Israë l- Gaza : la menace des roquettes
Alain RODIER
L’opération israélienne Pilier de défense[1] a été soigneusement préparée dans le but de priver les mouvements palestiniens – dont le Hamas et le Jihad islamique – de leurs stocks de roquettes à longue portée Fajr-5 (« Aube » en farsi et en arabe). A savoir que ces armes d’une portée de 75 kilomètres sont considérées par l’état-major de Tsahal comme une menace vitale pour le pays, dans la mesure où elles peuvent atteindre Tel-Aviv mais aussi le site nucléaire de Dimona.
Pour mémoire, le Fajr-5 est une roquette iranienne de 333 mm de diamètre et de 6,6 mètres de long, pesant 915 kilos. Elle peut expédier une charge explosive de 90 kilos à une distance maximum de 75 kilomètres, avec une probabilité de précision à l’impact d’un kilomètre. Cette faible exactitude et la charge peu importante laissent penser que les installations israéliennes de Dimona ne semblent pas être sérieusement menacées. En effet, un coup au but est hautement improbable et « … même si… », la puissance explosive de cette roquette est insuffisante pour causer des dommages importants. Par contre, les fortes concentrations urbaines constituent des cibles de choix. A noter que des rumeurs laissent entendre que les roquettes Fajr-5 pourraient également être armées de têtes chimiques, mais il est peu probable pour l’instant que les Palestiniens aient été les destinataires de cette technologie. Téhéran n’est pas encore rendu à ces extrémités.
Une frappe préventive de Tsahal contre les stocks du Hamas
En fait, les services de renseignement israéliens suivent de près les circuits d’approvisionnement en armes et munitions des mouvements palestiniens, depuis des années. Le fournisseur principal est connu : l’Iran ; la Syrie étant désormais hors-jeu du fait de la guerre civile qui y règne. En effet, Téhéran affrète depuis des années des transports maritimes qui partent principalement de Bandar Abbas pour ensuite débarquer leurs cargaisons à Port Soudan. De là, les armes sont acheminées à travers le Sinaï vers la bande de Gaza où elles pénètrent en utilisant des tunnels qui servent plus généralement à la contrebande.
Les services israéliens se sont aperçus que le dépôt de munitions de Yarmouk, situé à quelques kilomètres au sud de Khartoum, servait de lieu de stockage de munitions et vraisemblablement d’assemblage pour les roquettes qui étaient acheminées en pièces détachées, plus aisées à conditionner pour le long périple clandestin qui est le leur[2]. Téhéran et le Hamas pensaient garder secrète la livraison de roquettes Fajr-5, ces dernières ne devant servir qu’en cas de confrontation majeure avec Israël, en particulier si l’Iran était la cible d’une attaque de ses installations nucléaires. Jérusalem a donc décidé de neutraliser préventivement ces stocks d’armes jugées particulièrement redoutables.
L’opération a débuté avec la frappe exécutée dans la nuit du 23 au 24 octobre par des avions F-15 sur le site de Yarmouk. Une quarantaine de containeurs nouvellement arrivés sur place ont littéralement été pulvérisés et quelques bâtiments ont été détruits.
Saisissant le prétexte que des obus de mortiers et des roquettes artisanales tombaient régulièrement sur Israël – vraisemblablement des frappes alors orchestrées par des groupuscules salafistes palestiniens que le Hamas ne parvient pas à contrôler -, le 14 novembre 2012, Ahmed Jabari, le chef militaire du Hamas était transformé en « chaleur et lumière » alors qu’il conduisait sa voiture dans la rue Omar Mukhtar, à Gaza. Cette frappe chirurgicale en pleine ville, qui n’a causé la mort que de la cible et de son garde du corps, est le résultat d’une opération conjointe du Shin Beth et des forces de défense israéliennes (IDF). En fait, c’est plus le grand ordonnateur de trafics de missiles que le chef de guerre qui était visé. En effet, c’est lui qui suivait dans le détail des livraisons de Fajr-5 au Hamas.
La suite était facilement prévisible : le Hamas qui ne pouvait faire autrement que venger la mort de son responsable, charismatique mais discret, déclenchait en représailles des tirs de roquettes depuis Gaza. Ayant compris que les Israéliens avaient éventé la présence de roquettes Fajr-5 dans la bande de Gaza, les Palestiniens n’hésitaient plus à en tirer une paire vers Jérusalem et Tel-Aviv. Toutefois, la revendication de ces actions provenait du Jihad islamique palestinien (JIP) de Ramadan Shallah et non du Hamas.
Bilan militaire de l’opération
L’opération Pilier de défense a permis aux forces aériennes israéliennes de détruire la majorité des dépôts et des rampes de lancement de roquettes, dont les fameuses Fajr-5, qui étaient situés en pleine agglomération. La technique qui consiste à cacher les installations militaires au sein de la population est une des pratiques classiques de la résistance palestinienne. Elle est destinée à gagner la bataille psychologique menée par médias interposés, en présentant des victimes innocentes aux journaux de 20 h 00. Le QG d’Ismaël Haniyeh, le « Premier ministre » du Hamas à Gaza, se trouverait ainsi situé dans les sous-sols de l’hôpital Al-Shifa. Une constatation s’impose : jusqu’à présent en Occident, le Hamas a remporté la bataille médiatique qui fait rage, particulièrement en présentant des montages grossiers, comme des photos d’enfants tués… en Syrie, ou par le tir défectueux d’une roquette palestinienne. L’Etat hébreu a bien compris la menace et s’est décidé à « communiquer » lors des dernières opérations militaires déclenchées à Gaza, en rendant publiques des informations qui relevaient jusque là du secret défense. Le problème est que cette campagne d’information et d’ouverture n’a lieu qu’en direction des Occidentaux et que la rue arabe est complètement délaissée. Est-ce l’aveu qu’Israël a perdu totalement l’espoir de vivre un jour en paix avec le monde arabo-musulman ?
