Iran : la logique de l’affrontement est en marche
Alain RODIER
Selon les Occidentaux, les activités clandestines iraniennes sont en augmentation depuis ces dernières années. Le ministère du Renseignement et de la sécurité (VAJA, ex-VEVAK) et le Directorat du renseignement du Corps des Gardiens de la Révolution islamique– dont le bras armé à l’étranger est la force Al-Qods -, constituent l’épine dorsale du système de renseignement et d’action clandestine du régime iranien. Afin de ne pas apparaître trop directement, ces services utilisent fréquemment des intermédiaires dont le plus connu est le Hezbollah libanais. Le principal atout de cette organisation est l’importante diaspora libanaise établie de par le monde qui constitue un « vivier à agents ». Au sein de ce mouvement, il existe une pléthore de sous-groupes aux appellations diverses qui permettent de brouiller les pistes. Toutefois, une entité s’est particulièrement distinguée dans le passé : l’Organisation du jihad islamique (OJI) ou « Unité 910 ». Si l’OJI a souvent été utilisée au Liban dans les années 1980, elle serait aujourd’hui encore active.
Parallèlement, Téhéran soutient des mouvements palestiniens qui sont en opposition frontale avec Israël : le Hamas[1]et le Jihad islamique palestinien.
Multiplication des affaires d’espionnage
Un cas un peu ancien a été dévoilé à la presse en 2019 : celui de la défection de Monica Witt, une ancienne militaire du Bureau des Enquêtes Spéciales de l’Air Force (AFOSI) en Iran, en août 2013 .
Le 9 juin 2018, le département de la Justice américain a dévoilé le nom de deux suspects américano-libanais – Ali Kourani et Samer El Debek – qui dépendraient de l’OJI. Ils ont été arrêtés pour « soutien à une organisation terroriste » et pour « participation à une formation militaire dispensée par une organisation terroriste ». Ni Kourani, ni El Debek ne sont accusés d’avoir voulu déclencher des attentats. Le premier semble avoir été un « agent d’infrastructure » dont la mission consistait essentiellement à monter des dossiers d’objectifs « au cas où ». El Debek semblait être un agent opérationnel. Ils se sont livrés d’eux-mêmes aux autorités car ils auraient tout simplement été « radiés des cadres » des services iraniens !
En août 2018, c’était au tour de deux Américains d’origine iranienne d’être arrêtés en Californie comme « agents d’une puissance étrangère » : Majid Ghorbani, 59 ans et Ahmadreza Mohammadi Doostdar 38 ans. Une enquête d’un an aurait démontré que ces ceux agents illégaux se renseignaient sur les mouvements d’opposition iraniens présents aux États-Unis ainsi que sur les intérêts israéliens.
Le 15 janvier 2019, le parquet général de Karlsruhe a annoncé l’arrestation de l’Allemand d’origine iranienne Abdul Hamid S., conseiller culturel et linguistique auprès de la Bundeswehr. Il est accusé d’avoir « transmis des informations à un service de renseignement iranien ». Selon Der Spiegel, Abdul Hamid S. travaillait depuis « plusieurs années » pour Téhéran et avait surtout accès à des renseignements portant sur l’engagement des forces allemandes en Afghanistan.
Plus globalement, l’Iran s’intéresse à ce qui se passe en Afghanistan, en Irak, en Syrie, au Liban, au Yémen, en Cisjordanie, à Gaza et au Bahreïn. Dans ces pays, le renseignement et l’action sont conjointement employés. En revanche, dans les pays considérés comme hostiles (Israël, États-Unis, Union européenne, Turquie, Jordanie, etc.), c’est surtout le renseignement qui est de mise. Il serait difficile de croire que la Russie et la Chine ne sont pas aussi visées par les réseaux iraniens, mais sans doute via des actions d’’influence, lesquelles peuvent s’effectuer via les représentations diplomatiques et culturelles.
