La doctrine asymétrique des forces iraniennes
Alain RODIER
Depuis l'élection, en juin 2005, du président ultraconservateur iranien Mahmoud Ahmadinejad, qui a remplacé le « réformateur » Mohammad Khatami, la tension n'a cessé de monter entre Téhéran et les Occidentaux en général, et Israël en particulier. La principale raison en est la poursuite du programme nucléaire iranien dont la finalité est d'obtenir la bombe atomique. Il convient de rappeler que c'est sous l'égide du président Khatami que le développement du programme nucléaire militaire a vraiment pris son envol et non sous celui d'Ahmadinejad, qui n'a fait que continuer cette politique en lui donnant toutefois plus d'écho.
Un sentiment de peur généralisé
Aujourd'hui, comme dans bien des cas analogues dans l'Histoire, c'est le sentiment de peur qui est latent, de part et d'autre, qui joue un rôle majeur.
Les pays voisins en général et Israël en particulier, craignent une République islamique d'Iran (RII, Jomhuri-ye Eslami-ye Iran ) nucléarisée, ce qui bouleverserait la donne géostratégique dans la région. Sans compter que les multiples appels à la destruction d'Israël lancés depuis Téhéran ne sont pas là pour rassurer. Les Occidentaux y voient également la prolifération sauvage qui s'ensuivrait immanquablement et qui pourrait dégénérer : Arabie saoudite, Egypte, Turquie, etc.
Pour leur part, les religieux en place à Téhéran ont les plus grandes inquiétudes quant à la survie de leur régime qu'ils jugent attaqué de toutes parts. De plus, sur un plan purement stratégique, ils se sentent littéralement encerclés par les bases militaires américaines, ce qui est loin d'être faux. Téhéran affirme qu'en cas d'agression militaire de son territoire, ses forces armées et de sécurité réagiraient dans le quart d'heure qui suivrait. Encore faut-il savoir comment…
Il y a très peu de chance que l'armée israélienne intervienne seule. Si guerre il y a, les Iraniens doivent donc se préparer à répondre à une offensive de grande envergure dans laquelle les Américains joueraient le rôle principal. Or les mollahs ne sont pas fous. Ils savent pertinemment que leurs forces ne peuvent se mesurer à la puissance de l'armée américaine. Ils ont donc décidé de se préparer à une guerre asymétrique du « faible au fort ». Comme au temps de la Guerre froide, cela consiste à convaincre l'adversaire potentiel que le prix à payer pour remporter la victoire est disproportionné au regard des dommages qui lui seront infligés. Or, tant que l'Iran n'est pas doté d'une dissuasion nucléaire crédible, cette stratégie reste sujette à caution. Il s'agit donc pour Téhéran de gagner du temps.
Toutefois, cette stratégie militaire existe déjà aujourd'hui. Les forces armées iraniennes ont reçu pour mission d'être en mesure de causer un maximum de dommages dans la région, même si parfois les cibles choisies ne sont pour rien dans le différend qui oppose Téhéran au reste du monde.
Qui décide quoi en Iran ?
Bien qu'il fasse beaucoup parler de lui, le président Ahmadinejad n'a pas l'autorité que les medias lui prêtent habituellement. En effet, selon la constitution, le véritable chef de la théocratie iranienne est le Guide suprême de la Révolution islamique, l'ayatollah Ali Hoseini Khamenei, qui a succédé à l'Ayatollah Khomeiny en 1989. Ce dernier peut décider à tout instant de démettre le président de la république s'il juge que l'intérêt supérieur de la nation l'exige. Si l'antisionisme du président Ahmadinejad est souvent mis en avant, c'est Khamenei qui, dès 2002, a expliqué comment détruire Israël avec « une seule bombe atomique islamique ».
