Kenya : attaque terroriste à Nairobi
Alain RODIER
Moktar Ali Zubeyr – alias Abdi Godane -, le chef des Shebab (à gauche)
et son représentant au Kenya, Ahmed Iman Ali (à droite)
Samedi 21 septembre 2013, un commando lourdement armé (fusils d'assaut et grenades), réparti en plusieurs équipes (vraisemblablement trois), a investi le Westgate Mall, le centre commercial huppé de Nairobi fréquenté par la bonne société et les expatriés. Ce Mall est éminemment symbolique pour les fanatiques islamiques, car il représente la « décadence » du monde occidental et, de plus, a été financé pour partie par des capitaux israéliens.
Depuis son ouverture en 2007, ce complexe commercial était, selon les autorités, « ultrasécurisé ». En fait, les sociétés de gardiennage embauchées avaient pour mission essentielle de parer aux actes de petite délinquance. Des dispositifs anti-véhicules piégés avaient bien été installés, mais il semble que personne n'avait songé à l'hypothèse d'un assaut par un groupe armé.
Revêtus de combinaisons noires, les activistes ont demandé aux personnes présentes de décliner leur religion[1]. Ils ont laissé sortir les musulmans et ont commencé à assassiner les autres personnes présentes. Les forces de sécurité dépêchées en urgence sur place les ont forcé à se replier en différents endroits, où ils se sont retranchés. Cette action semble être du type « sans retour » puisque les membres du commando auraient refusé d'engager un quelconque dialogue avec les forces de sécurité.
L'opération qui a causé des dizaines de victimes a été rapidement revendiquée par les Shebab somaliens (Harakat al-Shabaad al Mujahideen) via la chaîne Al Jazeera. Ils ont déclaré avoir voulu se venger des opérations menées par l'armée kenyane contre les musulmans en Somalie voisine. Malheureusement, ce drame était attendu depuis des années. En effet, dès 2010, les services de renseignement britanniques avaient prévenu qu'un attentat de grande ampleur était « imminent » à Nairobi. Pour les Affaires étrangères françaises, le risque d'attentat était élevé sur tout le territoire kényan.
Déjà, le 11 juillet 2010, un double attentat suicide avait fait 74 victimes dans deux restaurant de Kampala, en Ouganda, lors de la retransmission de la coupe du monde de football. Les Shebab avaient alors revendiqué cette opération destinée à « punir » le gouvernement ougandais pour sa participation à l'AMISOM (Mission de l'Union africaine pour la Somalie). Selon les autorités, cet attentat avait nécessité la participation d'une vingtaine d'activistes.
La récente attaque de Nairobi ressemble toutefois plus à celle qui a eu lieu à Bombay, du 26 au 29 novembre 2008, et qui a causé la mort de 173 personnes, dont 26 étrangers, sans compter les 312 blessés. Le groupe à l'origine de cette affaire serait le Lashkar-e-Taiba, un mouvement pakistanais qui entretient des relations avec Al-Qaida. Le but de cette opération était également d'assassiner des Occidentaux, des chrétiens et des juifs, tout en épargnant, si possible, les musulmans ; ce qui n'a évidemment pas été le cas.
Les souvenir de l'attentat dirigé contre l'ambassade américaine de Nairobi, le 7 août 1998, parallèlement à celui lancé contre la représentation diplomatique américaine en Tanzanie, qui a tué 212 personnes dont 12 Américains, est encore dans les mémoires. Ces deux actions terroristes sont considérées comme les premières opérations anti-américaines voulues par Al-Qaida. Elles ont été suivies par les attentats du 11 septembre 2001.
Les Shebab
Les Shebab (Parti de la jeunesse) sont des milices islamistes issues de l'Union des tribunaux islamiques somaliens qui ont dirigé le pays en 2006-2007. Ils font partie des mouvements affiliés à Al-Qaida, leurs chefs successifs ayant reconnu l'autorité d'Oussama Ben Laden puis de son successeur, le docteur Ayman al-Zawahiri. Les Shebab ont longtemps tenu la capitale Mogadiscio et le sud du pays, en particulier le port de Kismayo. Leurs effectifs étaient alors estimés à 6 000 activistes, appuyés par 15 000 sympathisants qui leur apportaient en particulier une aide logistique. Ils ont été chassés de leurs bases en 2011-2012, par les forces du Gouvernement fédéral de transition (GFT), appuyées par celles de l'AMISOM. Ils se sont repliés à l'intérieur du pays, dans les campagnes, d'où ils ont poursuivi leurs opérations terroristes meurtrières, dont l'attaque du siège de l'ONU à Mogadiscio, le 19 juin 2013 (15 morts).
