Iran – Israël : Vers l’équilibre de la terreur ?
Alain RODIER
Les autorités iraniennes ont présenté leur dernier missile sol-sol lors de la parade militaire du 22 septembre 2011, qui commémore le début de la guerre déclenchée par l'Irak, il y a 31 ans. Le Sajjil 2 est un missile concocté par l'industrie de défense iranienne et mis en œuvre par la composante aérienne des gardiens de la révolution (Pasdarans). Ce lanceur de deux étages[1], haut de 17 à 19 mètres, pesant environ 26 tonnes, serait capable d'emporter, soit une charge militaire d'une tonne à 2 000 kilomètres, soit une charge de 650 kilos à 2 500 kilomètres. Israël se trouve donc à portée de son rayon d'action.
L'originalité du Sajjil 2 par rapport aux armements équivalents de type Shahab 3, tient au fait qu'il utilise un carburant solide inspiré de celui employé par la roquette Zelzal. Il est donc beaucoup plus facile à mettre en œuvre par rapport à ses homologues à carburant liquide. Ces derniers doivent être remplis dans les heures qui précèdent leur lancement, ce qui les rend très vulnérables car ils sont alors repérables par des moyens d'observation modernes tels que les satellites, les avions de reconnaissance et les drones.
Par contre, il ne semble pas que le Sajjil 2 puisse emmener une tête multiple comme le Shahab 3. Les Occidentaux craignent toutefois qu'il ne soit doté à l'horizon 2013-2015 d'une charge nucléaire. En effet, n'étant pas équipé d'un système de guidage terminal, sa précision est relativement aléatoire, estimée de un à cinq kilomètres. Il n'est donc pas destiné à être employé pour des frappes « chirurgicales ». Seul l'emport d'une charge nucléaire semble intéressante pour ce type d'arme.
Le Sajjil 2 a été testé avec succès à plusieurs reprises et serait sur le point d'être affecté au sein d'unités opérationnelles dépendant des Pasdarans. Il menacerait non seulement Israël mais aussi les pays arabes de la région, ainsi que les bases américaines implantées au Proche et Moyen-Orient.
Le danger parait si crédible que la Turquie, pourtant actuellement en froid avec Israël, a accepté l'installation sur son sol, en septembre dernier, d'un système de détection anti-missiles qui serait mis en œuvre dans le cadre de l'OTAN.
L'Arabie saoudite, pays sunnite rival traditionnel de l'Iran chiite, songerait à également développer un programme nucléaire militaire pour contrebalancer celui de Téhéran, ce qui augmenterait d'autant les risques de prolifération. Plus qu'une question opérationnelle, il s'agit d'une politique de prestige qui est un facteur très important pour établir une influence prépondérante sur les pays arabes.
Et pendant ce temps là, Israël…
De son côté, Israël a annoncé, fin septembre, avoir testé avec succès un système de propulsion de missile. Bien que le secret soit, comme d'habitude en Israël, de mise dans cette affaire, certaines fuites – peut-être volontaires – laissent penser qu'il s'agit d'un essai du système de propulsion du missile Jericho III.
Cet engin pesant 29 tonnes au total serait composé de deux ou trois étages comportant du carburant solide (propergol). Haut de 15,50 mètres, ce missile pourrait emporter une charge militaire de 1 000 à 1 300 kilos. Il serait mis en œuvre depuis des silos enterrés, ce qui permet de penser qu'il s'agit là d'une arme de riposte et non de première frappe, ce qui n'est pas le cas des Sajjil II.
En effet, sa capacité d'emport permet d'adapter une charge militaire nucléaire unique ou à tête multiple. Bien que rien ne soit officiel, Israël posséderait entre 100 et 200 charges nucléaires. Certaines seraient déjà opérationnelles sous la forme de bombes d'avions et de missiles de croisière pouvant être tirés depuis un aéronef ou d'un sous-marin Dolfin type 800 d'origine allemande, que possède l'Etat hébreu. D'ailleurs, Israël dépêcherait déjà en permanence un de ses trois sous-marins en mer Rouge et en mer d'Oman.
Vers un équilibre de la terreur au Proche-Orient ?
Cet état de fait permet de penser qu'une véritable dissuasion est en train de se mettre en place entre Israël et l'Iran. Toutefois, les dés peuvent être pipés dans la mesure où les réactions des dirigeants en place à Téhéran sont parfois imprévisibles. Tel-Aviv s'en inquiète fort justement, d'autant que le dispositif qui est en train de se mettre en place en Iran est à l'évidence destiné à une première frappe. Cette dernière ne pourrait être totalement contrée par le système Dôme d'acier construit autour de missiles anti-missiles de type Hetz. A noter d'ailleurs que, selon le Military Balance, le budget militaire israélien s'élève en 2011 à 16 milliards de dollars contre 9,1 milliards de dollars pour l'Iran. Dans les deux cas, l'effort est colossal dans cette période de crise économique mondiale.
Des rumeurs de frappes aériennes du complexe militaro-industriel iranien reviennent régulièrement dans les medias. La dernière en date concerne l'armée britannique qui disposerait d'un plan d'assistance militaire aux Etats-Unis si ces derniers se décidaient à passer à l'action. Or, tous les états-majors ont dans leurs cartons des plans de guerre pour le « cas où ». C'est vraisemblablement ce dont il s'agit dans cette affaire. Toutefois, aucun expert ne se fait d'illusion. Une frappe des installations nucléaires iraniennes ne ferait que retarder de quelques années (deux ou trois ans) la conception de l'arme atomique. Par contre, elle provoquerait un embrasement de la région très difficilement maîtrisable avec toutes les conséquences catastrophiques que cela entraînerait.
Quoique puissent prétendre les différents mouvements d'opposition iraniens, le régime des mollahs n'est aujourd'hui pas réellement menacé. Certes, il traverse une crise politico-religieuse importante au plus haut niveau de l'Etat, mais elle est circonscrite aux membres dirigeants. Des figures importantes du régime, dont le président Ahmadinejad, sont sur la sellette, mais elles ne seront remplacées que par des hommes qui souhaitent le maintien de la théocratie actuelle. Les ennemis « sioniste et américain » seront malheureusement toujours d'actualité dans les cercles du pouvoir à Téhéran. Ils servent d'éléments fédérateurs garantissant l'unité de la République islamique.
Il convient de méditer les dernières déclarations de Shimon Peres, président de l'Etat d'Israël depuis 2007 et prix Nobel de la paix en 1994 : « Tous les services secrets préviennent leurs dirigeants de ce qu'il s'y passe (en Iran). Il semblerait que l'Iran se rapproche de la possession d'armes nucléaires. Dans le temps qui reste (avant le réalisation de ces armes) derrière la promesse qui nous a été faite, ils est temps qu'ils (les Etats-Unis) assument leurs responsabilités, qu'ils agissent par sanctions ou une opération militaire ».
- [1] Les Iraniens développeraient également un missile à trois étages baptisé Ashoura. Il aurait une portée maximale théorique de 3 000 kilomètres. Cet armement n'a pas encore été montré publiquement.