La nouvelle politique du président Bush : la guerre est elle inévitable ?
Michel NESTERENKO
Suite à la déroute électorale du Parti républicain aux élections du mois de novembre 2006, on pouvait s'attendre à un infléchissement de la guerre tous azimuts menée par la Maison-Blanche contre l'axe du mal, c'est-à-dire l'Iran, l'Iraq et un ennemi diffus globalisé. Cet infléchissement était d'autant plus attendu que le rapport Baker-Hamilton, traduisant un consensus national, prônait une approche moins militaire et plus diplomatique. Le président lui-même avait semblé acquiescé à la volonté des urnes en limogeant immédiatement le secrétaire à la Défense, Donald Rumsfeld, perçu comme le fer de lance des néo-conservateurs et le stratège de la guerre. Au lieu d'un désengagement militaire, nous assistons à une intensification majeure et voulue des combats en Irak, avec une plus grande présence des soldats américains ; et à une préparation médiatique en vue de bombardements contre des cibles en Iran.
Que se passe-t-il à Washington ? Quels sont les impératifs qui poussent le président Bush à ignorer les conseils de ses stratèges et généraux sur le champ de bataille ?
La personnalité du président et le limogeage de Rumsfeld
De nombreux observateurs de la classe politique américaine décrivent un président aux idées fermement ancrées, qui, comme il se complaît lui-même à le dire : “ne négocie pas avec lui-même”. Cela signifie qu'une décision prise doit être appliquée jusqu'au bout, quels qu'en soient les résultats désastreux. De plus, ce même président dispose d'une relation privilégiée avec Dieu qui – encore d'après les paroles de G. W. Bush lui-même – lui à donné l'ordre d'éradiquer l'Axe du mal pour protéger le peuple américain.
Si Donald Rumsfeld à été limogé, sanction pour une guerre d'Irak mal menée, pourquoi le président perpétue-t-il la stratégie initiale ? Peut-être existe t il une autre raison au limogeage de Rumsfeld ?
Dès que les résultats électoraux de novembre 2006 furent connus, la Maison-Blanche confirma le départ du secrétaire à la Défense. Dans les heures qui suivirent son remplaçant fut nommé et accepta le poste. Un telle célérité est inédite au sein du gouvernement américain.
Le nouveau secrétaire à la défense, Robert Gates, est un homme de l'équipe du président Bush père. Après 26 ans de carrière à la CIA, où il s'était élevé jusqu'au poste de directeur, il avait refusé le poste de grand patron de tous les services de renseignement que lui avait offert le président Bush fils, en février 2005. Lorsqu'il a accepté le poste de secrétaire à la Défense, offert par le président Bush fils, le 8 novembre 2006, Robert Gates était encore président d'une université au Texas. Une telle décision ne se prend pas en quelques heures, surtout quand on à déjà refusé de travailler dans l'équipe présidentielle. Un petit entrefilet de la presse politique publié ultérieurement à confirmé que le président avait pris la décision de limoger Rumsfeld dès le mois de septembre.
Que s'est-il donc passé en septembre 2006, qui ait put motivé le limogeage de la figure de proue de la politique néo-conservatrice du président ? Il est certain que la veille même de l'annonce par la Maison-Blanche – 8 novembre 2006 – Donald Rumsfeld n'était pas encore informé de son sort. Deux à trois jours auparavant, il venait d'envoyer un mémo au Président pour redéfinir la stratégie de guerre en Irak. Si le secrétaire à la Défense n'était pas au courant de son propre limogeage, il est certain que le vice-président Cheney n'était pas informé non plus. L'amitié très forte qui lie Dick Cheney à Ronald Rumsfeld remonte à la période Reagan, lorsqu'ils oeuvraient déjà tous deux dans l'équipe présidentielle.
L'événement marquant du mois de septembre 2006 fut la signature du « Plan de pandémie grippale ». Ce plan fut remanié trois fois avant d'être approuvé par le vice-président Cheney lui-même. Contre l'avis unanime des experts de santé publique, le vice-président à exigé et obtenu qu'un plan de quarantaine nationale soit instauré et géré par l'armée sur tout le territoire national, dès l'identification de la quatrième personne infectée. Cette quarantaine militaire devait déclencher le « Plan de continuité du gouvernement ». Dans ce plan, mis au point par Dick Cheney et Ronald Rumsfeld dès l'époque Reagan, tous les membres du Congrès et tous les dirigeants de l'administration fédérale sont mis « en sécurité », c'est-à-dire au secret total dans des camps militaires. Les familles sont laissées sans information. De plus, si le président est indisponible, le vice-président, le secrétaire à la Défense et une troisième personne non spécifiée décident de nommer un nouveau chef de l'exécutif, sans tenir compte des contraintes constitutionnelles. Pour la quarantaine de pandémie grippale, il est spécifié que, outre les dirigeants du gouvernement et de l'administration, toutes les personnalités politiques des Etats seront aussi maintenues au secret militaire. Sous couvert d'un contrôle de santé, de telles mesures d'exceptions frisent le coup d'Etat militaire. D'ailleurs les experts médicaux américains ont unanimement dénoncé l'incapacité de l'armée de gérer un telle crise sanitaire. De nombreux experts internationaux doutent également de l'efficacité d'une quarantaine pour une maladie dont l'infection se propage avant même l'apparition des premiers symptômes.