Les revers enregistrés par les Shebab depuis 2011 n'ont pas été sans conséquence pour l'organisation même du mouvement. Ainsi, un vent de révolte a couru dans ses rangs, opposant violemment plusieurs factions. Il semble que la branche « internationaliste », qui privilégie le djihad mondial, s'est imposée à la branche « nationaliste », qui ne souhaitait que l'établissement en Somalie d'un Etat islamique appliquant strictement la charia.
En effet, Mokhtar Abou Al Zubeyr – alias Abdi Aw Mohamed Godane -, s'est retrouvé, de fait, investi du poste de chef des Shehab après avoir laissé son poste au profit d'Ibrahim Haji Jama Mead al-Afghani. Pour cela, il a tout simplement fait exécuter, fin juin 2013, ce fondateur du mouvement, ainsi que son adjoint Abou Hamid Hashi Olhayi. Auparavant, il avait personnellement prêté allégeance à Ayman al-Zawahiri. Pour sa part, Hassan Dahir Aweys, le leader spirituel du mouvement qui s'opposait à Zubeyr, s'est rendu aux autorités somaliennes en juin 2013.
Point extrêmement inquiétant, il semble que les Shebab entretiennent des liens avec Boko Haram (Nigéria) et Al-Qaida au Maghreb islamique (AQMI). Ils auraient également reçu des armements provenant des arsenaux libyens.
Les combattants étrangers (Mujahirin) des Shebab
Les Shebab ont toujours compté des combattants étrangers dans leurs rangs, n'hésitant pas – à la différence des autres groupes dépendant d'Al-Qaida – à leur offrir des postes de responsabilité. Ainsi, ils comptent dans leurs rangs des Pakistanais, des Saoudiens, des Yéménites, des Afghans, des Bengalis, des Britanniques d'origine pakistanaise, des Tanzaniens, des Soudanais, etc. Certains étrangers sont même devenus des personnalités marquantes du mouvement : Abou Moussa Mombasa, un Pakistanais responsable de la sécurité et de l'entraînement ; Mahmoud Mujajir, un Soudanais qui a en charge la formation des kamikazes ; le cheikh Muhammad Abou Fai'id, un Saoudien, qui s'occupe des finances ; etc. Une cinquantaine d'Américains – principalement issus de la diaspora somalienne – seraient également présents en Somalie. D'ailleurs, une douzaine aurait trouvé la mort durant les combats. Un de leurs représentants les plus connus – car il a servi d'agent de propagande sur le net – est Abou Mansour al Amriki, de son vrai nom Omar Hammami. Toutefois, il aurait été assassiné par ses mentors en 2013, car sa personnalité extravertie commençait à fortement déplaire. Il avait d'ailleurs prévenu lui-même que sa vie était en danger lors de l'un de ses derniers messages envoyé sur le net.
Le mouvement a fait une métastase au Niger, via Amhed Iman Ali. Ce Nigérien a créé, en 2008, le Punwani Muslim Youth (PMY), plus connu sous le nom de Muslim Youth Center (MYC). Cet organisme était chargé d'éduquer les jeunes musulmans des banlieues défavorisées de Nairobi. En fait, il servait surtout à recruter des volontaires pour aller mener le djihad en Somalie voisine. Peu à peu, le MYC a gagné les autres localités, dont Mombassa, Eldoret et Garrisa. Aujourd'hui, 10% des combattants Shebab seraient en fait des Nigériens. Amhed Iman Ali s'est prudemment replié sur la Somalie pour ne pas être inquiété. Depuis des années, des actes terroristes avaient lieu au Kenya, en particulier au sein des nombreux camps de réfugiés installés le long de la frontière. Déjà, il y a un an (le 20 septembre 2012), le MYC avait menacé de déclencher de multiples attaques en Afrique de l'Est en annonçant clairement son objectif : « faire flotter le drapeau de l'islam sur le Kenya et l'Afrique de l'Est ». Toutefois, aucun n'avait revêtu l'importance de l'attaque du 21 septembre Nairobi.
Les Shebab, même affaiblis dans leur propre pays, représentent une menace régionale importante. Al-Qaida central a trouvé dans ce mouvement le bras armé qui lui convient pour mener le djihad en Afrique de l'Est. Parallèlement, Al-Zawahiri soutient les actions terroristes qui font presque tous les jours des dizaines de morts en Irak, en Syrie, au Pakistan, au Yémen, aux Philippines sans que l'opinion ne s'en inquiète particulièrement. Pour un mouvement donné pour moribond depuis la fin de Ben Laden, le malade ne se porte pas trop mal !
- [1] Certains étaient obligés de réciter la shahada (profession de foi de l'islam « je témoigne qu'il n'y a qu'un seul dieu et que Mahomet est son prophète ») ou de donner le nom de la mère de Mahomet (Amina bint Wahb).