales des OCT albanaises
La pègre albanaise s’est considérablement étendue à l’étranger3 où, dans la majorité des cas, elle a su s’entendre avec la criminalité organisée déjà en place.
En Italie – particulièrement à Milan qui est devenu une de ses têtes de pont en Europe – la famille du Kosovar Agim Gashi s’est alliée au clan Morabito de la N’drangheta. Elle a également développé une collaboration efficace avec la Sacra Corona Unita, localisée dans les Pouilles, et la Camorra qui règne sur Naples. Ces deux mafias italiennes assurent la réception de la contrebande matérielle et humaine et leur acheminement vers l’Europe occidentale et le continent américain. Aux Etats-Unis, le clan américano-albanais Spaci est « en affaires » avec les familles Gambino et Lucchese. Dans le quartier de Queens à New-York, la famille Lucchese a même dû laisser la place au clan Rudaj. Un autre Américano-albanais – Mustafa Zef – est en cheville avec les Gambino. Des études démontrent que les Albanais participent désormais à plus d’un tiers du trafic de drogue existant sur le continent Nord-américain. La pègre albanaise contrôlerait 70% des saunas et salons de massages installés à Londres où le quartier de Soho, arraché de vive force aux Jamaïcains4, est devenu un de ses fiefs privilégiés. Elle a la haute main sur les deux tiers du trafic de drogue en Allemagne. Elle a également développé une coopération dans le domaine de l’immigration clandestine avec ses homologues du Kosovo, de Bosnie-Herzégovine, du Monténégro, de Turquie, de Russie, de Chine et du Sri Lanka.
Au Kosovo et en Macédoine , les anciennes guérillas – UCK et – UCPMB (sud de la Serbie – ont donné naissance en 2002 à l’Armée nationale des Albanais (ANA ou AKSH) dirigée par Idajet Beqiri, un ancien avocat qui fut un proche du président Enver Hodja. Il revendique la création d’une « grande Albanie5 ». Cette formation armée est jugée comme très proche des mafias albanaises.
Kosovo
Selon le rapporteur spécial de l’ONU pour les droits de l’homme, « le Kosovo est devenu un paradis pour les mafias ».Les combats menés par des groupes armés pour protéger les Albanais du harcèlement de la police serbe servent de prétexte à des marchés lucratifs : l’immigration clandestine en provenance des Balkans6 ; le trafic de drogue, particulièrement à destination de l’Autriche, de l’Allemagne, de la Hongrie, de la République tchèque, de la Norvège, de la Pologne, de la Belgique et de la Suisse7 ; le trafic d’armes ; le prélèvement de l’impôt de type révolutionnaire, qui est en fait du racket pur et simple ; la prostitution et le marché noir.
Un exemple intéressant est le village de Veliki Trnovci, situé dans la zone démilitarisée entre la Serbie et le Kosovo, à 30 kilomètres au nord de Sarajevo. Il est désormais appelé la « Medellin des Balkans » car c’est un des principaux point de passage pour tous les trafics à destination de l’Europe occidentale.
Un personnage clef de la pègre kosovare de Pristina est un proche du Parti démocratique du Kosovo (PDK) : Sabit Geci. Le leader de ce parti, Hashim Thaci, ancien chef de l’UCK, est fortement soupçonné d’entretenir des liens privilégiés avec la criminalité organisée. Un autre parrain connu pour ses liens avec la Sacra Corona Unita est Xhavit Hasani. Il a combattu dans les rangs de l’UCK au Kosovo, bien qu’il soit originaire du village de Tanusevci, situé à 30 kilomètres au nord de Skopje, en Macédoine. Cet homme contrôlait l’ensemble des trafics se déroulant au carrefour du Kosovo, de la Macédoine et du sud de la Serbie. Plus généralement, selon le procureur anti-mafia italien Alberto Mariati : « l’UCK est lié à la mafia de Naples, la Camorra, ainsi qu’à celle des Pouilles » et que « les clans du Kosovo sont investis dans le trafic de drogue contre des armes ».
Les Albanais de Macédoine
Les Albanais de Macédoine, pour leur part, se trouvent à tous les niveaux du narco-business en Europe occidentale, depuis le simple passeur jusqu’au commanditaire fortuné. En outre, les troubles récents ont facilité tous les trafics criminels en liaison avec les familles de la « mère patrie » : drogue, armes et êtres humains. Un des hauts lieux de la criminalité albanaise dans la région est la ville de Velesta (à 110 kilomètres au sud-ouest de Skopje), qui, en plus d’être un point de passage pour la drogue et les armes, est un centre de regroupement et de « formation » de prostituées.
Les mafias albanaises sont donc très actives, en Europe, mais aussi sur le continent américain. Elles entretiennent des liens avec à peu près toutes les principales OCT mondiales. Leur capacité de nuisance est considérable et ne peut être combattue que par une collaboration policière et judiciaire internationale. Dans ce domaine, il reste beaucoup à faire.
- 1 En comparaison, le budget de l’Etat s’élève à 2,5 milliards de dollars.
- 2 En général, l’opium et l’héroïne arrivent d’Afghanistan, via la Turquie, et la coca d’Amérique Latine, via l’Egypte.
- 3 De nombreux truands et leurs « protégées »se sont fait passer pour des réfugiés du Kosovo afin de pénétrer en Europe.
- 4 En janvier 2003, un gang albanais a tenté d’enlever Victoria Beckham. L’extension de la criminalité organisée d’origine albanaise, notamment dans le domaine du trafic d’héroïne, se heurte aux intérêts de son homologue turco-kurde et provoque des guerres des gangs discrètes mais sanglantes.
- 5 Qui regrouperait l’Albanie, le Kosovo et les zones albanophones de Macédoine, le sud de la Serbie et le Monténégro.
- 6 La pègre bénéficie des réseaux formés par des réfugiés déjà installés en Italie, en France, en Belgique, en Allemagne, etc.
- 7 Selon la police suisse, 90% de l’héroïne introduite sur le territoire helvétique l’est par des Albanais du Kosovo Selon la police suisse, 90% de l’héroïne introduite sur le territoire helvétique l’est par des Albanais du Kosovo