L'avenir de Condoleeza Rice et de Dick Cheney
Dick Cheney, Donald Rumsfeld et Condoleeza Rice, l'actuelle secrétaire d'Etat, sont les trois personnalité phares du courant néo-conservateur. Pourquoi, après les avoir suivi, G. W. Bush a-t-il déclenché une guerre contre eux et remplacé aussi brutalement le secrétaire à la Défense ? Pourquoi John Negroponte a-t-il démissionné soudainement du poste de « tsar » de tous les services de renseignements américains, pour accepter le poste, vacant depuis plusieurs mois, de numéro deux du département d'Etat ?
John Negroponte est un homme modéré, proche du général Colin Powell, qui fut le chef d'état-major de George Bush père lors de la première guerre du Golfe, en 1991. De 2001 à 2004, Powell fut secrétaire d'Etat pendant le premier mandat du président Bush fils. Durant cette période, John Negroponte était ambassadeur aux Nations Unies. Il fut ensuite nommé au poste très convoité d'Ambassadeur à Bagdad au début du second mandat du G. W. Bush (2004-2005), avant d'être promu Director of National Intelligence (DNI) en avril 2005, poste lui conférant avec accès privilégié et journalier au président.
Pour pouvoir limoger Condoleeza Rice aussi brutalement que Donald Rumsfeld, le président devait s'assurer de la présence au poste de numéro deux du département d'Etat d'une personnalité modérée, dans la mouvance de son père, dont la nomination comme ministre serait facilement approuvée par le Sénat. John Negroponte est un diplomate de carrière disposant des plus hautes habilitations au secret. Il connaît bien la question irakienne et a déjà reçu l'approbation du Sénat en tant que DNI. En tant que numéro deux du département d'Etat, il peut assumer sans délai la succession de Condie Rice en tant que secrétaire d'Etat par intérim. Il ne manque plus qu'une bonne raison politique pour que Condoleeza Rice joue le fusible.
Dick Cheney est quant à lui empêtré dans les méandres du procès de son chef de cabinet, Lewis Libby, qui aurait divulgué à la presse le nom d'un femme, officier de la CIA, ce qui est un délit majeur aux Etats-Unis. Il semblerait que Libby ait transmis ce nom sur ordre du vice-président, lequel cherchait à sanctionner le mari de celle-ci pour avoir pris une position politique contraire à celle de la Maison-Blanche sur l'Irak. Si, à l'occasion du procès, Dick Cheney se trouvait directement impliqué, il serait poussé à la démission pour pouvoir assurer sa défense.
Février 2007 et le nettoyage de Bagdad
Suite à la sanction électorale de novembre 2006, où les Américains ont clairement voté contre la guerre, le président se trouvae confronté à une fin de deuxième mandat catastrophique. Or, le G. W. Bush est connu, comme Bill Clinton avant lui, pour être un « animal » politique hors pair. Si le président avait accepté la volonté du peuple, exprimée par les urnes, il se serait trouvé soumis à l'influence des Démocrates du Congrès et le parti Républicain se serait trouvé en fort mauvaise posture pour les élections de novembre 2008. Or, pour 2008, G. W. Bush ne désire rien de plus que de propulser son frère Jeb, ex-gouverneur de Floride, pour lui succéder.
En prenant la volonté populaire à contre-pied, le président joue le tout pour le tout. Il lui faut maintenant rendre les Démocrates responsables de la débâcle de la fin de la guerre en Irak, en les poussant à restreindre les budgets militaires. Au cas ou cette manoeuvre ne suffirait pas, il utiliserait le Premier ministre irakien comme fusible.
Première étape de cette stratégie machiavélique, l'augmentation de 20% des effectifs militaires en Irak. Cette décision va à l'encontre de l'avis des chefs militaires et du consensus politique exprimé dans le rapport Baker-Hamilton. Au passage, le président change toute l'équipe dirigeante sur le terrain, généraux et ambassadeurs. Puis, G. W. Bush fait monter la tension de plusieurs crans en s'en prenant aux consulats iraniens en Irak et en jetant au cachot les diplomates de Téhéran. Tout cela, bien sûr, sans consultation avec le gouvernement iraquién légitimement élu. Enfin, le président déclarerait à la presse qu'il fait fi de la volonté populaire exprimée par le Congrès, car la décision d'envoyer des hommes à la bataille revient à lui seul et que le Congrès n'a pas autorité pour l'en empêcher.