Connaissant parfaitement les faiblesses des Occidentaux, les intérêts des Russes – les échanges commerciaux – et des Chinois – le besoin vital en hydrocarbures -, Khamenei a toujours su très habilement diriger la politique étrangère iranienne en masquant la réalité des choses. Par exemple, il a tout fait pour confirmer la vision occidentale selon laquelle il existe en Iran des « conservateurs » et des « réformistes ». Dans les faits, les réformiste s tiennent un discours plus modéré que celui des conservateurs , mais leurs actions sur le terrain ne diffèrent pas fondamentalement.
Toutefois, depuis la découverte du programme nucléaire militaire iranien révélé en 2002 par les Moudjahiddines du Peuple, la grande crainte du Guide suprême de la Révolution est qu'une intervention militaire extérieure ne provoque le renversement du régime, aidée par les nombreux mouvements d'opposition internes et externes. L'exemple afghan, où l'Alliance du nord a conquis Kaboul avec la seule aide de l'US Air Force et de quelques unités spéciales, est encore présent à l'esprit des stratèges iraniens. En effet, malgré la manne pétrolière, l'Iran connaît depuis des années une crise économique de première ampleur qui provoque un mécontentement de plus en plus profond au sein de la population, notamment dans les milieux intellectuels et estudiantins (la campagne paraît encore relativement épargnée). Ce mécontentement est particulièrement exacerbé depuis août 2009, date de la réélection contestée d'Ahmadinejad à la présidence, même si, en l'état actuel de la situation, cette opposition n'a pas les capacités nécessaires pour inquiéter réellement le pouvoir en place. En effet, elle est beaucoup trop disparate et divisée. De plus, elle est infiltrée en partie par les services secrets du régime. Par contre, les minorités arabes, kurdes, azéries et baloutches sont de plus en plus remuantes. Pour Khamenei, la possession à terme de l'arme atomique mettrait Téhéran à l'abri de toute intervention militaire extérieure et empêcherait ainsi tout soulèvement intérieur qui pourrait s'avérer fatal pour le régime.
Les forces en présence
Le potentiel iranien
Les forces armées classiques iraniennes, dirigées par le major général Ataollah Salehi, comprennent quatre composantes : armée de terre, aviation, défense anti-aérienne et marine.
L'armée de terre ( Artesh ) compte 350 000 hommes dont 220 000 appelés. Le brigadier général Ahmad Reza Pousdaran en a pris la direction à l'été 2008. Elle comporterait trois corps d'armée. L'effort financier iranien ne porte actuellement pas sur la modernisation des matériels de l'armée de terre, essentiellement parce que la probabilité d'une guerre classique menée au sol est quasi-inexistante. De plus, l'emploi de l' Artesh dans le maintien de l'ordre pourrait se révéler problématique, la loyauté de ses cadres à l'égard du pouvoir n'étant plus tout à fait sûre. Par contre, elle peut jouer un rôle significatif en cas de rébellion d'une minorité ethnique, religieuse ou autre. Cependant, même dans ce cas, sa mission consisterait essentiellement à quadriller le terrain, les actions de choc restant alors l'apanage des pasdaran, jugés plus fiables.
La marine ( Niru Havayi ) compte 18 000 hommes, placés sous l'autorité du vice-amiral Habibollah Sayyari. La flotte de surface est quasi obsolète. Seuls les trois sous-marins 877 EKM de classe Kilo représentent une menace crédible en mer d'Oman, le Golfe persique étant jugé trop peu profond pour assurer la sécurité de ces submersibles. La flotte serait vraisemblablement détruit dans les toutes premières heures d'un conflit, à l'exception probable des embarcations légères et des sous-marins de poche armés par la composante maritime des pasdaran.
L'armée de l'air ( Niru Daryai ) est commandée par le brigadier général Hassan Shah Saf et compte 37 000 hommes. Ses appareils de chasse sont relativement anciens, mal entretenus et les pilotes manquent cruellement d'entraînement. Les armements air-air ne peuvent rivaliser avec ceux des intercepteurs américains ou israéliens. En cas d'engagement massif américain, l'aviation iranienne serait neutralisée dans les toutes premières heures de combat.