Par contre, sur le terrain, la donne est différente. Le bilan des derniers affrontements est parlant. Selon les chiffres donnés par Israël, 1 506 roquettes ont été tirées depuis la bande de Gaza. 875 sont tombées en pleine nature (58%), 58 dans des zones habitées (3,8%), occasionnant la mort de 5 personnes et faisant 240 blessés. 421 ont été interceptées par le système Dôme de fer[3] et 152 n’ont pas fonctionné correctement. En réponse, Tsahal a traité 1 500 objectifs dont 26 lieux de stockage et de fabrication d’armement, 19 postes de commandement, 42 bases militaires, 980 installations souterraines de tir de roquettes et 206 tunnels de contrebande reliant la bande de Gaza à l’Egypte. 177 Palestiniens dont un grand nombre d’activistes (120 ?) auraient été tués et 900 personnes auraient été blessées.
La position de l’Iran
Le jeu de Téhéran, comme à l’habitude, n’est pas aisé à décrypter. Le Hamas n’a plus officiellement les faveurs iraniennes depuis que le mouvement inspiré par les Frères musulmans s’est rangé du côté des rebelles syriens qui affrontent le pouvoir de Bachar El-Assad soutenu par l’Iran pour des raisons stratégiques[4]. La direction du mouvement a dû quitter Damas pour rejoindre la bande de Gaza et Doha, où s’est installé Khaled Meshal. Le récent conflit qui semble avoir donné un avantage en représentativité à Haniyeh, l’« homme de terrain », ne serait pas étranger aux souhaits de Téhéran. Il faut dire que c’est Meshal qui a soutenu les opposants syriens, et qui a même proposé, par le passé, de reconnaître l’Etat d’Israël. Aussi, il n’est plus dans les « petits papiers » de Téhéran car ces deux prises de positions sont jugées comme inacceptables. Par contre, il tenterait de remplacer l’aide iranienne par celle du Qatar, de l’Egypte[5] et de la Tunisie. De son côté, Haniyeh a toujours assuré que jamais il ne reconnaîtrait l’Etat hébreu. Il a reçu pour le soutien d’Hassan Nasrallah, le leader du Hezbollah libanais inféodé à Téhéran.
C’est peut-être là un signe du jeu compliqué mené par les mollahs. Rejeter Meshal qui est passé du côté de l’adversaire sunnite emmené par l’Arabie saoudite et le Qatar et soutenir discrètement Haniyeh et ses troupes dans la bande de Gaza. D’ailleurs, les services israéliens auraient déjà repéré de nouveaux chargements d’armes en route pour Gaza via le Soudan ! Plus généralement, la défense antimissile israélienne aujourd’hui assurée par le dispositif Dôme de fer devrait être complétée en 2014 par le système Fronde de David – aussi appelé Baguette magique – qui devrait parer les tirs de missiles à moyenne portée, particulièrement ceux que peut mettre en œuvre le Hezbollah depuis le territoire libanais. Enfin, le système Arrow (Flèche) devrait venir compléter le dispositif pour intercepter les missiles balistiques iraniens. Ce nouveau système de défense est en train de considérablement changer la donne stratégique dans la région. Les Iraniens le savent pertinemment et ils vont tout faire pour développer à leur tour des armes offensives aptes à déjouer les trois boucliers israéliens. Les observateurs qui ont de la mémoire se rappellent que cela ressemble fort à la « guerre des étoiles » lancée par Ronald Reagan. Le résultat avait été l’effondrement du communisme en URSS. A quand la chute du régime des mollahs en Iran ?
- [1] Traduction erronée vraisemblablement volontairement du terme biblique Amud Anan qui signifie « colonne de nuée ». En effet, la connotation religieuse de ce titre peut choquer à l’international.
- [2] Des missiles sol-air portables de type SAM 7 y auraient également été stockés.
- [3] Le système de défense israélien serait efficace de 75 à 90%. Toutes les roquettes tirées ne sont pas interceptées. En effet, celles qui ne présentent apparemment pas de risque, car leur course prévisible se termine dans une zone inhabitée, ne font pas l’objet d’un tir d’interception par mesure d’économie de missiles. Le taux de réussite durant l’opération aurait toutefois été de 84%.
- [4] Le fameux « Croissant chiite » qui regroupe l’Iran, l’Irak, la Syrie et le Liban, contre le « Croissant sunnite » (le reste des pays arabo-musulmans).
- [5] Le régime égyptien aimerait bien de prendre le contrôle de la bande de Gaza via le Hamas. Il faut donc s’attendre, à l’avenir, à une surenchère d’initiatives de la part du président Mohamed Morsi à l’égard du problème israélo-palestinien.