G. W. Bush a donc décrété une grande offensive de nettoyage de Bagdad pour février 2007. Elle doit durer trois mois. En bon gestionnaire de l'argent des contribuables le président déclare qu'il va, cette fois, vraiment mesurer les résultats et sanctionner ceux qui ne feront leur devoir, y compris pour au gouvernement irakien. Le Congrès doit donc se taire et attendre la fin de l'opération.
Si le succès n'était pas au rendez-vous, le coupable tout trouvé serait le Premier ministre Irakien. Ce dernier réagit déjà à travers la presse internationale, en affirmant que si le gouvernement américain avait mis à sa disposition de ses forces les mêmes armes que celles dont dispose l'armée américaine (blindés, chars, hélicoptères et avions), cette dernière pourrait rentrer aux Etats-Unis avant la fin de l'année. Il constate que les insurgés sont mieux équipés que son armée, laquelle est obligée de louer des camions et des bus privés pour se déplacer. Sa police ne dispose que de quelques Toyota et de téléphone GSM personnels en guise de radios. Jusqu'à présent l'état-major de l'armée américaine a refusé de permettre à l'armée iraqienne de disposer d'armements lourds, de blindés et de moyens logistiques.
Les Démocrates se sont laissé enfermer dans un piège, sans s'en apercevoir. S'ils persistent à imposer une restriction budgétaire au Pentagone, ils apparaîtront comme responsables de la débâcle qui risque d'advenir. Et s'ils laissent G.W. Bush procéder au renforcement, ils seront considérés comme complices. Dans les deux cas, la dynamique actuelle risque fort de se retourner contre eux, et ils pourraient se faire sanctionner en 2008 par les électeurs qui les ont élus pour imposer l'arrêt de la guerre.
Les bombardements de l'Iran
Dans la stratégie politique du Président Bush il ne faut pas oublier la menace nucléaire iranienne. Depuis 2001, le Président n'a cessé de dénoncer l'Iran comme étant le pivot de l'Axe du mal. Et il n'est pas question de laisser le danger nucléaire iranien déstabiliser la campagne électorale de son frère en 2008.
L'option d'envahir militairement l'Iran pour imposer un changement de régime n'est plus à l'ordre du jour. Depuis le départ de Rumsfeld, l'état-major du Pentagone unanime, appuyé par une solide majorité du Congrès, a publiquement exprimé l'incapacité de l'armée américaine, empêtrée en Irak et Afghanistan, à mener une quelconque nouvelle campagne. Il n'y a plus assez d'hommes ni de matériel. Certains vont même jusqu'à parler d'une armée au bord de la rupture. Heureusement, pour le président, des bombardements ne sont pas considérés comme une guerre. Les États-Unis ont, au cours de la dernière décennie, copieusement bombardé l'Irak et d'autres pays voyous sans déclaration de guerre. Il peut donc jouer sur les mots.
Sa stratégie consistera probablement à embarrasser la majorité démocrate. Il est donc nécessaire de susciter des attaques iraniennes, en Iraq par exemple, pour justifier une réaction américaine. Un antécédent existe : l'incident du golfe du Tonkin, fabriqué de toutes pièces par les services américains, permit à la Maison-Blanche de s'engager dans la guerre du Vietnam sans apparaître comme l'agresseur. Les opérations envisagées se limiteraient vraisemblablement à quelques frappes chirurgicales – avec des bombes atomiques tactiques – pour pénétrer les bunkers des instituts de recherche iraniens. Si par hasard, il se produisait un nuage radioactif, cela serait naturellement la faute à la « bombe iranienne ».
Ainsi, parallèlement à l'intensification des combats en Irak, nous commençons à assister à une campagne médiatique de grande envergure destinée à convaincre la population américaine que Téhéran à vraiment juré la perte de l'Amérique et tue chaque jour des GI en Iraq. Le temps viendra où les « preuves » d'une attaque perfide seront montrées. G. W. Bush clamera alors bien fort qu'il avait raison et que la frilosité des représentants démocrates du Congrès met le pays en danger.
Il est certain, qu'une attaque iranienne contre les troupes américaines en Irak, suivie d'une riposte par des frappes aériennes ciblées, renforcera le prestige du président. S'il advenait que des attentats iraniens, en Europe et aux Etats-Unis, répondent aux bombardements américains, cela ne nuirait pas nécessairement à sa stratégie. G. W. Bush aurait repris le contrôle de la dynamique politique dans la perspective de la campagne électorale de 2008.
Pour le président, tout ce qui importe c'est de gagner les élections. Comme le disait le général Patton: « Nous les américains on aime les gagnants, on est comme ça ».