La défense anti-aérienne serait forte de quelques 15 000 personnels. Elle pêche encore par un manque de matériels modernes, les SA-300 promis par Moscou n'étant toujours pas livrés. La couverture radar à basse altitude n'est pas assurée correctement et les différents réseaux d'alerte de paraissent pas être connectés entre eux. Les systèmes de brouillage et les armes anti-radars américains sont à même de neutraliser cette défense avant le déclenchement de bombardements.
Les pasdaran ( Sepah-e Pasdaran Enqelab-e Eslamii ) sont commandés depuis 2007 par le brigadier général Mohammad-Ali (Aziz) Jaafari. Ils sont organisés en quatre composantes : terre, air, mer et forces spéciales ( Sepah al-Qods) [1]. Leurs effectifs sont estimés à 150 000 hommes. Ils ont été augmentés de 25 000 hommes depuis 2005. Ce sont les pasdaran qui gèrent les programmes de développement d'armes spéciales, dont les missiles sol-sol et sol-mer, et qui sont chargés de les mettre en œuvre.
Les milices populaires basij qui dépendent des pasdaran compteraient quelques deux millions d'hommes et de femmes pouvant recevoir le renfort d'environ neuf millions de réservistes. Elles sont dirigées par un chef religieux : Hassan Ta'eb. Les basij participent surtout à l'embrigadement de la jeunesse, à la surveillance intérieure (sécuritaire et « morale »), au truquage des élections, au déclenchement « spontané » de manifestations populaires destinées à soutenir le régime, etc. En dehors de constituer un réservoir pour les forces armées et de sécurité et un terreau pour kamikazes, elles n'ont pas de rôle militaire significatif hormis celui lié aux opérations de répression sous toutes ses formes. Par contre, les forces spéciales al-Qods sont capables de déclencher à tout moment des opérations d'insurrection, de terrorisme et de propagande à l'étranger. Pour cela, elles s'appuient sur des réseaux clandestins mis sur pieds depuis de longues années.
Les forces iraniennes sont handicapées par des matériels généralement anciens, manquant de pièces de rechange et par un entraînement notoirement insuffisant. De plus, les mollahs n'ont qu'une confiance limitée dans les cadres des forces régulières et, en conséquence, ils privilégient les pasdaran considérés comme les véritables soutiens idéologiques du régime.
Jusqu'en 2008, l'armée était formée à une guerre de gros bataillons – comme lors du conflit Iran-Irak – alors que les pasdaran privilégiaient déjà les opérations non conventionnelles et l'emploi des « armes spéciales » dont ils ont la gestion.
Depuis, une véritable révolution stratégique a eu lieu, la priorité étant maintenant donnée au concept de la « guerre asymétrique ».
Les forces américaines
La Ve flotte américaine, aussi appelée US Naval Central Command (USNAVCENT), est placée sous le commandement de l'USCENTCOM, dont l'état-major se situe à Manama (Bahreïn). Sa mission principale consiste à assurer la libre circulation dans le détroit d'Ormuz.
Elle se compose en temps normal de deux porte-avions (environ 140 avions embarqués) et de deux porte-hélicoptères, accompagnés d'une trentaine de navires d'escorte et de soutien. Durant la guerre d'Irak de 2003, sa capacité avait été portée à cinq porte-avions et six porte-hélicoptères.
En cas d'évènements graves, la V° Flotte peut être considérablement renforcée. Par exemple, à la fin de l'été 2008, elle comptait quatre porte-avions (280 appareils embarqués) et une quarantaine de navires. Selon Washington, cela entrait dans le cadre normal de la relève annuelle. Cette fameuse relève peut éventuellement cacher un renforcement qui ne veut pas dire son nom. A noter que l'US Navy aligne onze porte-avions, tous à propulsion nucléaire. Généralement, quatre sont en maintenance lourde ce qui laisse sept bâtiments disponibles.
