La Bolivie devient un narco-etat
Alain RODIER
L'arrivée au pouvoir d'Evo Morales laisse prévoir que la Bolivie va devenir "officiellement" un narco-Etat. Cette nouvelle « zone grise » permettra aux trafiquants de tout poil de trouver toutes les facilités dont ils ont besoin, particulièrement dans le domaine du blanchiment de l'argent sale issu du trafic de drogue.
Une vocation ancienne
Le fait que la Bolivie soit un pays producteur de coca est ancestral. En effet, ce produit a toujours été cultivé dans la région, ses vertus médicinales étant appréciées de la population locale. Le développement industriel de cette culture est plus récent et date du succès remporté par les trafics de drogue aux Etats-Unis et en Europe. Depuis plus de 20 ans, tous les pouvoirs (nombreux) qui se sont succédés à la tête de l'Etat, ont profité de la manne apportée par les narcotrafiquants, même s'ils ont participé jusqu'en 2001 à une politique d'éradication lancée par les Etats-Unis sous le nom de « plan Colombie ». Cette politique a largement échoué en Bolivie car les cultures de substitution proposées ont été incapables d'apporter de quoi vivre aux paysans. Si bien, qu'à l'heure actuelle, 64% de la population vit en dessous du seuil de pauvreté1 .
Les statistiques officielles – vraisemblablement largement sous-évaluées – font état de 30 000 hectares dédiés à la culture de la coca, dont une partie est considérée comme légale, car fournissant l'industrie pharmaceutique ; une autre est une production destinée à l'usage local, selon une tradition ancestrale. 80% de ces superficies sont localisées dans le Yungas, au nord-est du département de La Paz. 20% se situent dans la province du Chapare (région située entre Santa Cruz et Cochabamba) et dans la région d'Apolo, au nord de La Paz. Bien que la production globale ne soit pas connue officiellement, la Bolivie est considérée comme le troisième fournisseur de feuilles de coca après la Colombie et le Pérou.
Evo Morales, un président singulier
Ce syndicaliste indien2 de 49 ans, d'ethnie aymara et originaire du département d'Oruno, devenu secrétaire général du Movimiento al Socialismo (MAS, Mouvement vers le Socialisme), représente depuis plus de vingt ans les intérêts des producteurs de coca, appelés Cocaleros. En octobre 2003, ils avaient largement contribué à ce qui a été appelé la « guerre du gaz »3, qui a amené la démission et le départ en catastrophe du président Gonzalo Sanchez de Lodaza Bustamente vers Miami. A noter que lors des élections présidentielles du 30 juin 2002, Evo Morales était déjà arrivé en deuxième position juste derrière Sanchez de Lodaza.
Ce radical autoritaire est profondément anti-occidental et, plus particulièrement, violemment anti-américain. Ce sentiment est si important qu'il a été jusqu'à se réjouir publiquement des attentats du 11 septembre 2001 ! Il porte un véritable culte à Che Guevara et entretient des relations d'amitié avec Fidel Castro et Hugo Chavez, le président vénézuélien actuellement en froid avec Washington. Il est à noter que, même avant son investiture officielle, Evo Morales a rendu visite à son ami Castro. Il a d‘ailleurs marqué sa préférence au projet de « l'Alternative bolivarienne pour les Amériques » (ALBA) prôné par le leader cubain en opposition à la « Zone de libre échange des Amériques » (ZLEA) soutenue par Washington. Moralès devrait également se rendre en Chine populaire4 et au Brésil.
La criminalité organisée
Même si la criminalité locale est très importante – le pays est considéré comme l'un des moins sûrs du monde pour les étrangers, qu'ils soient touristes ou hommes d'affaires – la Bolivie n'a pas développé d'organisation criminelle transnationale comme la Colombie ou le Mexique. Ce sont donc les trafiquants étrangers qui viennent « faire leur marché » dans le pays, afin de transformer la coca, l'expédier et la distribuer, principalement aux Etats-Unis et en Europe. Le cas du Venezuela semble exemplaire et pourrait faire tache d'huile en Bolivie. En effet, depuis l'arrivée au pouvoir d'Hugo Chavez, trois barons de la drogue colombiens faisant partie des dix personnes les plus recherchées par le FBI, ont trouvé refuge dans ce pays : Diego Montoya, Juan Carlos et Wilber Valera. En outre, le Venezuela a rompu tous les accords anti-drogue qui le liaient précédemment aux Etats-Unis. Le résultat ne s'est pas fait attendre : le 29 décembre, les autorités espagnoles saisissaient 2,2 tonnes de cocaïne en provenance de cet Etat qui servirait de plaque tournante au cartel « Del norte del Valle » colombien.
