Iran : mysterieuse explosion sur une base des pasdaran
Alain RODIER
Le samedi 12 novembre vers 13 h 00, heure locale, une explosion de forte puissance retentit lieu sur le site militaire accueillant le Commandement des missiles des forces aériennes des Gardiens de la révolution al-Ghadir. Bien que survenue à 45 kilomètres à l'ouest de Téhéran, près de la localité de Bid Kaneh, le déflagration a été ressentie jusqu'au coeur de la capitale iranienne. D'importants moyens de secours ont été immédiatement dépêchés sur place mais, étant donné le caractère particulièrement sensible des installations qui abritent des missiles sol-sol, seules quelques ambulances ont été autorisées à y pénétrer. Le bilan s'est révélé très lourd : trente-six pasdaran ont été tués, dont le brigadier général Hassan Tehrani-Moghaddam.
Hassan Moghaddam, un acteur majeur du programme nucléaire iranien
« Le martyr Moghaddam était le principal architecte de la puissance de feu des Gardiens de la révolution et le concepteur de la force de dissuasion du pays[1]» a déclaré le brigadier général Hossein Salami, chef d'état-major adjoint du corps des Gardiens de la révolution, lors de ses obsèques qui ont eu lieu deux jours plus tard. Vétéran de la guerre Iran-Irak (1980-1988), Moqaddam aurait suivi des stages de formation en Chine puis en Corée du Nord. Devenu un expert en missiles sol-sol, il était chercheur au sein de l'université de Téhéran et, surtout, chef du département de développement des missiles sol-sol au sein des pasdaran, lesquels ont la charge de cette activité particulièrement sensible. A ce titre, il avait des responsabilités très importantes dans le programme de développement des missiles Shahab 3 et Sajil 2 pouvant emporter à terme des armes nucléaires. En reconnaissance pour services rendus, le gouvernement iranien l'a élevé à titre posthume au grade de major général.
Les circonstances troubles de cette catastrophe
Selon plusieurs sources, ce ne serait pas une mais deux explosions qui auraient eu lieu. La première serait survenue sur le site Moadarres. La deuxième, encore plus importante, aurait eu lieu sur le site Amir al-Momenin. En raison de la distance séparant ces deux lieux, il ne peut y avoir de relation de cause à effet entre les deux déflagrations survenues presque simultanément. Par contre, ce timing laisse à penser qu'il s'agit plutôt d'une opération clandestine que d'un accident comme les autorités iraniennes l'affirment. En effet, un incident survenu durant le « déplacement de munitions » est peu crédible tant les mesures de sécurité adoptées lors de telles manipulations sont drastiques.
Des rumeurs font état d'un accident survenu au moment où les pasdaran tentaient d'adapter une tête explosive, préfigurant une future charge nucléaire, sur un Shahab 3. Mais pourquoi y aurait-il eu deux explosions distinctes distantes de plusieurs kilomètres ? Cette option parait donc aussi être très peu crédible.
Si sabotage il y a eu, comment les services impliqués (CIA, Mossad ?) ont-ils pénétré sur cette base ultra protégée ? Les hypothèses sont nombreuses et variées, mais faute d'éléments de connaissance concrets – il ne faut pas compter sur les Iraniens pour en donner, ce serait perdre la face -, il est impossible aujourd'hui d'expliquer le modus operandi employé. La seule chose qui semble claire, c'est que le but était double : ralentir les recherches en matière de missiles et impressionner les personnes impliquées dans ces travaux. Le ministre de la Défense israélien, Ehud Barak, a d'ailleurs enfoncé le clou en déclarant le lendemain de l'affaire : « Je ne connais pas les détails de cette explosion mais, il serait souhaitable qu'elles se multiplient ».
Des responsables iraniens mettent en cause en privé le Mossad et l'Organisation des moudjahiddines du peuple iraniens (OMPI).
La guerre secrète fait rage depuis longtemps
Le guerre secrète qui a lieu entre l'Iran, d'un côté, et Israël et les Etats-Unis, de l'autre, a lieu depuis de longues années[2].