Les Etats-Unis entretiennent aussi de nombreuses bases autour de l'Iran Celles-ci peuvent être utilisées dans le cadre d'actions déclenchées contre Téhéran. Cela participe grandement au sentiment d'encerclement dont se plaignent régulièrement les Iraniens.
L'Iran a le sentiment d'être encerclé par les forces américaines.
Cette carte démontre que Téhéran n'a pas tort.
La stratégie de la guerre asymétrique iranienne
L'instance suprême de défense iranienne, le Conseil suprême de la Sécurité nationale (CSSN ou Faqih ), est l'organisme qui a en charge la définition de la stratégie adoptée par les forces iraniennes. Cette stratégie est appelée « guerre asymétrique ». A ce titre, de nombreux plans ont été conçus à l'avance. Une partie d'entre eux est testé en grandeur réelle lors d'exercices dont la partie visible n'est certainement pas la plus intéressante à suivre. En cas d'attaque ennemie, c'est l'ayatollah Khamenei qui décide quel plan doit être mis en œuvre et avec quelle intensité. En effet, une graduation de la riposte peut être envisagée.
En cas d'attaque majeure du territoire iranien, les objectifs suivants auraient été fixés :
- détruire la V° flotte américaine et tout bâtiment allié croisant dans le Golfe persique et en mer d'Oman ;
- paralyser toute navigation dans le détroit d'Ormuz en détruisant un maximum de navires de commerce, mais en évitant cependant de toucher des navires battant pavillons russe et chinois, de manière à préserver ces deux Etats qui se sont montrés jusque là « compréhensifs » à l'égard de Téhéran ; cela permettrait aussi aux mollahs de préserver de possibles partenaires pouvant servir de médiateurs entre Téhéran et les pays agresseurs ;
- frapper à l'aide de missiles sol-sol toutes les installations militaires américaines à portée et tous les complexes industriels dans la péninsule arabique, les terminaux pétroliers et gaziers constituant des objectifs de choix ;
- frapper Israël en utilisant de multiples moyens : des missiles sol-sol Shahab 3 et 4 [2], en déclenchant des révoltes dans les territoires occupés, une insurrection généralisée dans la bande de Gaza et en Cisjordanie, une attaque du nord de l'Etat hébreu à partir du Sud Liban (orchestrée par le Hezbollah libanais) et une vague sans précédent d'attentats sur l'ensemble du territoire israélien ;
- déclencher une insurrection généralisée à Beyrouth et à partir des camps de réfugiés palestiniens ; non seulement le Hezbollah libanais servirait de fer de lance à cette insurrection mais des mouvements sunnites infiltrés par le Vevak (les services spéciaux iraniens) seraient également utilisés ;
- lancer un maximum de manifestations violentes dans les capitales arabes, dans le but de déstabiliser les pouvoirs en place tout en mobilisant la rue, particulièrement en Syrie et au Maghreb ;
- généraliser l'insurrection au Yémen, en Irak, au Pakistan et en Afghanistan ;
- déclencher des attentats et des manifestations aux Etats-Unis, au Canada, en Europe occidentale et en Inde ;
- créer un maximum de troubles en Amérique latine en s'appuyant sur les pays hostiles à Washington (Venezuela, Equateur, Bolivie, Nicaragua, etc.) ;
- s'attaquer aux ressortissants étrangers en Iran même : des prises d'ambassades de pays jugés hostiles constitueraient une bonne monnaie d'échange pour les négociations qui suivraient.
Seules la Russie et la Chine seraient épargnées, Téhéran souhaitant bénéficier de leur appui pour la suite des événements.
