La difficile succession du mollah Omar
Alain RODIER
Le mollah Aktar Mohammad Mansour
Le décès du mollah Omar, le « commandeur des croyants » et chef spirituel des taliban afghans et d'Al-Qaida « canal historique », a été officialisé fin juillet. Son successeur est le mollah Aktar Mohammad Mansour, né dans les années 1960, dans la tribu pachtoune Ishaqzia. Etudiant en religion au Pakistan au début des années 1990, il interrompt ses études pour rejoindre les taliban afghans un an après leur formation, en 1994. Ancien manutentionnaire à l'aéroport de Kandahar, il est nommé ministre de l'Aviation et des Transports, poste qu'il occupe jusqu'à l'invasion américaine de 2001. Cadre intermédiaire des taliban afghans, il ne franchit les derniers échelons hiérarchiques qu'après la mort ou la capture des dirigeants de ce mouvement. Ce n'est qu'en 2010 qu'il est désigné chef de la choura de Quetta, l'organe de commandement des taliban[1]. Mansour est considéré comme raisonnable, éloquent, proche de ses hommes et riche, vraisemblablement en raison du trafic d'opium qu'il aurait dirigé alors qu'il était ministre des Transports. De cette époque, il est vraisemblable qu'il ait gardé des contacts utiles.
En ce qui concerne la disparition du mollah Omar, le nouveau « commandeur des croyants » – puisqu'il a été désigné comme tel lors de la dernière réunion de la choura – n'avait plus le choix. L'information circulait dans la presse, était annoncée par les services de renseignement afghans et des fuites avaient même lieu dans les rangs des taliban. Bien que le mollah Omar ait toujours été extrêmement discret – il n'était plus apparu en public depuis 2001 -, certains chefs de groupes s'étonnaient de son silence prolongé. Pour couper court à la rumeur, trois communiqués émanant soi-disant du mollah Omar avaient été émis depuis le début de l'année 2015, mais plus personne n'était dupe. C'est donc contraint et forcé que le mollah Mansour a annoncé la mort par maladie de son prédécesseur, vraisemblablement en avril 2013. Si le secret a été gardé si longtemps, c'est parce que les taliban afghans ne constituent pas un mouvement homogène mais un conglomérat de groupes dont les chefs revendiquent une grande indépendance. Le mollah Mansour attendait que son autorité personnelle soit reconnue par le plus grand nombre pour se déclarer. Son plus grand souci est désormais de préserver l'unité des taliban afghans.
La stratégie des taliban
Les plans des taliban sont clairs : maintenir un climat d'insécurité minimum pour affirmer leur présence et attendre patiemment le départ des derniers militaires étrangers pour passer à l'offensive générale contre le régime de Kaboul. Depuis la désignation du mollah Mansour comme nouveau chef des taliban, les attentats se multiplient en Afghanistan, faisant des dizaines de tués et des centaines de blessés. Cette recrudescence des attentats est vraisemblablement commanditée par Mansour qui cherche à s'affirmer comme le leader naturel de la guerre dirigée contre le régime en place à Kaboul. Il a retenu la leçon infligée à Al-Zawahiri par al-Baghdadi, l'accusant d'immobilisme, ce qui a permis à ce dernier de recruter des activistes dans les rangs des « déçus » d'Al-Qaida « canal historique[2] ». En effet, les djihadistes internationalistes demandent de l'action immédiate sur le terrain et pas des objectifs à long terme.
Pour tenter de prévoir l'avenir, il est utile d'examiner le passé. Il a fallu deux ans aux rebelles afghans pour prendre Kaboul après le départ des Soviétiques en 1979. Ces derniers avaient laissé des forces de sécurité bien plus puissantes et mieux équipées que celles actuellement en place. Dès que l'appui international sera parti, il est probable que nombre de garnisons tomberont sans combattre dans les mains des taliban, car ce sont les seuls à avoir la motivation et la détermination nécessaires pour l'emporter. Les uniques résistances à leur avancée seront locales et tribales, mais le sort de Kaboul paraît scellé. Les négociations qui se déroulent régulièrement sous le manteau font partie des traditions ancestrales de la région. Mais, elles n'aboutissent jamais, la force des armes ayant toujours le dernier mot.
