Kenya – Somalie : opérations des shebabs
Alain RODIER
Le 15 juin 2014 vers 20 h 50, une vingtaine d'assaillants ont attaqué le village de Mpeketoni, regroupant 3 000 âmes, situé sur la côte kenyane à une centaine de kilomètres au sud de la frontière somalienne, et surtout à proximité de l'île touristique de Lamu. Arrivés dans trois véhicules, dont un minibus arborant la bannière des shebabs, ils s'en sont pris d'abord au commissariat de police, aux clients d'un café qui regardaient un match de la coupe du monde football[1], puis aux hôtels Breeze et Mama Monica. Ils ont fait sortir les clients – tous kenyans – des établissements et leur ont demandé de réciter la shahada[2], la profession de foi musulmane. Les hommes qui n'ont pas su le faire ont été assassinés en pleine rue devant femmes et enfants. A chaque exécution retentissaient les cris « Allahu akbar » (Dieu est grand). L'objectif était clairement de tuer du chrétien, les musulmans étant épargnés. La raison invoquée pour commettre cette tuerie qui a causé la mort de 48 personnes était « le gouvernement kenyan tue des gens en Somalie ». Les assaillants parlaient somali et communiquaient par radio, ce qui tend à prouver qu'il y avait plusieurs groupes distincts sur le terrain.
Si vingt combattants ont été dénombrés formellement, il pouvait donc y en avoir plus, certaines sources parlant de cinquante. D'ailleurs, parallèlement, les attaquants s'en sont pris aux bâtiments officiels et aux banques en les incendiant. La nuit suivante, le même commando s'attaquait au village voisin de Poromoko, en assassinant au moins quinze personnes et en enlevant une douzaine de femmes.
Dès le 16 juin, un premier communiqué des shebabs adressé à Al-Jazeera affirmait : « le raid de Mpeketoni a été mené en réponse à l'invasion et l'occupation de nos terres musulmanes par les forces militaires kenyanes et pour le massacre de musulmans innocents en Somalie ». Dans les jours qui ont suivi, le cheikh Abdulaziz Abou Moussab, le porte parole des shebabs, revendiquait par téléphone ces opérations en affirmant : « les membres du commando ont accompli leur devoir et sont rentrés tranquillement à leur base ». Il a ajouté que de nouvelles attaques auraient lieu, menaçant directement les touristes. Il leur est demandé d'éviter le Kenya devenu « zone de guerre ».
Fort curieusement, le président kenyan Uhuru Kenyatta déclarait lors d'une allocution télévisée solennelle que ces drames étaient à imputer à des « réseaux politiques locaux ». Il affirmait qu'il ne s'agissait pas d'une attaque des shebabs. Il est vrai que la région a connu des affrontements ethniques en 2013. Dans les années 1970, des populations chrétiennes kikuyu du centre-Kenya avaient été déplacées vers cette région, provoquant des troubles au sein des communautés locales, en particulier avec l'ethnie Oromo qui avait été dépossédée d'une partie de ses terres au profit des Kikuyu.
Il semble toutefois qu'il s'agisse là d'un déni de réalité destiné à masquer l'impuissance des autorités face aux actions terroristes menées par les shebabs, lesquelles sont en constante augmentation au Kenya. Celle qui a le plus marqué les esprits est l'attaque du centre commercial Westgate de Nairobi, en septembre 2013, qui a causé la mort d'au moins 67 personnes. Les forces de sécurité kenyanes avaient alors brillé par leur incompétence à gérer ce type de situation. Lors de l'attaque de Mpeketoni, le poste de police a appelé à l'aide dès 21 h 00 ; Il n'a obtenu une première réponse que quatre heures plus tard et, non seulement les forces n'ont pas été capable d'intercepter le commando, mais ce dernier a été en mesure de se livrer à une deuxième action le lendemain. Le président kenyan a souligné que les services de renseignement n'avaient pas été capables de prévenir ces actions terroristes. Des sanctions administratives contre différents responsables sont tombées, mais l'impuissance des forces de sécurité face aux shebabs laisse mal augurer de l'avenir. Les Britanniques, qui ne s'y trompent pas, ont rapatrié des centaines de touristes en mai, suite à une série d'attaques à la bombe survenue en avril. Ils ont fermé « temporairement » leur consulat de Mombasa ; le « temporaire » pouvant durer un « certain temps ». La majorité des pays occidentaux, dont la France, déconseillent à leurs concitoyens de se rendre actuellement au Kenya sauf pour des raisons impératives. En conséquence le tourisme, source de revenus importante pour le pays, est actuellement en chute libre.