La défense du territoire : un but essentiellement psychologique
La défense aérienne, qui concerne les appareils de l'armée de l'air, les missiles sol-air et les canons de défense antiaérienne s'attend à subir des pertes considérables dans les premières heures d'un éventuel conflit. Aussi, seuls les points jugés comme particulièrement sensibles sont-ils protégés correctement. Les autorités iraniennes ne se font guère d'illusions : les objectifs visés par l'adversaire seront atteints malgré tous les moyens de défense mis en œuvre. L'objectif essentiel est donc d'abattre quelques aéronefs afin de capturer des aviateurs ennemis dans le but de les exhiber sur les medias internationaux. Pour prolonger cette action psychologique destinée aux populations occidentales, les résultats des bombardements, et plus particulièrement les destructions de sites civils, seront également filmés pour être largement diffusés sur les chaînes de télévisions internationales. L'objectif consiste à montrer l'horreur des dévastations causées par les agresseurs afin d'influencer les populations occidentales pour qu'elles fassent pression sur leurs dirigeants pour mettre un terme à la guerre. Cette manœuvre « psy » doit également servir dans un but de politique intérieure visant à unifier le peuple iranien derrières ses leaders qui « défendent la Patrie sauvagement agressée ».
L'armée de terre est chargée de dégager les décombres occasionnés par les bombardements et de garder les points sensibles pour éviter un soulèvement populaire toujours possible. Elle a aussi pour mission de pourchasser les commandos infiltrés sur le territoire iranien, particulièrement ceux chargés de récupérer les pilotes abattus.
Frappes maritimes
Attaque des flottes militaires
Hormis la marine et quelques avions et hélicoptères armés de missiles air-mer, les forces armées régulières ne participeraient pas directement aux opérations navales. En effet, les forces régulières sont surtout occupées à assurer la défense du territoire contre les raids adverses.
La marine pourrait mener des opérations depuis la nouvelle base navale de Jask située dans le golfe d'Oman, à 300 kilomètres au sud-est de Bandar Abbas, afin de s'attaquer aux forces multinationales en mer d'Oman. Elle prendrait aussi à partie tous les navires civils qui croisent dans la région. Toutefois, les navires de surface iraniens s'aventurant en mer d'Oman n'auraient une capacité de survie que de quelques heures avant d'être envoyés par le fond.
Les trois sous-marins 877 EKM de classe Kilo constituent certainement la menace maritime principale. Ils sont capables d'envoyer huit missiles à changement de milieu Noor 3 ou des torpilles supersoniques BA-111 Shkval . Ces dernières présentent l'inconvénient majeur d'obliger le submersible à trop s'approcher de la cible pour les lancer. Il est probable qu'il paierait cher cette opération. L'emploi des missiles à changement de milieu Noor 3 est donc le plus probable.
Des Su-24 Fencer (une vingtaine sur les 30 en dotation serait opérationnelle), des F-4 D et E Phantom (seuls 25 de ces appareils seraient encore en état de voler), des hélicoptères Mi-17 peuvent mettre en œuvre des missiles air-mer C-801K, C-802 Noor 2 et Kowsar. Des hélicoptères SH-3D Sea King peuvent faire de même avec des missiles Fajr-e Darya . Mais les aéronefs iraniens n'auraient qu'une capacité de survie extrêmement limitée. Non seulement ils pourraient être abattus en vol relativement facilement, mais, même si ce n'était pas le cas, ils auraient beaucoup de mal à trouver un endroit sûr pour se poser et se réapprovisionner en carburant et munitions. Il semble donc qu'ils représentent surtout un danger de « première frappe » obligatoirement limitée dans le temps.
Les huit batteries côtières équipées de SS-N-22 Sunburn (hypothèse haute), si elles sont parvenues en Iran, pourraient avoir été installées dans des fortifications situées entre Jask et Chabahar le long de la côte sud du pays. Elles peuvnet être utilisées contre des objectifs situés entre 120 et 400 kilomètres des côtes. Il n'est pas exclu que Téhéran puisse avoir aussi obtenu quelques batteries de SS-N-26 Yakhont pourraient être mises en œuvre de la même manière.
En rouge foncé : la portée des missiles Silkworm ;
en rouge clair : celle des C-802 Noor 2 .