La défection d’une officier de renseignement de l’US Air Force en Iran
Monica Witt, une ancienne militaire du Bureau des Enquêtes Spéciales de l’Air Force (AFOSI) a fait défection en Iran en août 2013 emportant avec elle de nombreuses informations classifiées. Le cas n’a été rendu public que début 2019 lorsque l’acte d’accusation du département de la Justice d’août 2018 a été divulgué dans les médias. Quatre cyberactivistes iraniens, sans doute membres des pasdarans, sont également accusés d’avoir tenté d’entrer en contact avec d’anciens collègues de Monica Witt.
Monica Witt s’engage dans l’US Air Force en 1997. Elle quitte le service en 2008 mais continue pendant deux ans à travailler comme consultante pour le Pentagone. Ce n’est qu’après avoir quitté la Défense qu’elle se rend en février 2012 en Iran à une conférence intitulée « Hollywoodism et le cinéma » organisée par la New Horizon Organisation, qui serait une couverture de la force Al-Qods des pasdarans. Cette société organiserait des « conférences internationales » dans deux buts : repérer dans le public des cibles potentielles intéressantes et se livrer à une propagande, antisémite, complotiste et négationniste qui vilipende les États-Unis et Israël. En dehors de vidéos où Witt apparaît critiquant les États-Unis, l’une d’entre elles montre sa conversion à l’islam.
Le 25 juin 2012, le FBI l’avertit que les Iraniens pourraient tenter de la recruter. Déjà convaincue de sa démarche politico-religieuse, elle ne donne pas suite. Witt aurait vraisemblablement alors été mise en contact avec une journaliste américano-iranienne (désignée « Individu A » dans l’acte d’accusation) résidant en Iran qui effectuait un reportage aux États-Unis.
Witt retourne en février 2013 à Téhéran pour participer à la même conférence qu’en 2012 mais s’impatiente auprès de son contact (« l’individu A ») car les Iraniens semblent rester sourds à ses appels du pied. Elle aurait menacé de se tourner vers WikiLeaks ou la Russie. Elle décide de rejoindre Téhéran le 28 août 2013 où elle est enfin accueillie par les Iraniens. À partir de décembre 2014, les cyberactivistes évoqués ci-dessus auraient commencé à lancer des manoeuvres de pénétration informatique ciblant des ex-collègues de Witt.
Assassinats
Plus inquiétant, les autorités occidentales craignent que les Iraniens n’aient repris les missions d’élimination physique d’opposants installés à l’étranger comme cela a été le cas après la révolution de 1979.
L’organisation la plus visible est l’OMPI (l’Organisation des moudjahidines du peuple iranien ou Mujahedeen El-Khalq/MEK) reconnue un temps comme « terroriste » par l’Union européénne et les Etats-Unis, mais revenue en grâce aux yeux de Bruxelles en 2009 et de Washington en 2012. Il faut reconnaître que c’est l’OMPI qui a permis aux Occidentaux de découvrir en 2002 une partie importante du programme nucléaire clandestin iranien.
Début 2018, deux opérationnels des pasdarans ont été expulsés d’Albanie alors qu’ils effectuaient des repérages dans ce pays où l’OMPI bénéficie depuis peu d’un important camp d’entrainement paramilitaire à Manëz, près de la capitale Tirana. Suite à cette affaire, l’ambassadeur d’Iran et un de ses adjoints ont été à leur tour expulsés à la grande satisfaction de Washington.
Le 30 juin 2018, un attentat contre le rassemblement annuel de l’OMPI qui se tenait à Villepinte aurait été déjoué. À la suite de renseignements fournis par le Mossad, un couple belgo-iranien – Amir et Nasimeh S., âgés d’une trentaine d’années – a été appréhendé par la police belge à Woluwe-Saint-Pierre, dans la banlieue bruxelloise. 500 grammes d’explosif TATP et un dispositif de mise à feu ont été découverts dans deux paquets séparés dans leur voiture. Assadollah Assadi, un diplomate iranien en poste à l’ambassade d’Iran à Vienne (Autriche), soupçonné d’avoir été en contact avec ce couple, a également été arrêté en Allemagne.
