L’Iran ouvre un troisième front en Amérique latine
Alain RODIER
Téhéran poursuit sa politique étrangère destinée à empêcher Washington de déclencher une action militaire préventive ayant pour but de stopper son programme nucléaire militaire.
Après avoir « fixé » les forces américaines en Irak en apportant une aide de plus en plus ouverte à l'insurrection, aussi bien chiite que sunnite, après avoir volontairement déclenché une déstabilisation du Liban via Hezbollah et mouvements palestiniens interposés, Téhéran appuie désormais ouvertement certains Etats sud-américains dans leur désir de s'affranchir de « l'hégémonie » de Washington. Sur le plan international, Téhéran tente aussi de se trouver de nouveaux alliés afin de pallier à son isolement relatif sur la scène mondiale.
Une présence ancienne
La présence de Téhéran en Amérique latine par Hezbollah libanais interposé n'est pas nouvelle. Cependant, le président Mahmoud Ahmadinejad s'implique personnellement dans la région depuis septembre 2006, date de son premier déplacement officiel au Venezuela.
Les deux chefs d'Etats iranien et vénézuelien, devenus des « amis » très proches, anti-américanisme oblige, avaient alors convenu de « promouvoir la pensée révolutionnaire dans le monde ». Le président iranien s'est vu qualifier par son homologue vénézuélien, Hugo Chavez, de « frère » et de « combattant des causes justes ». Le président vénézuélien est d'ailleurs le plus fervent défenseur de la politique nucléaire iranienne.
L'Iran est le 4 e producteur de pétrole mondial et le Venezuela le 5 e. Ces deux Etats ont décidé de créer une alliance au sein de l'Organisation des pays exportateurs de pétrole (OPEP) de manière à réduire les quantités de pétrole disponibles, de manière à enrayer la chute des prix (environ -15%) intervenue depuis fin 2006, en particulier en raison de l'hiver clément que connaît l'hémisphère nord1. A terme, cette baisse des cours du pétrole représente une menace très importante pour l'économie des deux pays qui appliquent des recettes marxistes dont on connaît les résultats désastreux sur le long terme. En effet, les rentrées d'argent provenant de la manne pétrolière sont essentielles pour ces deux Etats (80% des revenus de l'Iran sont issus du pétrole), qui dépensent une bonne partie de leurs gains en équipements militaires. C'est ce même processus qui avait conduit à l'effondrement de l'URSS.
Téhéran et Caracas vont créer prochainement une société commune baptisée IranVenzOil, chargée d'explorer et d'exploiter des gisements pétroliers. Hugo Chavez s'apprête par ailleurs à nationaliser de nombreuses sociétés dont celles chargées de la prospection pétrolière dans la vallée du fleuve Orinoco. Les compagnies étrangères (British Petroleum, Chevron, ConocoPhilips, Exxon Mobil, Total et Statoil) qui sont parties prenantes dans cette affaire sont invitées à rester dans le pays dans la mesure où elles acceptent d'être minoritaires au sein des futurs conseils d'administration qui seront dirigés par la société d'Etat Petroleos. Caracas propose son pétrole à des tarifs divers, selon l'orientation politiques des Etats acheteurs. Ainsi, les pays amis comme Cuba et maintenant le Nicaragua bénéficient de prix préférentiels.
La relance du processus diplomatique
Du 13 au 15 janvier 2007, le président Ahmadinejad a effectué un voyage officiel qui l'a conduit au Venezuela, au Nicaragua – où le sandiniste Daniel Ortega, ancien ennemi juré de Washington, vient de reprendre le pouvoir2 – et en Equateur.
Dans ce dernier Etat, le président iranien a assisté à l'investiture de Rafael Correa, un économiste de gauche, nationaliste et ouvertement anti-libéral, qui s'est officiellement rapproché de Caracas. Lors de cette manifestation, le président Ahmadinejad a retrouvé le président bolivien Evo Morales, champion de la cause indigène et auteur de nationalisations dans le domaine des hydrocarbures. Il s'est également entretenu avec Michelle Bachelet, la nouvelle présidente du Chili, et Luiz Ignacio Da Silva, le président brésilien, tous deux considérés comme des socialistes modérés.