Les cibles principales seraient les porte-avions, porte-hélicoptères, navires de ravitaillement et de transport de troupes de l'US Navy et de l'US Marines Corps. Non seulement ils présentent une silhouette plus importante, donc plus aisément atteignable, mais leur destruction, même partielle, aurait un impact psychologique beaucoup plus fort sur la communauté internationale et les rues persanes et arabes: un porte-avions américain en feu passant en boucle aux informations provoquerait une vague d'enthousiasme pour tous les anti-Yankees et une grande désespérance en Occident.
La tactique iranienne consiste donc à saturer les défenses adverses en n'attaquant que quelques navires importants avec des salves de missiles délivrés depuis les batteries côtières, des aéronefs et des sous-marins. Dans le lot, un certain nombre pourrait avoir la chance de franchir les barrages défensifs de l'adversaire. D'autre part, les lance-missiles terrestres seraient mis à l'abri dans des bunkers aussitôt après le tir d'un vecteur. Ils ne seraient ressortis que plus tard pour lancer une deuxième frappe et ainsi de suite. Pour leur part, les radars d'acquisition ne seraient activés qu'épisodiquement de manière à rendre plus difficile leur localisation et leur destruction. Enfin, les Iraniens déploieraient de nombreux leurres pour attirer les tirs adverses : fausses batteries, faux radars, réseaux radio bidons, etc.
Frappes sur les navires de commerce
Les pasdaran entreraient aussi en action afin d'effectuer des frappes de représailles. En effet, les batteries de missiles sol-mer sont exclusivement mises en œuvre par la composante maritime des pasdaran dont l'état-major a, par ailleurs, récupéré à son profit, depuis la mi-2008, le commandement opérationnel du détroit d'Ormuz. Il semble même qu'ils aient sous leur responsabilité la gestion de l'ensemble du Golfe persique.
Une centaine de batteries ont été déployées le long de la côte sud de l'Iran. Certaines d'entre-elles ont été installées sur les îles de Tumb, de Siri et d'Abou Moussa (Abu Musa).
Tous les objectifs civils et militaires passant à portée de ces batteries feraient l'objet d'une première frappe massive. Les Iraniens profiteraient particulièrement de l'Automatic identification system (AIS), devenu obligatoire depuis la mise en vigueur du code International Ship and Port Security (IPSP), pour identifier leurs cibles civiles en donnant la préférence aux navires occidentaux.
Frappes diverses
Par ailleurs, les navires à quai dans les ports d'Irak, d'Arabie saoudite, des Emirats arabes unis et d'Oman seraient également visés. Pour ces derniers objectifs, les Iraniens utiliseraient massivement des missiles sol-sol Shahab 1 et 2 (versions améliorées des Scud B, C et D). Certaines de ces armes sont équipées de têtes militaires comportant 1 400 sous-munitions explosives particulièrement dévastatrices. Le réglage des tirs est d'autant plus facile que les objectifs sont connus et déjà repérés par les services secrets iraniens. Il suffit d'entrer les coordonnées des buts à atteindre dans les systèmes de guidage des vecteurs et le tour est joué !
Toutes les bases militaires américaines dans la région, les points sensibles de pays considérés comme hostiles, au premier rang desquels Israël, feraient l'objet de tirs de missiles sol-sol, essentiellement Shahab 3 . Il est toutefois probable que Téhéran s'abstiendrait d'utiliser des charges non conventionnelles (en particulier chimiques) pour ne pas essuyer un tir de représailles massif, voire nucléaire. Il est également probable que la Turquie ne subirait pas de bombardements si les Américains n'utilisent pas la base d'Incirlik pour lancer des raids sur l'Iran. En effet, il est possible que les mollahs ne souhaitent pas se mettre à dos la deuxième puissance (en nombre de combattants) de l'OTAN.
Les pertes envisagées
Dans les premières heures du conflit, l'aviation, la marine et la défense anti-aérienne iraniennes seraient neutralisées à plus de 90%. Autant dire qu'elles ne représentaient plus une menace sérieuse.
