Italie : acquisition d’Enilive par KKR
Giuseppe GAGLIANO


La récente acquisition par le fonds américain KKR[1] de 25 % d’Enilive[2], la société du groupe ENI[3] dédiée à la mobilité durable, marque une étape significative dans le renforcement de la présence financière américaine dans les actifs stratégiques italiens. L’opération, d’une valeur d’environ 3 milliards d’euros, s’inscrit dans un contexte de convergence entre les intérêts énergétiques italiens et américains, notamment en matière de transition énergétique et de réduction de la dépendance au gaz russe.
L’expansion de KKR et l’influence américaine
La présence croissante de KKR, déjà actif en Italie via des participations stratégiques comme dans le réseau de Telecom Italia, reflète une stratégie bien établie d’intervention dans des secteurs clés comme les infrastructures et l’énergie. Des fonds comme KKR et BlackRock peuvent apporter des capitaux importants et « patients », c’est-à-dire orientés vers des investissements à long terme, avec une attention particulière pour des secteurs en croissance comme la mobilité durable et les énergies renouvelables.
Dans le cas spécifique d’Enilive, le partenariat vise à valoriser le capital de l’entreprise, afin de soutenir une croissance autonome dans des secteurs à fort potentiel et de promouvoir un alignement stratégique entre la finance américaine et l’industrie énergétique italienne. Cependant, l’implication du fonds américain KKR soulève des questions sur une possible diminution de la souveraineté économique de l’Italie.
Souveraineté économique et dépendance financière
Le cas KKR-Enilive met en lumière le problème de l’autonomie économique réduite de l’Italie dans des secteurs stratégiques. Le pays est de plus en plus dépendant de capitaux étrangers pour financer son développement industriel et ses infrastructures. L’entrée d’un fonds américain dans Enilive, société liée à la plus grande entreprise énergétique italienne, témoigne de la difficulté du système économique national à soutenir de manière autonome la transition énergétique. D’un côté, il s’agit d’une intéressante opportunité afin d’obtenir des fonds essentiels ; mais de l’autre, cela accroît la vulnérabilité de l’Italie aux influences extérieures concernant ses actifs stratégiques.
Ces dernières années, l’Italie a cherché à diversifier ses sources d’approvisionnement énergétique, favorisant des projets comme le gazoduc EastMed avec le soutien des États-Unis. Cependant, l’impact de ces choix ne peut être ignoré : alors que l’économie italienne bénéficie des flux de capitaux étrangers, le risque d’une dépendance excessive à ces mêmes capitaux, notamment dans le secteur de l’énergie, augmente.
Une atlantisation des actifs italiens
Le gouvernement italien, sous la direction de dirigeants comme Mario Draghi et maintenant Giorgia Meloni, a encouragé une ouverture croissante aux investissements étrangers, en particulier américains. L’objectif, au-delà de stimuler la relance de l’économie italienne, est de renforcer les liens transatlantiques et de s’aligner sur les stratégies américaines. Cette dynamique est également illustrée par les distinctions remises par de l’Atlantic Council au PDG d’ENI, Claudio Descalzi, qui récompensent les efforts italiens pour converger avec les objectifs stratégiques des États-Unis.
Cependant, l’entrée d’investisseurs américains dans des secteurs comme celui de l’énergie souligne également l’affaiblissement progressif du contrôle national sur les actifs clés. Avec le capitalisme patient de fonds comme KKR, la finance américaine prend un pouvoir important dans le processus décisionnel des secteurs névralgiques, tels que la production d’énergie et les infrastructures technologiques, exerçant une pression supplémentaire sur la souveraineté économique de l’Italie.
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Le partenariat entre KKR et Enilive reflète une double réalité : d’une part, l’entrée de capitaux étrangers représente une opportunité de relance et de développement pour le secteur de la mobilité durable en Italie ; d’autre part, la dépendance croissante vis-à-vis des fonds américains souligne le problème d’une Italie ayant du mal à maintenir son autonomie économique. L’opération KKR-Enilive pourrait apporter d’importants bénéfices financiers et technologiques, mais au prix d’une réduction de la capacité de l’Italie à gérer de manière autonome ses ressources stratégiques, en particulier dans le secteur de l’énergie, désormais profondément intégré au système de la finance internationale.
La question de la souveraineté économique italienne reste donc ouverte et, dans ce contexte, elle prend une importance centrale dans le débat sur l’avenir de l’autonomie et de la résilience stratégique du pays.
[1] https://www.kkr.com
[2] https://www.eni.com/en-IT/company/subsidiaries-and-affiliates/enilive.html
[3] https://www.eni.com