Hezbollah et Al-Qaida, allies ou concurrents ?
Alain RODIER
Le Cheikh Hassan Nasrahllah et Oussama Ben Laden se ressemblent par bien des côtés. Tous deux sont à peu près du même âge : 46 ans pour le premier, 49 pour le second. Ils peuvent être qualifiés d'« intellectuels » ayant suivi des études supérieures l'un à Qom, l'autre à Riyad. Les deux hommes ont la foi chevillée au corps et se ressemblent également sur le plan du caractère faisant preuve de calme, de réflexion, d'un certain sens de l'humour, d'attention vis-à-vis de leur entourage et possèdent un grand charisme qui leur permet de séduire nombre de fidèles. Ils sont passés experts dans l'emploi des technologies modernes ainsi que des médias. Dans ce dernier domaine, ils sont tellement doués (ou machiavéliques) qu'ils arrivent à faire passer leurs ennemis pour des « méchants » qui ne respectent aucune règle morale ou internationale. C'est vraiment très fort pour deux chefs d'organisations terroristes qui se sont livrées aux pires atrocités, sans respecter aucune règle morale ni internationale. Enfin et surtout, ils ont un ennemi commun : « les Juifs et les Croisés ».
Cependant, ils divergent également sur certains points importants.
Oussama Ben Laden est aujourd'hui totalement indépendant et mène « sa » propre guerre qu'il a d'ailleurs étendue aux chiites en Irak. Nasrallah, quoiqu'il en prétende, n'est qu'un atout de Téhéran. Il n'est donc pas entièrement libre de ses décisions. S'il semble mener une guerre contre Israël, il sert avant tout les intérêts des mollahs iraniens.
Est-il utile de le rappeler, Ben Laden est sunnite et Nasrallah chiite. Mais, à y regarder de plus près, cette différence religieuse est moins importante qu'il n'y parait. Il semble que la lutte meurtrière initiée contre les chiites irakiens n'ait pas été du fait de Ben Laden lui-même, mais surtout des anciens cadres du parti baas qui voient d'un très mauvais œil l'arrivée au pouvoir de chiites honnis depuis des décennies. Cette lutte a été reprise à son compte par Abou Moussab Al-Zarqaoui. Feu le « représentant d'Al-Qaida en Irak », n'a été adoubé que tardivement par Ben Laden et semble en fait plus s'être « imposé » qu'avoir été désigné. D'ailleurs, le numéro deux d'Al-Qaida, le docteur Ayman Al-Zawahiri, qui n'appréciait que très modérément ce petit voyou devenu chef de guerre islamique1, lui avait demandé dans un courrier, intercepté en 2005, de reconsidérer ses attaques qualifiées de « sectaires ». De son côté, Nasrallah qui a exprimé un temps sa désapprobation pour les méthodes employées par Ben Laden et les Taliban, s'est toujours gardé d'attaques verbales directes à l'encontre des sunnites, d'autant qu'il soutient ouvertement le Hamas et le Djihad islamique, mouvements palestiniens sunnites. En outre, Nasrallah déclarait en 2002 : « nous n'avons jamais eu de lien avec Al-Qaida, ni dans le passé, ni actuellement, non pas pour des raisons religieuses ou idéologiques, mais pour des raisons de priorité politiques [ …] dire que le Hezbollah est chiite et Al-Qaida sunnite et que pour cette raison il ne saurait y avoir de relations entre eux est faux ».
Personne ne sait si les deux hommes se sont jamais rencontrés (pour des raisons de sécurité, cela semble difficile). Cependant, il semble qu'ils ont beaucoup de points en commun et surtout, le même ennemi à combattre. Il n'est donc pas illogique que les deux organisations coopèrent, au moins ponctuellement.
La coopération passée entre les deux organisations
Les premières relations existant entre Al-Qaida et le Hezbollah datent du milieu des années 1990. Oussama Ben Laden, alors en exil au Soudan (1992-1996), profite des manifestations organisées dans le cadre de la Conférence populaire arabo-islamique (CPAI) sous l'égide de son ami de l'époque, Hassan Al-Tourabi, pour rencontrer le gratin de l'islam radical, sunnite ou chiite. C'est de cette manière qu'il fait la connaissance de Imad Fayez Mugniyah. Ce Libanais de 44 ans est membre du Hezbollah. Il est recherché pour sa participation à différents attentats, notamment ceux dirigés contre l'ambassade des Etats-Unis, les cantonnements américains et français à Beyrouth en 1983. Ce passé « glorieux » impressionne Ben Laden qui demande à son interlocuteur, qui occupe déjà les fonctions de chef de la sécurité au sein du Hezbollah, de bien vouloir former quelques-uns de ses militants au maniement des explosifs et aux attentats-suicides. C'est ainsi que quelques activistes d'Al-Qaida se retrouvent dans des camps d'entraînement du Hezbollah dans la plaine de la Bekaa. La coopération va même plus loin car le Hezbollah, qui est fortement représenté à l'étranger, particulièrement en Afrique et en Amérique Latine, accepte d'ouvrir son infrastructure à des militants d'Al-Qaida. Comme on peut s'en douter, cette coopération n'est pas gratuite, Oussama Ben Laden acceptant de financer les services rendus. C'est ainsi qu'Al-Qaida aurait financé les attentats commis par le Hezbollah contre les tours al-Khobar causant la mort de 19 Américains en Arabie saoudite en 1996. Il aurait également fait profiter le Hezbollah d'un trafic de diamants en Afrique, au début des années 2000. Il a également pu obtenir des facilités de « mise au vert » de certains de ses militants dans la région des trois frontières (Paraguay, Argentine, Brésil) en Amérique Latine.
