Iran – Irak – Syrie : le projet du maître espion se réalise
Alain RODIER
Le major-général Qassem Souleimani, le légendaire chef de la Force Al-Qods – le « service Action » des pasdarans iraniens -, traîne ses bottes sur le front syro-irakien depuis des années. Il a été aperçu pour la dernière fois fin mai dans la province de Ninive aux côtés des milices chiites irakiennes (Unités de mobilisation populaires). Ces dernières ont atteint la frontière syrienne à hauteur de Umm Jaris, en face de la localité d’Al-Hawl qui est tenue par les Forces démocratiques syriennes (FDS) épaulées par les Américains. Cette victoire entre dans le cadre de l’opération Muhammad Rasulollah lancée à l’ouest de Mossoul fin avril afin d’isoler la ville de Tal Afar – dont une partie est toujours aux mains de Daech – de la frontière syrienne.
Le général Souleimani est surtout devenu « visible » depuis le début de la guerre civile en Syrie. En fait, même cette manière de procéder a étonné les observateurs avertis. Pourquoi un maître espion qui avait pour règle de ne jamais apparaître personnellement sur le devant la scène a-t-il tout d’un coup été médiatisé ? C’est évidemment sur ordre du Guide suprême de la Révolution, l’ayatollah Ali Khamenei, dont il dépend directement. L’explication comme quoi il était là pour galvaniser les milices chiites syriennes, irakiennes, afghanes et le Hezbollah libanais est véridique mais incomplète.
En fait sa principale mission est de créer un corridor sécurisé qui relierait l’Iran à la côte méditerranéenne syrienne dans la région de Lattaquié. Ce projet jugé vital pour l’Iran et ses alliés du « croissant chiite » (Irak, Syrie et Liban via le Hezbollah) a commencé à connaître un début d’exécution en 2014. Il devrait être complété par la constitution d’une base navale iranienne sur la côte syrienne, ce qui lui permettrait d’assurer une présence permanente en Méditerranée1.
Ce corridor pénètre en Irak depuis l’Iran par une route de contrebandiers qui date de 2003, tracée juste après l’invasion américaine. Elle servait à approvisionner les mouvements chiites qui luttaient contre l’armée américaine. Les plus connus, le Asa’ib Ahl al-Haq et le Kata’ib Hezbollah sont encore actifs aujourd’hui sauf que leur premier adversaire est maintenant Daech2. Passant par Baqouba, cette route rejoint ensuite Shirqat puis Tal Afar avant de s’orienter au sud dans la province du Sinjar.
Cette route n’étant alors pas en zone chiite, Qassem Souleimani a été contraint de négocier avec les tribus locales dont celles du cheikh Abdulrahim al-Shamari, lui-même un important membre du Conseil de la province de Ninive. Des contacts ont aussi été établis avec le mouvement séparatiste kurde de Turquie, le PKK, qui est devenu incontournable dans cette zone tout comme en Syrie voisine. En effet, une fois entré en Syrie, le corridor suit d’est en ouest le sud du Rojava, le Kurdistan syrien. Or cette zone, qui peut être qualifiée d’autonome, est de fait placée sous la coupe du Parti de l’union démocratique (PYD, Partiya Yekîtiya Demokrat), un cousin germain du PKK3.
Initialement, le corridor devait traverser les localités de Qashmili, la « capitale » du Rojava, et Kobané, la ville symbole de la première défaite de Daech. Mais un tracé plus au sud a été choisi pour éviter autant que faire se peut de rencontrer les forces spéciales américaines qui épaulent les FDS au nord de Raqqa.
Il lui faut aussi contourner la zone tenue, depuis l’été 2016, par l’armée turque et des mouvements rebelles qu’elle soutient entre Jarablus à l’est et Azaz à l’ouest. Il est à remarquer que la Turquie a l’ambition de transformer les groupes rebelles qu’elle appuie dans cette région en une véritable « armée » dont la mission serait de combattre le régime de Bachar el-Assad, Daech et le PYD !
Le tracé s’orient ensuite vers le sud en évitant la province d’Idlib – contrôlée par des mouvements rebelles syriens affilés plus ou moins ouvertement à Al-Qaida « canal historique » – pour rejoindre Homs puis Lattaquié, le fief des Alaouites, proche des chiites.
Selon le journal britannique The Guardian, la route passerait beaucoup plus au sud, ce qui semble impossible aujourd’hui car Daech tient encore fermement la région de Deir ez-Zor.
Israël surveille de près ce projet iranien qui pourrait être utilisé pour approvisionner en armes le Hezbollah libanais. Les Etats-Unis et la Turquie y sont également farouchement opposés et feront tout pour l’empêcher ce qui risque de provoquer de nouveaux affrontements dans l’avenir.
- A noter que Téhéran souhaite aussi construire dans l’avenir une base navale au Yémen, sur la mer Rouge. ↩
- Ces milices sont toujours désignées comme terroristes par Washington. Il est parfaitement exact qu’elles peuvent se retourner demain contre les Etats-Unis si l’ordre en est donné. ↩
- Le président turc Reccep Tayyip Erdoğan est furieux de cet accord secret dont on ne connaît pas les termes. ↩