L’Iran est aussi accusé par les Pays-Bas d’être derrière l’assassinat de Ali Motamed en 2015, à Almere. De sa vraie identité Mohammad Reza Kolahi Samadi, il aurait appartenu à l’OMPI et aurait été l’instigateur de l’attentat terroriste ayant eu lieu en 1981 en Iran contre le siège du Parti de la République islamique à Téhéran, qui fit 79 morts. En 2017, Ahmad Molla Nissi, le secrétaire général de l’ASMLA (le Mouvement de lutte arabe pour la libération de l’Ahwaz[2]) a été assassiné à la Haye. Suite à ces deux affaires, deux diplomates iraniens sont expulsés des Pays-Bas en juin 2018.
Un projet d’assassinat de trois militants de l’ASMLA aurait aussi été déjoué à Ringsted, dans la région de Copenhague, en septembre 2018. Un Norvégien d’origine iranienne a été surpris en train de photographier le domicile du chef de l’ASMLA. Arrêté dans la ville suédoise de Gothenbourg, il a été extradé vers le Danemark.
Theresa May a apporté son soutien au Danemark lors d’une rencontre à Oslo où elle a comparé cette tentative d’assassinat à celle ayant visé, en mars 2018 à Salisbury (Royaume-Uni), Sergueï et Youlia Skripal. Le secrétaire d’État américain, Mike Pompeo, a également félicité le Danemark d’avoir arrêté « un assassin du régime iranien ».
Albanie, la très discrète base des moudjahidines du peuple
L’Organisation les moudjahidines du peuple a fait construire une base près de la ville de Manëz, dans la région de Durres. Les activistes de ce mouvement d’opposition au régime iranien et leurs familles ont commencé à arriver dans ce pays en 2013 car leurs conditions de vie en Irak, où ils étaient installés depuis la guerre Iran-Irak de 1986, s’étaient dégradées. Ce mouvement – dont l’idéologie est un mélange d’islam et de marxisme-léninisme – après s’être opposé au Shah, s’est très violement affronté aux mollahs qui ont pris le pouvoir à Téhéran en 1979. Lors de la guerre Irak-Iran, ses activistes ont même combattu aux cotés des forces irakiennes, épisode qui les fait considérer des traîtres à la Patrie par la majorité des Iraniens, même par ceux qui ne sont pas favorables au régime actuel. L’invasion américaine de l’Irak en 2003 a provoqué la chute de leur protecteur, Saddam Hussein. Depuis, ils n’étaient plus les bienvenus au camp d’Ashraf où ils étaient cantonnés. Placés sous la protection des Américains, ces derniers ont transmis la responsabilité du camp à Bagdad le 1erjanvier 2009. Depuis, de nombreux incidents sanglants sont survenus dont le plus meurtrier a eu lieu le 1erseptembre 2013 (52 tués). C’est un commando des pasdarans qui aurait attaqué le camp appuyé par une milice chiite irakienne. Un petit nombre de membres de l’OMPI a ensuite été déménagé au « camp Liberté » situé près de Bagdad.
En Albanie, l’OMPI – soutenue par Washington – a acheté en 2013 34 hectares de terrain où elle a fait construire des bâtiments d’allure militaire. 2 000 personnes y vivraient déjà mais ce chiffre pourrait être sous-évalué puisque aucun contrôle n’est autorisé à l’intérieur du camp. Le Conseil national de la résistance iranien (CNRI) – la branche politique de l’OMPI – est présidée par Maryam Rajavi, l’épouse de Massoud Rajavi, le fondateur du mouvement mystérieusement disparu en 2003. Elle partage son temps entre son bureau parisien, New York et l’Albanie. Ce mouvement a longtemps été considéré comme terroriste par les Occidentaux mais il a connu son heure de gloire en 2002 en dévoilant le programme nucléaire secret iranien. Ses soutiens financiers restent opaques, mais les politiques américains – notamment les néoconservateurs américains dont Rudy Giuliani et John Bolton – n’hésitent pas à participer activement à leurs manifestations publiques. Washington verrait d’un bon œil le remplacement des mollahs à Téhéran par l’OMPI qui dispose déjà une structure type « gouvernement fantôme ». L’affirmation de l’OMPI selon laquelle elle n’entretiendrait aucune relation avec les services secrets étrangers – Américains, Israéliens et Saoudiens – semble hautement discutable car ce mouvement bénéficie de sponsors discrets sans lesquels sa survie serait hasardeuse.
