Iran/Irak : jeux d’influence ?
Alain RODIER
La presse iranienne a rapporté fin septembre qu’Ali Khomeini – l’un des petits-fils du fondateur de la République islamique d’Iran, l’ayatollah Ruhollah Khomeini – avait quitté le séminaire de Qom en Iran pour rejoindre celui de Nadjaf, en Irak. Il est à noter que c’est depuis Nadjaf que son grand-père – qui y avait été exilé pendant quinze ans – avait lancé la Révolution.
Ali Khomeini, âgé de 33 ans est l’un des plus célèbres prêcheurs de Qom[1]. Il a des liens familiaux avec le grand ayatollah Ali Al-Sistani, la plus haute autorité chiite d’Irak bien qu’il soit de nationalité iranienne, qui vit à Nadjaf depuis 1951. Ali a épousé une des filles de l’ayatollah Javad Shahrestani, le gendre d’Ali Al-Sistani. Ali Khomeini devrait débuter son enseignement – en arabe – à Nadjaf depuis la résidence qui accueillit son grand-père durant son exil.
Pour quel motif le petit-fils de l’ayatollah Khomeini a-t-il rejoint Nadjaf qui a une vision différente de l’islam que celle enseignée à Qom ? Certains y voient une raison politique qui serait un signe de l’aggravation des scissions au sein de la classe politico-religieuse iranienne au moment où Washington impose de nouvelles sanctions au régime.
Le maître d’Ali Khomeini, Mohammad Reza Naini, a dévoilé les raisons du départ de ce dernier de Qom. Nadjaf lui offre plus d’opportunités de recherches et de progression que Qom. D’autres évoquent qu’il aurait été l’objet d’harcèlements à Qom de la part de membres influents du régime qui n’hésitent pas à remettre en question l’enseignement même de l’ayatollah Khomeini et de ses disciples.
Ali appartiendrait au camp réformiste iranien s’opposant à la doctrine du velayat-e faqih– actuellement en vigueur en Iran – qui affirme la domination du religieux sur le politique. Cette école réformiste iranienne appellerait à l’établissement d’un régime politique non religieux en Irak. D’ailleurs, l’ayatollah Al-Sistani est apprécié par les modérés en Iran car il prône lui aussi l’établissement d’un régime séculaire séparé du religieux.
Ce sont ainsi quelques 400 étudiants en religion de Qom qui auraient rejoint Nadjaf dont 100 au cours de cette année. Bien que les conditions de vie y soient moins bonnes qu’à Qom, ils mettent en avant la plus grande liberté d’étudier qui leur est offerte dans cette ville, personne le les obligeant à adopter une opinion politique spécifique. À titre d’exemple, ils citent le cours de l’ayatollah Yousef Saanei qui a été fermé en 2009 à Qom par un groupe paramilitaire conservateur au moment où Ahmadinejad postulait pour un second mandat présidentiel. La Société des professeurs religieux de Qom avait alors publié une fatwa déclarant que Saanei était incapable de diriger les cours de religion et il a été banni de ses activités d’enseignement.
Beaucoup d’autres étudiants souhaiteraient suivre l’exemple d’Ali Khomeini mais Téhéran ne devrait pas laisser faire ceux qui, à terme, pourraient représenter une menace pour la doctrine du régime.
Cela dit, l’Iran continue à aider l’Irak, notamment en restaurant les lieux chiites qui ont été endommagés par la guerre. Ainsi, l’Institut pour la conservation et la publication des travaux de l’imam Khomeini – basé à Téhéran – a récemment restauré la mosquée de l’imam Ali à Nadjaf. De nombreux pèlerins viennent d’Iran vers ce lieu considéré comme sacré par le chiisme.
C’est donc un jeu subtil qui est en train d’opposer les réformateurs iraniens aux politico-religieux aux manettes à Téhéran. Ces réformateurs voient en l’Irak le terrain d’essai pour leurs idées. Le régime des mollahs n’a pas vraiment intérêt à ce que cela fonctionne[2] car cela pourrait avoir – par effet de ricochet – des répercutions sérieuses en Iran. En fin de compte, ceux qui détiennent la clef de l’avenir en Iran sont les pasdaran qui devront, à un moment ou à un autre, choisir leur camp – s’ils ne se divisent pas eux-mêmes avant.
[1] Son père, Ahmad Khomeini, était le bras droit de son grand-père, est mort dans des conditions obscures en 1995, la rumeur accusant des responsables politiques iraniens de l’avoir fait disparaître pour avoir critiqué le régime d’alors.
[2] Ce qui pourrait expliquer en partie les troubles graves qui se sont déroulés il y a quelques semaines dans la région de Bassora.