Irak-Syrie : préparation d’une nouvelle génération de djihadistes
Alain RODIER
L’horreur atteint des sommets dans la guerre qui fait rage au Proche-Orient. Toutes les parties, qu’elles soient rebelles ou gouvernementales, font assaut d’abominations. Faut il rappeler que si les conflits classiques sont déjà terrifiants, les guerres civiles peuvent atteindre des paroxysmes car elles n’obéissent à aucune règles, en particulier les conventions de Genève. En outre, les belligérants sont presque tous animés d’une véritable haine de l’ennemi qu’ils connaissent parfois très bien parce qu’il est souvent leur ancien voisin. Toutefois, en général, ceux qui commettent ces atrocités tentent de les dissimuler. Le Groupe Etat Islamique (EI, Daech), lui, les instrumentalise pour s’en servir comme moyen de propagande. L’imagination des bourreaux n’a pas de limites mais il leur faut systématiquement innover dans l’ignominie pour rendre leurs actions encore plus insupportables : après les exécutions par fusillades et décapitations à l’arme blanche, les salafistes-djihadistes de Daech sont passés à la mise à mort par noyade, par le feu, à l’aide d’explosifs et, plus dernièrement en enterrant vivants certains de leurs propres combattants qui refusaient de monter au front. Ils ont fait de bourreaux – comme Jihad John aujourd’hui disparu lors d’une frappe américaine – de véritables héros médiatiques qui, suprême torture pour les suppliciés, se livrent à de longs et abscons discours avant de les assassiner. Le plus terrible est que, comme dans le cas de la Shoah, tout cela est pensé et organisé méthodiquement. Par exemple, les mises en scène des assassinats sont particulièrement soignées afin d’obtenir un impact maximum sur le public qui visionne ces vidéos. L’objectif consiste à terroriser les adversaires, décourager les « traîtres » et les « espions », pour affirmer à la face du monde que les adeptes de l’Etat Islamique et de son calife, Abou Bakr Al Baghdadi, ne craignent rien ni personne et surtout pas la justice des hommes. Daech se pose ainsi comme le seul mouvement qui ose s’opposer aux grandes puissances, : Occident, Russie, Arabie saoudite, etc. C’est un véritable pied de nez que Daech lance au monde entier en appliquant à la lettre sa célèbre maxime : « vous, vous aimez la vie comme nous, nous aimons la mort ». Par un phénomène d’attraction/répulsion bien connu des professionnels de la psychologie, ces démonstrations macabres attirent des volontaires autant qu’elles révoltent les adversaires de l’Etat islamique.
Le cas des Ashbals (Les lionceaux)
Ce qui est totalement hallucinant, c’est l’utilisation d’enfants qualifiés d’Ashbals (Les lionceaux) par Daech en tant que bourreaux. Une vidéo récente met en scène deux enfants français que leur père 1 djihadiste (présumé tué à Alep en 2014) aurait emmené faire la hijra 2 et assassiner des « espions ». Avant de passer à l’action, on les voit écoutant bien sagement des cours et manipulant une kalachnikov. D’autres vidéos, tout aussi insoutenables, montrent déjà des enfants commentant les pires horreurs, dont au moins une décapitation au couteau qui aurait été effectuée par un jeune Britannique.
Pour Daech qui prétend faire respecter strictement les valeurs de l’islam des origines, il s’agit en fait d’un véritable parjure. En effet, les textes sacrés de l’islam (les Coran, les hadiths et la biographie de Mahomet) interdisent strictement aux enfants non pubères de mener quelque action de guerre que ce soit. Or, les « exécutions » et l’entraînement aux armes sont des actes de guerre.
Al-Baghdadi trahit donc fondamentalement la doctrine qu’il prétend défendre et imposer à l’Oumma (communauté des musulmans). En fin de compte, il adapte sa base idéologique à ses besoins stratégiques et tactiques. Le cas est flagrant lorsqu’il accepte que des jeunes filles embrigadées par Boko Haram deviennent des kamikazes, ce qui est formellement prohibé par les textes sacrés cités, les femmes – et encore moins les jeunes filles – ne devant participer directement à des actions de guerre et encore moins se suicider. D’ailleurs, il n’y a que Boko Haram qui se livre actuellement à ce type d’actions terroristes dévastatrices. Il faut dire que les adeptes de ce groupe que l’on peut qualifier de secte (ce qui était le cas à l’origine du mouvement) respectent un islam fortement mêlé de syncrétisme qui autorise toutes les abominations peu compréhensibles aux yeux des Occidentaux.
Si dans le cas de Boko Haram rebaptisé la « wilaya Afrique de l’Ouest » depuis son ralliement à l’Etat islamique le 7 mars 2015, le souci de la choura (le « conseil », l’organe de commandement) de Daech est purement tactique : déclencher des attentats meurtriers au sein des populations civiles pour obliger les forces régulières à se disperser sur le terrain afin de tenter d’assurer une meilleure protection. Ailleurs, en particulier dans le berceau syro-irakien du califat, le but est stratégique : préparer la prochaine génération de combattants car le djihad s’inscrit dans la très longue durée. Déjà, les écoles 3 dirigées par Daech sont en fait des camps d’entraînement où les enfants sont embrigadés et reçoivent une formation paramilitaire. Faire commettre des atrocités à certains d’entre eux rappelle les savoir-faire enseignés aux jeunes Sud-américains par les cartels de la drogue. Ces « écoles du crime » fournissent des sicarios décérébrés pour qui tuer est devenu un geste naturel.
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Les massacres et exécutions diffusés par les organes de propagande de Daech attirent la réprobation, même de la part des groupes dépendant d’Al-Qaïda qui, pourtant, s’y connaissent en terreur 4. Mais, sur instruction d’Al-Zawahiri, ces derniers essayent, autant que faire ce peut, d’éviter les pertes collatérales. La nébuleuse a tiré les leçons du passé car elle a rencontré de nombreux échecs, particulièrement en Irak, du fait de tueries indiscriminées qui lui avaient amené l’hostilité des populations et tribus locales. Daech est loin d’avoir atteint ce stade de réflexion et les futurs djihadistes que le mouvement est en train de former – non seulement au Proche-Orient mais aussi dans ses wilayas extérieures – seront vraisemblablement encore plus cruels et redoutables que ceux qui sévissent aujourd’hui.
- L’information selon laquelle ils seraient frères reste à confirmer ↩
- L’émigration de musulmans de la France « mécréante » vers le « califat » ↩
- Pour les jeunes étrangers, Daech vient de développer une application informatique pour apprendre l’arabe. Appelée Hurouf (« Lettres »), l’application fonctionne sur les appareils Android et offre diverses fonctionnalités d’apprentissage interactif. La bannière de l’Etat islamique est visible sur l’écran principal de l’application. Le logo d’Al-Himma Library, maison d’édition officielle de Daec,h apparaît à divers endroits. Le plus significatif est le chant de l’alphabet, accessible en cliquant sur le bouton « Nasheed » (hymne religieux) : La lettre baa (B) est un héros qui se sacrifie pour l’oumma… / La lettre jeem (J) [-mène le djihad contre les ennemis… / La lettre kaaf (K) – nous avons brisé les idoles… / La lettre yen (E) – ma religion restera la plus puissante… ↩
- Eux-mêmes en sont les victimes. Ainsi, Daech a diffusé mi-mai une vidéo montrant l’exécution de trois taliban en Afghanistan. ↩