Un avenir préoccupant
La suite des événements est facile à imaginer. Les organisations criminelles transnationales vont se précipiter en Bolivei afin de tenter de dominer le marché. Des guerres intestines sanglantes vont se dérouler entre cartellitos colombiens, cartels mexicains, péruviens et brésiliens. Il n'est pas exclu que des criminels étrangers à l'Amérique latine ne se joignent à la tentative de contrôle du marché local de la coca : triades chinoises actuellement en pleine expansion dans la région, Cosa Nostra américaine, mafias italiennes, organisations albanaises, etc. Le nouveau président va les laisser faire pour deux raisons : obtenir un maximum de devises afin de contenter sa base électorale et, par dessus tout, participer à la « pourriture » des civilisations occidentales qu'il exècre. En effet, participer à la déchéance de plus de deux millions d'Américains et à un nombre indéterminé d'Européens qui se « shootent » régulièrement à la cocaïne n'est certainement pas pour lui déplaire.
Parallèlement, sous l'œil larmoyant et bienveillant d'une bonne partie des intellectuels marxistes européens5, le président nouvellement élu, va développer les liens économiques – drogue y compris – avec Cuba, le Venezuela et le Pérou. Il apportera certainement son soutien aux mouvements marxistes de Colombie, particulièrement aux Forces Armées Révolutionnaires de Colombie (FARC), qui financent notamment leur effort de guerre avec le trafic de drogue, en relation avec le cartel mexicain de Tijuana. Il y a d'ailleurs fort à parier que ces derniers seront ceux qui « remporteront le marché ».
Il n'est pas impossible que des islamistes radicaux ne viennent compléter le dispositif en se servant de la Bolivie comme nouvelle base arrière pour « coloniser » les terres qu'ils ont perdu par ailleurs. Les islamistes sont déjà présents dans la région dite des « trois frontières » entre le Paraguay, l'Argentine et le Brésil.
Tôt ou tard, cette situation sera jugée comme totalement insupportable par Washington. Historiquement, depuis sa création le 6 août 1825, la Bolivie a connu environ 200 coups d'Etat (ou tentatives). Un nouveau renversement du pouvoir n'est donc pas à exclure, mais pas dans l'avenir immédiat, l'instabilité interne est telle6 que tout est possible, même sans coup de pouce extérieur. Cela est d'autant plus vrai que l'économie du pays dépend beaucoup de l'aide apportée par les pays étrangers. En particulier, les Etats-Unis participe à 10% du PIB de la Bolivie, dans le cadre du programme d'éradication de la coca. Si les richesses potentielles en gaz sont indéniables, les compagnies prêtes à investir afin d'assurer son exploitation sont restées très prudentes ces dernières années, en raison même de l'instabilité politique et sociale que connaît le pays. Seule la République populaire de Chine, très active sur le continent sud-américain, pourrait arriver à tirer son épingle du jeu, d'autant que ses besoins énergétiques sont immenses. Enfin, les exigences nationalistes du nouveau président pourraient raviver le contentieux avec le Chili voisin qui ne veut en aucun cas rendre le « corridor d'Atacama », qui reliait jadis la Bolivie à l'océan Pacifique7.
En conclusion, l'Amérique latine, par le biais des pays hostiles aux Etats-Unis comme la Bolivie, le Venezuela et, dans une moindre mesure, le Brésil, est en passe de redevenir, avec le soutien de Cuba, une zone d'instabilité chronique. Le fait que Washington soit actuellement englué au Proche et Moyen-Orient n'y est certainement pas étranger. Ce fait n'est pas pour déplaire aux anti-américains et altermondialistes qui sont très influents en Europe occidentale. Le rôle que jouera le gouvernement socialiste en place à Madrid sera également intéressant à suivre.
- 1Les Américains et les Européens, Français en première ligne, refusent de laisser entrer librement les productions agricoles sur leurs territoires, le poids électoral des agriculteurs locaux étant bien trop important. L'échec de cette politique de substitution provient en grande partie de ce fait. Le sommet de l'Organisation Mondiale du Commerce (OMC) de Hongkong, en décembre 2005, en a été la parfaite illustration.
- 2Les Indiens constituent 70% de la population. Ils sont répartis en trois ethnies : les Aymara, les Quechua et les Guarani. 15% de la population est d'origine ibérique et le reste est constitué de métis.
- 3Le sous-sol bolivien, principalement dans le sud à Tajira, renferme les plus importantes réserves de gaz naturel après celles du Venezuela. Le seul problème d'importance est de l'extraire et surtout, de l'exporter hors du pays, la Bolivie n'ayant aucun accès direct à la mer, mais seulement des facilités dans des ports argentins, brésiliens, chiliens et paraguayens. Ses principaux clients actuels sont l'Argentine et le Brésil.
- 4Le rôle de la République Populaire de Chine en Amérique Latine n'est plus à souligner tant il est important.
- 5Immanquablement, La Paz va devenir un lieu de rencontres pour tous les altermondialistes connus.
- 6Même entre populations d'origine indienne, un futur opposant au nouveau président pouvant être Felipe Quispe, le leader du Movimiento Indigenista Pachakuti (MIP, Mouvement Indigène Pachakuti).
- 7Cette région a été cédée au Chili en 1884.