En ce qui concerne les missiles sol-mer, des tirs de contrebatteries seraient déclenchés, non seulement à partir des navires de guerre mais également par l'aviation américaine embarquée sur les porte-avions présents dans la zone, par des chasseurs-bombardiers basés dans les Etats du Golfe [3] et par les B-52 de Diego Garcia. Grâce à ces actions, dans les premières heures du conflit, 60% des batteries côtières pourraient être réduites au silence. Les 40% restantes, bien protégées dans des casemates et des tunnels creusés dans les massifs montagneux parviendraient cependant à renouveler leurs tirs [4]. En moins de 24 heures, les Iraniens peuvent tirer plus de 300 missiles sol-mer sur les navires civils et militaires naviguant dans le Golfe persique et en mer d'Oman.
Des essaims de vedettes rapides pilotées par des membres de la composante maritime des pasdaran pourraient s'en prendre aux navires de commerce. Elles opèreraient en meutes d'une vingtaine d'embarcations attaquant leurs cibles de toutes parts. Certaines pourraient même s'emparer de quelques navires civils avant de les détourner vers des ports iraniens. Il n'est pas exclu non plus que certains pétroliers ou méthaniers ainsi saisis ne soient précipités sur des installations portuaires des Etats du golfe.
Parallèlement, des nageurs de combat pourraient s'en prendre aux mêmes objectifs bordant le Golfe persique. Même symboliques, leurs actions auraient de grandes répercussions médiatiques.
Surtout, les missiles sol-sol mis en œuvre par les pasdaran continueraient à tomber sur des cibles diverses. La première guerre d'Irak a démontré toute la difficulté qu'il y a à neutraliser ce type de batteries, le plus souvent mobiles.
Même si une grande partie des armes offensives iraniennes étaient mises hors de combat, il resterait au moins un millier de mines (dont les redoutables EM-52 autopropulsées d'origine chinoise) pouvant être disséminées dans le Golfe persique, obligeant les bâtiments civils à naviguer en convois escortés par des navires de la coalition qui procèderaient à un déminage de proximité intensif. Ces navires se mettraient à l'abri dans les seuls ports restés intacts dans la région. Le reste rejoindrait la haute mer pour aller se mettre hors de portée des armes iraniennes encore opérationnelles. Le trafic maritime pourrait alors être totalement interrompu dans la région, pour de longues semaines.
La Lloyd's de Londres estime que 546 navires commerciaux ont été endommagés durant la Tanker War qui a eu lieu entre 1984 et 1988 et que 430 marins civils ont été tués. La plupart des attaques ont été lancées par les Iraniens à l'aide de missiles antinavires, de mines dérivantes et de vedette rapides à l'encontre de navires s'approvisionnant au Koweït.
Dans des simulations non dévoilées au grand public, le commandement de l'US Navy a admis que l'ensemble de la Ve flotte pourrait être anéanti par une frappe d'envergure iranienne. En effet, les mesures de défense actuelles sont jugées notoirement insuffisantes pour contrer toutes les attaques qui peuvent être lancées, notamment celles des missiles sol-mer iraniens. Washington a d'ailleurs décidé de suspendre la construction de nouveaux porte-avions tant que les contre-mesures adaptées à cette menace n'auraient pas été trouvées.
Il est parfaitement envisageable qu'une centaine de navires civils (sur les 500 estimés sur zone) soit touchés plus ou moins gravement, en particulier par les missiles sol-mer iraniens.
D'autres pourraient être atteints alors qu'ils seraient appontés aux terminaux pétroliers et gaziers de la rive sud du Golfe persique et de la mer d'Oman. Toutefois, les navires de fort tonnage pourraient mieux survivre aux frappes militaires. Néanmoins, s'ils étaient touchés, de graves dégâts – dont des incendies – pourraient en résulter. La pollution marine qui serait provoquée par les navires endommagés et coulés serait extrêmement importante.
