Iran-Turquie Nouveau défecteur iranien
Alain RODIER
En décembre 2008, la presse turque a dévoilé que le colonel iranien Mohammad Reza Arian avait fait défection en Turquie, en août de la même année. Il aurait réussi à rejoindre la ville de Van, située dans l'est du pays, avec son épouse et ses deux filles. Il aurait été recueilli dans un premier temps la représentation du Haut commissariat aux réfugiés de l'ONU (UNHCR), implantée dans cette ville. Sa trace disparaît ensuite.
Selon les informations fournies par la presse turque, le colonel Arian était scandalisé par le sort réservé aux personnalités de l'opposition en Iran. En conséquence, il aurait commencé à échanger des mails avec l'UNHCR. Alertés, le de contre-espionnage iranien l'aurait mis sous surveillance, notamment en équipant son bureau de caméras et de micros. Craignant à juste titre pour sa sécurité et pour celle de sa famille, le colonel Arian aurait décidé de passer en Turquie.
La Turquie, débouché naturel des réfugiés iraniens
Depuis des années, de nombreux Iraniens qui fuient le régime des mollahs se réfugient en Turquie, en passant la frontière commune entre les deux pays en soudoyant des contrebandiers. Les autorités turques gèrent cet afflux en coordination avec l'UNHCR. En effet, pour elles, il est important de trouver à ces quelques 5 000 personnes déplacées un pays d'accueil, la Turquie ne souhaitant pas – pour des raisons économiques et politiques – que leur séjour se prolonge indéfiniment dans le pays.
Les personnalités qui présentent de l'intérêt sur le plan renseignement sont prises en charge par l'organisation nationale de renseignement turque [1] ( Millî Istihbarat Teskilâti /MIT) qui les débriefe avant de les « donner » aux services amis, dans la mesure où ses derniers garantissent ensuite une exfiltration rapide hors de Turquie. Généralement, seuls les Américains ont cette capacité. Il est donc vraisemblable que le colonel Arian ait suivi ce circuit et qu'il soit maintenant bien à l'abri sur le continent américain, où il peut être interrogé tout à loisir. Bien qu'aucune précision n'ait été donnée sur ce militaire [2], il est peu probable que les Américains aient laissé passer ce cas intéressant.
La précédente affaire du même genre était celle du général des pasdaran Ali Reza Asgari, lequel a fait défection en Turquie en 2007, avant d'être exfiltré par la CIA [3]. Cependant, de nombreux autres transfuges sont passés à l'Ouest dans les années récentes sans que les medias n'en n'aient été informés. En effet, ces défecteurs risquent leur vie ainsi que celles de leur famille. Certains d'entre eux ont été assassinés, les services secrets iraniens qui sont très bien implantés en Turquie les y pourchassant sans pitié.
La difficile gestion des défecteurs
L'histoire des défecteurs est aussi ancienne que celle de l'espionnage. Ils ont été nombreux lors de la Guerre froide et ont apporté de multiples informations aux deux camps, bien qu'ils aient été beaucoup moins nombreux à passer à l'Est qu'à l'Ouest.
La qualité des renseignements qu'ils apportent avec eux est variable et leur fiabilité même a parfois été mise en défaut. En effet, certains inventaient une partie de leur discours afin d'obtenir le statut de réfugié politique tant convoité. Pire encore, de faux défecteurs ont désinformé sur ordre l'adversaire.
La principale caractéristique d'un défecteur, même honnête, est qu'il ne peut relater que ce qu'il savait jusqu'au moment de sa trahison. Lorsqu'il est interrogé, c'est déjà un « has been ». Or, le renseignement n'est vraiment utile que s'il est actuel. C'est pour cette raison que si une défection n'a pas été repérée par le contre-espionnage adverse – ce qui est extrêmement rare – les services tentent par tous les moyens de réintroduire l'individu dans son pays d'origine pour qu'il devienne un agent de renseignement. On imagine aisément que très peu acceptent ce marché car, s'ils sont partis, ce n'est pas pour revenir avec des risques supplémentaires pour propre leur sécurité.
Pour un service de renseignement, gérer un défecteur implique de lui assurer un avenir ainsi qu'à sa famille dans le pays d'accueil ou dans un pays tiers, généralement ami. Cela nécessite beaucoup de temps et d'argent, sans compter qu'il convient d'assurer sa protection : les services adverses n'hésiteront pas à l'exécuter « pour l'exemple » s'ils le repèrent.
Les Américains sont actuellement les seuls à proposer des programmes de réinsertion aux personnes qui les intéressent, n'hésitant pas à fournir une nouvelle identité et parfois, à faire appel à la chirurgie esthétique pour leur permettre de se faire une nouvelle vie. Mais, les candidats ne doivent pas se faire trop d'illusions. Cela ne peut être mis en œuvre que s'ils détiennent réellement des renseignements de haute qualité et intéressant prioritairement Washington. Au mieux, les autres seront relâchés dans la nature – parfois dans un pays étranger avec interdiction de pénétrer aux Etats-Unis – avec une poignée de dollars en guise de remerciement.
- [1] Le MIT est un service de renseignement constitué très majoritairement de personnels civils. Ayant des compétences internes et externes, ce service a fait preuve par le passé de son professionnalisme de premier ordre et de sa grande efficacité. Son succès connu le plus important a été la capture du leader du PKK, Abdullah Öcalan.
- [2] A quelle arme appartient-il (des rumeurs laissent entendre qu'il travaillait pour les services de renseignements iraniens) ? Détient-il des informations cruciales ?.
- [3] Voir Note d'actualité n°70 du 10-03-2007.