Déjà, le 12 octobre 2010, une explosion suivie d'incendies était survenue dans des conditions analogues sur la base de missiles de Khorramabad, située à 500 kilomètres au sud-ouest de Téhéran. Dix-huit personnes avaient alors été tuées et quatorze autres blessées.
Ces « accidents » survenus sur les bases sensibles et très surveillées des pasdaran sont extrêmement curieux. Un accident passe encore ; mais, deux, ce n'est plus un hasard !
Il convient de rajouter à ces déboires de l'effort militaire iranien dans le domaine des missiles sol-sol, les assassinats mystérieux et toujours non élucidés de scientifiques iraniens travaillant dans le domaine nucléaire : Daryoush Rezael (le 23 juillet 2011), Majid Shariari (le 29 novembre 2010[3]) et Masoud Ali Mahammadi (le 12 janvier 2010). Depuis, un certain nombre de scientifiques ont déménagé et bénéficient d'une protection rapprochée, ce qui permet aussi d'éviter les défections toujours possibles. Dans le domaine des missiles sol-sol, déjà en juillet 2001, le colonel Ali Mahmoudi Mimand alors présenté comme le « père » du programme balistique iranien avait été retrouvé tué par balle dans son bureau !
Enfin, le 20 juin 2011, cinq ingénieurs russes ayant contribué au démarrage de la centrale nucléaire de Bushehr trouvent la mort lors de l'« accident » de leur Tupolev 134 au-dessus de Petrozavodsh. Ces scientifiques avaient travaillé à réparer les dégâts occasionné par la diffusion du virus informatique Stuxnet, qui avait détruit le système de contrôle de cascades de centrifugeuses et retardé d'autant le programme d'enrichissement d'uranium de Bushehr.
Une coïncidence troublante
Le même jour que l'explosion, Ahmad Rezaï, âgé de 35 ans, fils de Mohsen Rezaï, est retrouvé mort, « suicidé » dans la chambre 23, au 18e étage de l'hôtel Gloria, à Dubaï. Son père, ancien chef du corps des pasdaran, est aujourd'hui secrétaire général du Conseil du discernement et du bien de l'Etat[4]. Il est considéré comme un proche conseiller du grand ayatollah Ali Khamenei et il s'oppose en coulisses au président Ahmadinejad.
Ahmad Rezaï s'était enfui en 1997 aux Etats-Unis et avait alors vertement attaqué le régime des mollahs. Il était alors fortement soupçonné avoir collaboré avec les services secrets américains et israéliens. Fort curieusement, il a pu revenir en Iran en 2005 pour travailler aux côtés de son père avant de repartir aux Etats-Unis en 2009, après que ce dernier ait été candidat malheureux à l'élection présidentielle face à Mahmoud Ahmadinejad.
Cette disparition, si elle n'est pas naturelle, peut avoir deux objectifs. Venger l'affront commis contre les pasdaran sur la base de Bid Kaneh et « avertir » le père de ne pas trop s'opposer ouvertement au président Ahmadinejad.
A défaut de ne pouvoir lancer une opération aérienne sur les sites sensibles iraniens, la guerre secrète parvient presque aux mêmes résultats : ralentir l'effort militaire nucléaire de Téhéran. Toutefois, cela ne sera pas suffisant pour empêcher l'Iran de se doter, à terme, d'une force de frappe ou de dissuasion (selon les différentes opinions) qui ne pourra qu'être contrée que par un équilibre de la terreur[5] ou par la chute du régime. Sauf une immense surprise – et il y en a eu beaucoup ces derniers temps -, il semble que cette dernière option ne soit pas actuellement d'actualité. En effet, la population iranienne n'est pas aujourd'hui en situation de déclencher une insurrection assez puissante qui puisse être fatale au pouvoir en place.
- [1] Si la traduction est correcte, le terme « dissuasion » est un lapsus révélateur. Ce mot ne s'entend généralement que suivi de « nucléaire ».
- [2] Cf. Notes d'actualité n°107 du 01/11/2007 et n°235 du 04/12/2010.
- [3] Un de ses collègues échappe le même jour à un attentat du même type.
- [4] Conseil présidé par Ali Akbar Rafsandjani.
- [5] Cf. Note d'actualité n°262 du 05/11/2011.