Le problème Daech
Le mollah Omar était jusqu'à sa mort la principale autorité politico-religieuse en région AfPak et pouvait s'opposer à al-Baghdadi, le leader de Daesh qui se présente comme le « calife de tous les musulmans » et qui a instauré une province du Khorasan couvrant l'Afghanistan, le Pakistan, l'Inde et le Bangladesh, dépendant de l'organisation Etat islamique (EI). Le mollah Omar pouvait contrebalancer l'influence morale d'Al-Baghdadi. En effet, son âge – estimé entre 60 et 65 ans – et son érudition reconnue en religion musulmane faisait apparaître Baghdadi – qui n'a qu'environ 45 ans – comme un jeune freluquet prétentieux même s'il a suivi des études religieuses à Bagdad.
C'est plus compliqué pour le mollah Mansour qui a interrompu ses études religieuses dans la madrasa pakistanaise où officiait le mollah Omar pour rejoindre les taliban afghans en 1995. Il ne peut donc se prévaloir du titre d'« érudit de l'islam ». De plus, les gros mensonges concernant la disparition du mollah Omar diffusés par la direction des taliban afghans risquent d'entamer la confiance des populations locales. Il n'est pas impossible que l'EI soit vu par elles avec un œil plus favorable dans les mois à venir. Et ce que craignent les taliban, ce sont les défections massives.
Cela dit, le contexte est différent que sur d'autres théâtres d'opérations où Daech a le vent en poupe, comme au Sinaï, en Libye ou au Nigeria. En Afghanistan, ce sont les taliban afghans qui sont en « odeur de victoire » et la dynamique psychologique leur est encore favorable. De plus, il semble que Al-Qaida « canal historique » soit derrière le mollah Mansour, puisque le 5 août, les trois branches extérieures du mouvement – le Front Al-Nosra en Syrie ; Al-Qaida dans la péninsule arabique (AQPA) au Yémen ; et d'Al-Qaida au Maghreb islamique (AQMI) au Sahel – ont diffusé un communiqué commun à la gloire du défunt mollah Omar, sous l'autorité morale duquel s'était placé docteur Ayman Al-Zawahiri, mais sans cependant parler de son successeur. On attend donc maintenant une déclaration officielle du leader d'Al-Qaïda, laquelle tarde un peu à venir.
La partie n'est donc pas gagnée pour Daech dans cette région. L'EI en zone AfPak est constitué essentiellement de défecteurs des taliban pakistanais, particulièrement du Tehrik-e-Taliban Pakistan (TTP). D'ailleurs, le chef de la province Khorasan proclamée en janvier de cette année, est Hafiz Saed Khan, un taleb pakistanais[3]. Les taliban afghans seraient environ 40 000, auxquels il faut ajouter les 15 000 hommes du réseau Haqqani. D'ailleurs, un des deux adjoints du nouveau « commandeur des croyants » est Sirajuddin Haqqani, un des fils de vieux chef de guerre afghan. Les activistes de l'EI présents sur zone ne seraient pour leur part que quelques centaines, auxquels il convient d'ajouter les militants du Mouvement islamique d'Ouzbékistan (MIO) dont le chef, Othman Ghazi, a fait allégeance à Al-Baghdadi, le 31 juillet[4]. Bien sûr, il peuvent mener des actions terroristes (ce qu'ils ont commencé à faire) mais ils n'ont pas la puissance militaire pour s'opposer directement aux taliban afghans et, encore moins pour tenir le terrain en permanence.
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En zone AfPak, l'EI se présente en outsider. Tout va dépendre de la logique tribale qui est très forte localement. En effet, les taliban ont des objectifs essentiellement nationaux alors que l'EI est internationaliste. Il n'est pas certain que les Afghans soient séduits par cette vision des choses, d'autant qu'ils ont toujours eu en horreur les influences étrangères et qu'Al-Baghdadi est un « étranger » pour eux. De plus, les chefs de guerre les plus anciens, mais souvent les plus influents, ne sont certainement disposés à prêter allégeance à ce nouveau calife. Toutefois, demeure le problème des proches du mollah Omar, dont son fils Yacoub âgé de 6 ans, qui ne semblent pas favorables à la nouvelle direction du mouvement…
- [1] Il existe toutefois deux autres chouras, l'une à Peshawar et l'autre à Miramshah.
- [2] D'autres responsables de différentes branches d'Al-Qaida se sont aussi aperçu que pour éviter de perdre des fidèles, il fallait passer à l'action. C'est ce qui explique en grande partie l'énergie retrouvée par Al-Qaida au Sahel et au Yémen.
- [3] Les Américains ont annoncé l'avoir éliminé par un tir de drone mais des démentis ont été émis. Comme d'habitude, il convient d'être prudent et d'attendre pour voir; mais s'il est mort, il sera remplacé par un autre djihadiste.
- [4] Entre 1 000 à 3 000 hommes répartis entre le Pakistan et un peu en Afghanistan.