La criminalisation de l’Irak
Alain RODIER
La situation chaotique que connaît actuellement l'Irak provoque une intensification de la criminalisation dans le pays. Si, depuis l'embargo décrété en 1991, ce phénomène avait eu tendance à croître, particulièrement sous la houlette du pouvoir de Saddam Hussein qui cherchait par tous les moyens à reconstituer ses forces armées étrillées par le conflit du Golfe, la criminalisation décentralisée s'est considérablement développée depuis l'invasion des forces américaines.
Au nord, la zone contrôlée par les kurdes est depuis 1991, le lieu de tous les trafics qui passent aussi bien par la Syrie que par la Turquie. Le plus répandu jusqu'à la deuxième guerre du golfe est celui du pétrole. Pendant des années, ce précieux produit est passé clandestinement en Turquie et en Syrie, transporté parfois dans des réservoirs trafiqués de camionneurs, soit par camions-citernes entiers, les autorités frontalières de ces deux Etats étant alors complices.
Parallèlement, le trafic de drogue s'est considérablement développé, la matière première (héroïne, produits à base d'opium, cannabis et amphétamines) provenant, soit de la plaine de la Bekaa, via la Syrie, ou de l'Afghanistan, via l'Iran, pour rejoindre l'Europe en transitant par la Turquie, par voie routière. La criminalité organisée turco-kurde, qui contrôle la « route des Balkans », se chargeait des transferts puis de la commercialisation en Europe occidentale. En retour, des armes étaient importées en Irak, en particulier en provenance des ex-pays de l'Est. Le pouvoir de Bagdad a profité de ces trafics pour importer des pièces de rechanges pour ses matériels militaires, via la Jordanie. C'est ainsi, qu'une partie de la flotte aérienne a pu être remise à niveau, en particulier, les Mirages F1. Mais les pilotes n'ont jamais pu effectuer le nombre d'heures de vol nécessaires pour être réellement opérationnels.
Le désordre qui a suivi l'occupation américaine a entraîné le développement des trafics, généralement orchestrés par des chefs locaux, tels ceux des tribus sunnites – les Chammar, Douleimi et Jabouri – du centre du pays. La Jordanie est alors devenu un lieu de transit important pour les stupéfiants. Une nouveauté cependant, la consommation locale de drogue s'est notablement accrue, ce qui a généré un nouveau marché non dédié à l'exportation. Les Chiites se livrent également à divers trafics illicites, en particulier en collaboration avec leurs homologues iraniens. C'est ainsi que des trafiquants notoires ont pu accéder au pays sous la couverture de pèlerins se rendant dans les villes saintes. Par exemple, le chef de la tribu chiite Al Ouloum, qui tente de prendre le contrôle de Nadjaf ,est considéré comme un voleur et un affairiste. Dans le sud du pays, les deux tribus Tamini et Saadoun se disputent les trafics juteux.
Le trafic d'armes fait également recette, soit à partir des stocks de l'ancienne armée irakienne, dévalisés juste après l'intervention américaine, soit avec des armes provenant des ex-pays de l'Est. Mais leur nature a changé. Il ne s'agit plus d'obtenir des pièces de rechange pour des armements sophistiqués, mais des armes d'infanterie et des munitions pour approvisionner les différents groupes de guérilla ou les milices locales.
A tous ces trafics sont venus s'ajouter une véritable « industrie de l'enlèvement », dont les principales victimes sont irakiennes. Si certaines de ces actions ont un but terroriste, la plupart d'entre elles sont purement crapuleuses. Il s'agit de soutirer de l'argent à ceux qui en ont : médecins, hommes d'affaires, propriétaires terriens, politiques, etc. Car il existe encore en Irak de « grosses fortunes, parfois illégalement acquises par le passé. Elles attirent la convoitise des gangs criminels qui s'en prennent donc à des membres de leur famille, avec une certaine prédilection pour l'enlèvement des femmes et des enfants. Ces rapts sont parfois orchestrés depuis l'étranger et camouflés en actions de guérilla. C'est sans doute le cas pour l'enlèvement des trois journalistes roumains, Marie-Jeanne Ion, Eduard Ohanesian et Sorin Miscoci. Selon la justice roumaine, ces rapts, survenus le 28 mars 2005, auraient été organisés par l'homme d'affaires roumano-syrien Omar Hayssam avec la complicité du guide américano-irakien Mohamed Munaf. Cet enlèvement qui a duré 55 jours était destiné à influencer la justice roumaine qui reproche à Omar Hayssam de nombreuses infractions à caractère économique.