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Pour Téhéran, le but poursuivi est que le résultat d'un tel conflit soit apocalyptique, non seulement pour ses adversaires (le Grand et le Petit Satan), mais également pour les pays de la région. La majorité des terminaux pétroliers et gaziers de la zone seraient mis hors d'usage pour une période indéterminée. La circulation maritime serait interdite durant plusieurs semaines dans le détroit d'Ormuz. Une crise énergétique mondiale bien supérieure à celles que le monde a connu jusqu'à présent en découlerait immanquablement. La rue arabe serait livrée à la révolte qui serait réprimée dans le sang. Israël devrait faire face à plusieurs fronts simultanément. Les institutions libanaises, afghanes, irakiennes, yéménites et peut-être pakistanaises seraient gravement déstabilisées. Enfin, la contestation populaire en Occident pourrait prendre, dans certains Etats, un tour insurrectionnel car l'anti-américanisme latent serait rejoint par un rejet global de la société de type capitaliste qui souffre déjà beaucoup de la crise économique actuelle.
Ces constatations connues des stratèges font qu'aucun pouvoir à l'heure actuelle, ni à Washington ni à Tel-Aviv, ne semble avoir l'intention de s'attaquer militairement à l'Iran. Téhéran sait d'ailleurs parfaitement jouer du chaud et du froid pour calmer les ardeurs bellicistes de certains responsables politiques. Un jour une provocation, le lendemain une proposition de négociation. Les gouvernants occidentaux acceptent de participer à ce « jeu » en feignant de croire aux « propositions constructives » et en ignorant ostensiblement les provocations, aussi énormes soient-elles ! Pour l'instant, la stratégie de la guerre asymétrique programmée par Téhéran semble donc fonctionner.
Viendra le temps où l'Iran aura les capacités techniques de posséder un arsenal nucléaire qui lui permettra une politique de dissuasion. Il est possible que, comme pour Israël, Téhéran joue alors dans le royaume du « non dit ». Tout le monde « saura » mais la responsabilité ne sera pas assumée officiellement. Avec les années, les mollahs, confortablement installés au pouvoir, pourront alors attendre sereinement que la logique économique reprenne le dessus. En effet, cette dernière ne peut se permettre le luxe de mettre sous embargo permanent (et battu en brèche par de nombreux Etats dont la Chine et la Russie) ce pays dont les ressources naturelles sont importantes et la population avide de vivre, donc de consommer.
- [1] Ali Saidi représente le Guide Suprême de la Révolution auprès de l'état-major des pasdaran. Depuis l'été 2008, les forces terrestres sont commandées par le brigadier général Mohammad Jafar Assadi (ou Mohammed-Reza Zahedi, le remplacement de ce dernier n'ayant jamais été confirmé). La composante maritime est dirigée par le vice-amiral Ali Morteza Saffari. La composante aérienne est commandée par le brigadier général Hossein Salimi. Le corps Sepah al-Qods est dirigé par le brigadier général Qasem Suleimani.
- [2] Les Iraniens parlent de 600 missiles de ce type pointés sur Israël. Le renseignement israélien croit plus à l'existence de 30 à 60 missiles. Ces tirs devraient être en partie contrés par le dispositif Homa (muraille) qui mettrait en œuvre le système Arrow développé conjointement par Israël Aircraft Industries (IAI) et Boeing. D'autre part, les Américains ont déployé un système de détection anti-missiles en Israël en septembre 2008. Tout un système de défense anti-missiles devrait être opérationnel dans la région courant 2010.
- [3] Les Etats-Unis entretiennent 150 000 hommes en Irak, 30 000 au Koweït, 4 500 à Bahreïn, 3 300 au Qatar sans oublier les 68 000 militaires présents en Afghanistan.
- [4] Durant la guerre contre l'Irak, les Iraniens sont passés maîtres dans la conception et la réalisation de casemates, tunnels protégés et autres abris. Ils ont enseigné ces savoir-faire au Hezbollah qui les a mis en œuvre lors du conflit intervenu contre Israël au Sud Liban en 2006.