La réaction des Occidentaux
Début octobre 2018, faisant suite à l’affaire de Villepinte, Paris a gelé pour six mois les avoirs du VAJA. La même sanction a été prise à l’encontre d’Assadollah Assadi – le diplomate arrêté en Allemagne – et du chef des services de renseignement iraniens, le vice-ministre Saeid Hashemi Moghadam. Au début de l’année 2019, l’Union européenne a décidé à son tour d’imposer des sanctions à l’Iran suite aux opérations énumérées ci-dessus.
Le régime de Téhéran est considérablement affaibli depuis plus d’un an par le quasi blocus mondial imposé par Washington qui a quitté le Joint Comprehensive Plan of Action (JCPOA), traité prévoyant l’arrêt de l’effort nucléaire militaire iranien en échange de la levée des sanctions. L’économie qui, déjà n’était pas florissante, a été frappée de plein fouet. Téhéran a toutes les peines du monde à exporter son pétrole qui est sa ressource financière principale puisque plus aucun autre pays n’ose payer ces factures en dollar de crainte d’une poursuite juridique des États-Unis. Les observateurs – particulièrement anglo-saxons – estiment que le régime tente de se maintenir en accroissant la répression intérieure, en développant son programme de missiles balistiques et en multipliant les opérations extérieures, dont des assassinats dirigés contre des membres de l’opposition réfugiés à l’étranger. Si une frappe directe contre le territoire iranien semble exclue, les autorités américaines disent à qui veut l’entendre que leur objectif est de renverser le régime des mollahs par une révolution intérieure. C’est pour cette raison que Washington soutient, via différentes fondations et avec l’aide financière des pays du Golfe persique, tous les mouvements d’opposition au régime de Téhéran implantés à l’étranger, des royalistes aux marxistes-léninistes en passant par les séparatistes. C’est ce qui explique qu’une lutte d’influence a maintenant lieu au plus haut niveau à Téhéran entre les modérés et les conservateurs.
La marginalisation du ministre des Affaires étrangères, Mohammad Javad Zarif
Le 25 février 2019, le président Bachar el-Assad a effectué sa première visite à Téhéran depuis le début de la guerre civile en Syrie, en 2011. Il a été reçu par le Guide suprême de la Révolution, l’ayathollah Ali Khamenei et par son homologue, Hassan Rohani. La présence du major-général Qassem Souleimani, le chef de la force Al-Qods des pasdarans a été remarquée. Par contre, le ministre des Affaire étrangères, Mohammad Javad Zarif, considéré comme un modéré, n’a pas été convié. Il en a pris ombrage et a présenté sa démission qui n’a pas été acceptée par le président Rohani. Souleimani – qui n’est pourtant pas le porte-parole de l’ayathollah – a affirmé que le ministre des Affaires étrangères iranien avait toute la confiance de Khamenei et qu’il s’agissait uniquement d’un « malheureux oubli » du protocole de la présidence. Personne n’est dupe : c’est Souleimani qui mène désormais la partie, démontrant que, si le ministère des Affaires étrangères semble être toujours compétent pour les relations internationales – même si le retrait de Washington du Joint Comprehensive Plan of Actiona été pour lui un échec cinglant -, la gestion du « croissant chiite » (Iran-Irak-Syrie-Liban-Bahreïn-Yémen) reste l’apanage des pasdarans.