Par contre, il est indéniable qu'Al-Qaida a toujours été repoussé du Liban et des territoires palestiniens sur la volonté expresse du Hezbollah et des Palestiniens, qui ne tenaient pas à ce que leur « combat » soit dévalorisé sur la scène internationale où ils bénéficient de beaucoup d'appuis, lesquels n'auraient vraisemblablement pas accepté cet état de fait.
Quelles peuvent être les relations futures entre les deux mouvements ?
Les deux leaders sont aujourd'hui des concurrents, particulièrement au sein du monde musulman. Longtemps, seul Ben Laden a représenté le symbole de la lutte contre les « Juifs, les Croisés et les apostats ». Les événements de juillet/août 2006 au Liban ont changé la donne. Nasrallah bénéficie aux yeux des populations musulmanes d'un avantage sans précédent : c'est lui qui a « vaincu » les troupes israéliennes, une première fois en 2000, en les faisant évacuer le Sud-Liban ; une deuxième fois en 2006, en résistant à une offensive majeure de Tsahal2. Ben Laden pour sa part, n'a jamais remporté de victoire « militaire », même s'il a porté la mort et la désolation au cœur de l'Amérique avec les attentats du 11 septembre 2001. D'autre part, si Nasrallah arrive à recruter des fidèles dans le monde sunnite, en raison de sa prudence affichée dans ses différentes déclarations, Ben Laden ne trouve que peu d'écho dans les populations chiites, particulièrement à cause de ce qui se déroule aujourd'hui en Irak et au Pakistan.
En réalité, cette opposition réelle qui existe entre les deux hommes va être fortement tempérée par un troisième acteur majeur : Téhéran.
En effet, l'Iran abrite depuis l'effondrement du régime taliban de nombreux militants d'Al-Qaida qui y ont trouvé refuge après l'invasion de l'Afghanistan par les forces américaines. Les services iraniens (le VEVAK) et les Pasdarans ont laissé se reconstituer un commandement d'Al-Qaida sur le sol iranien. Celui-ci est dirigé par Saif el-Adel, un ancien colonel des forces spéciales égyptiennes. Les Iraniens manipulent une partie des membres de cette organisation3. L'objectif des mollahs est de préserver leur régime assez de temps pour pouvoir se doter d'une dissuasion nucléaire qui interdira définitivement toute action militaire des Etats-Unis et d'Israël à leur encontre.
La stratégie employée est relativement simple dans ses grandes lignes quoique compliquée dans son exécution. Le Hezbollah va poursuivre son combat en l'étendant au Liban – lutte qui sera en grande partie politique – et va continuer à soutenir le Hamas et le Djihad islamique palestiniens. De manière à garder une crédibilité sur le plan international, il évitera toute action terroriste à l'étranger. Par contre, Al-Qaida va poursuivre ses opérations terroristes de par le monde, faisant le jeu de Téhéran, mais la faute retombant sur Ben Laden.
Dans ce contexte, il semble indéniable que le complot visant à détruire le 16 août dix avions civils en vol entre la Grande-Bretagne et les Etats-Unis, déjoué à Londres au début du mois, entre dans la rivalité d'influence que se livrent actuellement Al-Qaida et le Hezbollah. Ben Laden a tenté de « reprendre la main » en donnant l'ordre de déclencher cette opération d'envergure, qui, si elle avait réussi, aurait éclipsé la « victoire » que Nassarallah a « remporté » sur les Israéliens. Cette action, certainement planifiée depuis de longs mois, est indubitablement à imputer au commandement d'Al-Qaida. En effet, si le Majlis al-Choura4 ne s'occupe pas directement des actions de petite ou moyenne envergure, qui peuvent être déclenchées ici ou là par des mouvements affiliés ou des groupuscules qui se réclament d'Al-Qaida, il pilote les attentats de grande ampleur. Ceux-ci sont dirigés en priorité contre les intérêts américano-britanniques, mais également contre l'ensemble des pays qui, à un titre ou à un autre, participent à la guerre « déclenchée contre les musulmans ». En effet, dans un message daté du 27 juillet, le docteur Al-Zawahiri a été très clair : « il est nécessaire de viser les intérêts juifs et américains n'importe où et de viser les intérêts de tous les pays qui prennent part dans l'agression des musulmans en Tchétchénie, au Cachemire, en Afghanistan, en Irak, en Palestine et au Liban ». Cette alerte ne laisse rien de présager de bon pour l'avenir, surtout si Téhéran apporte son concours secret à Al-Qaida.
- 1Bien sûr, après la mort d'Al-Zarqaoui tué en Irak par les Américains le 7 juin 2006, Ben Laden et son adjoint y sont allés de leur petit couplet vantant les mérites de ce djihadiste regretté. En fait, c'est uniquement dans un but de propagande car la mort de cet électron libre arrangeait finalement tout le monde. C'est à se demander s'il n'a pas été donné avec l'approbation de la direction d'Al-Qaida.
- 2Peu importe la réalité des faits, aux yeux de ses admirateurs, 3 000 hezbollahis ont réussi à résister à 30 000 soldats hébreux.
- 3Certes avec des bavures, comme celle d'Al-Zarqaoui, qui avait échappé à leur contrôle.
- 4Conseil consultatif, organe dirigeant d'Al-Qaida.