Le Nicaragua, le Venezuela, la Bolivie et Cuba forment l'« Alliance bolivarienne pour les Amériques » (ALBA), dont le but est d'unir leurs forces contre l'influence nord-américaine. Cette organisation pourrait être rejointe dans un avenir proche par l'Equateur et peut-être par le Nicaragua. Hugo Chavez, Rafael Correa et Evo Morales ont proclamé « l'arrivée du socialisme du 21 e siècle ». Cette doctrine qui reprend les poncifs marxistes-léninistes est fortement axée sur un anti-américanisme primaire, teinté et de populisme et de folklore sud-américain. Ces présidents sont considérés comme actuellement les plus hostiles à Washington.
Profitant de l'occasion qui lui est offerte, Ahmadinejab propose ouvertement de former une « alliance anti-américaine » avec les pays « révolutionnaires » d'Amérique latine, au premier rang desquels se trouve le Venezuela. Dans ce but, des accords de coopération économiques bilatéraux sont négociés avec ces alliés objectifs de Téhéran. L'intérêt des interlocuteurs sud-américains de l'Iran réside dans la signature de partenariats économiques – ce qu'ils font également avec la Chine3 – qui leur permettraient de s'affranchir au maximum de leur dépendance de Washington. Ainsi, depuis septembre 2006, des accords commerciaux ont été initiés avec le Venezuela dans le domaine des hydrocarbures, du fer, de l'acier, de l'industrie pharmaceutique et de la santé mais aussi sur le plan de l'industrie d'armement. Ces accords sont financés sur un fonds commun de 2 milliards de dollars. Une originalité cependant : Téhéran et Caracas ont décidé de financer conjointement des projets dans d'autres pays pour lutter « contre la faim, la pauvreté et le chômage ». L'objectif de cette mesure est évidemment de se rendre populaire dans un maximum d'Etats d'Amérique latine afin d'influencer à terme les électorats. Ahmadinejab, utilisant le sentiment anti-américain très répandu dans la région va même plus loin. Il demande à ses nouveaux alliés de « promouvoir la pensée révolutionnaire dans le monde » car les puissances occidentales – l'Europe est bien sûr également visée – sont pour lui responsables de la « discrimination et de l'injustice ».
Cette offensive diplomatique ne se limite pas à l'Amérique latine. Ainsi, le 16 janvier, le président iranien de retour de son voyage dans cette région, devait effectuer une escale technique de quelques heures à Alger afin de rencontrer son homologue, le président Abdelaziz Bouteflika. Pour des raisons inconnues, cette escale a été annulée à la dernière minute. Cela constitue un revers politique important pour Ahmadinejab.
Toujours dans le cadre de sa politique étrangère, Téhéran a invité des représentants du Mouvement des non-alignés auprès de l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA), ainsi que des chefs de file du Groupe des 77 et des représentants de la Ligue arabe, à se rendre en Iran au début février. Cette initiative a pour objectif de démontrer que l'Iran ne développe pas un programme nucléaire militaire. D'autre part, Téhéran continue à entretenir des liens commerciaux étroits avec la Malaisie. Enfin, il est probable que l'Iran va poursuivre ses efforts économico-diplomatiques en direction du continent africain.
- 1Cette raison avancée par les medias est loin d'être la seule. En effet, l'Arabie saoudite refuse pour l'instant de diminuer sa production, voulant en cela contrer l'influence grandissante de Téhéran.
- 2Pour parvenir à ses fins, l'ancien dirigeant du Front sandiniste de révolution nationale (FSLN), qui a été au pouvoir de 1979 à 1990, a considérablement atténué son discours, particulièrement vis-à-vis de l'église catholique.
- 3Depuis quelques années, la Chine a considérablement accru ses activités diplomatiques en Amérique latine afin de s'y fournir en matières premières, particulièrement énergétiques, dont elle a un besoin crucial pour accompagner son développement économique. En échange, elle peut apporter des produits manufacturés à bas coûts et participer au développement des pays sud-américains – notamment dans les domaines du génie civil et de l'armement – désireux de s'affranchir de la dépendance à l‘égard des Etats-Unis. Le crime organisé joue également un très grand rôle dans l'affaire. En effet, les Triades chinoises voient d'un très bon œil le développement d'une coopération avec les cartels sud-américains, particulièrement dans les domaines des trafics de drogue et d'êtres humains et du racket.