En effet, l’offensive politique conduite par les États-Unis, Israël et l’Arabie saoudite à l’égard de l’Iran fait que le temps de la diplomatie représenté par Mohammad Zarif s’estompe progressivement face à celui de l’affrontement, personnifié par Souleinani. Face aux déclarations de Donald Trump selon qui « les sanctions arrivent », le patron de la force Al-Qods réplique : « je me tiendrai devant vous ». En réponse aux récents attentats dirigés contre les pasdarans par des activistes arabes séparatistes, il vise l’Arabie saoudite soupçonnée de soutenir les terroristes agissant sur le sol iranien : « je vous préviens, n’abusez pas de la patience iranienne ». La conférence sur la sécurité au Moyen-Orient organisée par Washington à Varsovie à la mi-février a d’ailleurs été très significative à ce sujet. Parlant aux côtés du Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu, Mike Pompeo le secrétaire d’État américain a déclaré « vous ne pouvez assurer la stabilité au Moyen-Orient sans affronter l’Iran. Ce n’est juste pas possible ». Il risque d’être entendu.
Portrait du major-général Qassem Souleimani
Depuis le début de l’aide apporté par Téhéran aux régimes syrien et irakien, dans la lutte qu’ils mènent contre les rebelles islamistes, la propagande iranienne met en avant le major général Qassem Souleimani. En effet, il a été photographié et parfois filmé sur tous les points chauds du front syro-irakien. Cette médiatisation à outrance reste assez étrange pour un homme qui avait placé sa carrière sous le sceau de la discrétion.
Mais, dans le domaine de la guerre secrète, rien n’est dû au hasard. Le statut de héros national qui lui a été dévolu – et d’ennemi numéro un pour ses adversaires – est vraisemblablement destiné à galvaniser le peuple iranien dans les guerres où Téhéran s’est engagé. Cela participe à la légitimisation de l’intervention de l’Iran contre Daech. Abou Mohamed Al-Adnani, le porte-parole défunt du groupe Etat islamique lui a rendu un grand service en déclarant :« Oh sunnites ! L’alliance entre les juifs et les chiites est claire aujourd’hui. Voici l’Iran alliée à l’Amérique se partageant les rôles dans leur guerre contre l’Islam et les sunnites. (…)Le leader de cette bataille est l’immonde safavide Souleimani : il est leur maître et celui qui reçoit leur bénédiction ».
Né le 11 mars 1957 à Qanat-e Maleh, dans le district de Rabor (province de Kerman), au sein d’une modeste famille paysanne, il commence une carrière d’ouvrier dans la construction tout en se passionnant pour les activités sportives dont l’haltérophilie et les arts martiaux.
Lors de la Révolution de 1979, il est l’une des premières recrues du Corps des Gardiens de la Révolution islamique qui vient de naître. Il se fait remarquer par son zèle lors de la répression de la première révolte kurde (1979-1982) survenue dans la province de l’Azerbaïdjan occidental, à l’extrémité nord-ouest du pays. Il débute la guerre contre l’Irak (1980-1988) à la tête d’une compagnie dont les membres sont issus de sa province natale. Il se fait rapidement remarquer par son courage et, malgré son jeune âge, il prend le commandement de la 41edivision Sarallah. Mais il mène également des missions derrières les lignes ennemies pour le compte de l’« état-major Ramadan » chargé des opérations spéciales, l’ancêtre de la force Al-Qods. En cette occasion, il rencontre des responsables kurdes irakiens et ceux de l’organisation Badr, tous opposés au régime de Bagdad. Ces contacts lui seront précieux plus tard.
A l’issue de la guerre, il prend le commandement de Kerman, sa province natale, située au sud-est du pays, où il lutte énergiquement contre le trafic de drogue en provenance d’Afghanistan.
Officiellement, il rejoint la force Al-Qods, le « service Action » des Pasdaran fin 1997, puis en prend le commandement en 1998. Il est vraisemblable qu’il ait rejoint cette unité bien plus tôt, ayant été un habitué des missions clandestines durant la guerre Iran-Irak. En juillet 1999, il fait partie des officiers des Pasdaran qui signent une lettre adressée au président Mohammad Khatami, lui demandant de mater la révolution étudiante sous peine d’être renversé.
Depuis l’invasion de l’Irak en 2003 par les forces coalisées occidentales, Qassem Souleimani supervise les opérations chiites anti-américaines. Les services de renseignement américains l’identifient rapidement et, en mai 2007, Washington obtient de l’ONU son inscription sur la liste des personnalités iraniennes visées par des sanctions au titre de la résolution 1747. Les Etats-Unis, suivis par l’Union européenne, alourdissent ces mêmes sanctions en 2011 en raison de son soutien à Bachar el-Assad.
Le 24 janvier 2011, il est nommé major-général, le plus haut grade des pasdaran. Il prend une part active aux guerres civiles qui se déroulent en Syrie et en Irak. Mais si la propagande iranienne a tendance à mettre en avant la force Al-Qods, effectivement à la manœuvre, elle souligne moins le rôle des officiers des bassidji (Force de mobilisation de la résistance, qui dépend aussi des pasdaran) et, en Syrie à partir de 2016, d’éléments de la 65ebrigade aéroportée de l’armée régulière.
Souleimani aurait effectué une visite à Moscou en juillet 2015 en contradiction avec la résolution 1747 du Conseil de sécurité de l’ONU. Il aurait expliqué aux Russes la gravité de la situation qui prévalait alors en Syrie. C’est à ce moment-là que l’intervention militaire russe aurait été décidée, Moscou acceptant de fournir un appui aérien massif mais pas de troupes combattantes au sol, cette tâche revenant à l’armée syrienne, aux milices locales et à celles envoyées sur place sur ordre de Téhéran (milices irakiennes, afghanes et pakistanaises sans oublier le Hezbollah libanais).
A l’évidence, le major-général Souleimani joue un rôle de contre-feu dans l’épreuve de force qui est aujourd’hui engagée au Proche-Orient. Cela dit, il n’est qu’un des atouts de Téhéran, ses forces militaires étant parfaitement capables de résister à toute attaque de leur territoire (lors de la « défense sacrée » de 1980 à 1988, les Iraniens n’avaient pas reculé d’un pouce devant les forces irakiennes pourtant soutenues logistiquement par les principales puissances planétaires). Pire, cela rangerait les populations derrière leur régime. Bien sûr, Souleimani peut disparaître, les Israéliens l’auraient d’ailleurs inscrit sur leur Kill List,mais il n’est pas irremplaçable et devenir un martyr serait sa plus grande victoire personnelle. A noter que sur les images publiées, il ne porte jamais d’arme ni de protection particulière (casque, gilet pare-balles).
Beaucoup d’observateurs s’interrogent sur son éventuel avenir politique. Les obsèques de sa mère en 2013 et de son père en 2017 ont été largement couvertes par la presse iranienne et ont mis en valeur la présence des plus hautes autorités de l’Etat, ce qui démontre l’estime dans laquelle il est tenu par le régime. En dehors du fait que cela n’est peut-être pas son désir de « petit soldat » comme il aime à se qualifier, les multiples sanctions internationales qui pèsent sur sa personne gêneraient considérablement ses déplacements à l’étranger et nuiraient à l’efficacité d’une politique étrangère sereine.
[1] Après une période de brouille de 2012 à 2016 due au soutien du Hamas à la contestation en Syrie.
[2] L’ASMLA est un groupe – séparé en deux entités distinctes, l’une basée à Londres, l’autre à Copenhague- qui milite pour l’indépendance du Khouzestan. Téhéran l’accuse d’être derrière l’attentat d’Ahwaz de septembre 2018 qui a fait 24 tués (mais Daech a aussi revendiqué l’opération, vidéo à l’appui).