Haut-Karabagh : l’arme de l’épidemie s’invite dans le conflit
Tigrane YEGAVIAN
« La République d’Azerbaïdjan et la République d’Arménie ont convenu d’une trêve humanitaire à partir du 18 octobre, à 00h00 heure locale [20h00 GMT] », a déclaré, samedi, le ministère azerbaïdjanais des Affaires étrangères dans un communiqué. Pour la seconde fois consécutive, cette trêve humanitaire visant à récupérer les corps des soldats et échanger des prisonniers n’aura pas fait long feu. L’encre n’étant pas encore sèche que des combats d’une rares intensité se déroulaient dans certaines zones du front, en particulier dans le sud de l’enclave arménienne, à proximité de la frontière iranienne.
Un lourd bilan humain
Depuis l’offensive militaire turco-azerbaidjanaise du 27 septembre, le ministère arménien de la Défense a fait état de 710 morts dans les rangs arméniens (civils et militaires confondus) tués le long de la ligne de contact qui sépare la République autoproclamée de l’Artsakh (ex Haut-Karabagh) du reste de l’Azerbaïdjan. De son côté, l’Azerbaïdjan n’a toujours pas communiqué les chiffres de ses pertes, prétextant un secret défense de plus en plus difficile à garder, tandis que les deux parties estiment avoir infligé à l’adversaire plusieurs milliers de morts et des pertes considérables. Suite à sa visite en Artsakh le 18 octobre, le député allemand Steffen Kotré (AFD) a déclaré que le bilan des morts pendant ces dernières trois semaines est bien plus élevé que celui constaté en Syrie au cours de toute la dernière année[1].
Sur le terrain, l’offensive de type blitzkrieg finement préparée par les états-majors des armées turque et azerbaïdjanaise lors des grandes manœuvres de l’été dernier dans l’enclave du Nakhitchevan, n’a pas porté ses fruits. Tout au plus, l’armée du régime d’Aliyev est parvenue au prix de combats acharnés, et fort de sa supériorité technique, à rogner quelques territoires au nord et au sud de la République autoproclamée de l’Artsakh, comme on peut le voir sur la carte ci-dessous. A l’évidence, les belligérants sont entrés dans une guerre de tranchées à l’issue incertaine qui n’est pas sans rappeler la guerre Iran – Irak (1980-1988).
Si le conflit provoque un nombre bien plus important de victimes que les affrontements des années 1990, c’est en raison de la modernisation des arsenaux des belligérants, mais aussi de la pugnacité des soldats arméniens qui sont engagés dans une guerre existentielle face à l’ennemi héréditaire turc, qui à leurs yeux poursuit une politique génocidaire initiée à la fin du XIXe siècle. Sans oublier l’usage d’armes non conventionnelles.
L’ONG Amnesty International a confirmé des tirs d’artillerie et des bombardements aveugles de l’Azerbaïdjan sur des zones densément peuplées. Ces bombardements indiscriminés ont à la fois visé des objectifs non militaires, comme la cathédrale Saint Sauveur de Chuchi – siège du diocèse de l’Eglise arménienne apostolique de l’Artsakh – et surtout Stepanakert, capitale de l’Artsakh, pilonnée avec des bombes à fragmentation de fabrication israélienne, bannies par le droit international et humanitaire. De son côté, le Comité International de la Croix Rouge (CICR) a rappelé que l’emploi de bombes à fragmentation est interdit et que leur utilisation dans les zones résidentielles peut accroître le nombre de victimes[2].
C’est à l’évidence l’emploi de ces armes interdites, dotées de munitions intelligentes, et surtout des drones de fabrication israélienne qui confère à l’Azerbaïdjan une incontestable supériorité aérienne.
L’arme des maladies infectieuses
A l’heure où l’Azerbaïdjan maintient un blackout médiatique aussi bien sur le plan intérieur que vis-à-vis des rares journalistes accrédités travaillant à proximité du front, une autre menace pointe à l’horizon. Cachant à sa population l’ampleur de ses pertes humaines – qui de l’avis des observateurs est significativement supérieure au nombre de morts dans les rangs arméniens – l’Azerbaïdjan a refusé aux équipes de la Croix Rouge internationale de retirer les blessés et les cadavres des soldats morts et du champ de bataille, en violation de l’accord de cessez-le-feu conclu à Moscou dans la soirée du 17 octobre[3]. Selon Artsrun Hovhannisyan, ancien secrétaire de presse du ministère de la Défense et analyste militaire, « jamais les dirigeants de l’armée azerbaïdjanaise n’ont montré une attitude aussi irrespectueuse à l’égard de leurs propres victimes et cadavres. Ils sont laissés dans les champs, les canyons et les marécages »[4]. Le 18 octobre, les autorités azerbaïdjanaises ont déclaré leur volonté de rendre les corps des soldats arméniens tout en refusant de récupérer les leurs[5]. Ce fait interroge : est-ce que les pertes sont trop élevées pour être communiquées à la population azerbaïdjanaise ? S’agit-il de corps de mercenaires étrangers ? Ou alors, est-ce une stratégie délibérée visant à se délester de cadavres représentant des sources d’épidémie ? Dans ce contexte, alors que Bakou tente par tous les moyens de percer le front, il y a tout lieu de croire qu’une nouvelle arme de type biologique soit employée.
L’alerte provient du ministère arménien de la Santé via sa page Facebook. Faisant état du risque de propagation de diverses maladies infectieuses d’une extrême gravité[6] et des conditions sanitaires rendues difficiles sur le front par l’intensité des affrontements, ce ministère informe que des carences en hygiène ont créé des conditions favorables à la propagation de maladies intestinales infectieuses (choléra, hépatite A, dysenterie, etc.). Des épidémies naturelles circulent déjà dans les zones où les combats font rage et où des agents pathogènes sont présents. L’absence de la récupération et de l’enterrement des corps, font des cadavres des transmetteurs de maladies infectieuses, via les rongeurs, ou des foyers de reproduction pour des insectes susceptibles de répandre les infections. Ceci est d’autant plus inquiétant que les agents pathogènes peuvent circuler pendant une longue période, ce qui crée toutes les conditions à une flambée des épidémies.
Dans cette optique, il y a fort à craindre que les actions militaires contribuent à l’activation d’épidémies et augmente le risque de maladies
Ainsi, le conflit militaire se double désormais d’une menace épidémique grave, non seulement pour les zones d’hostilités directes, mais aussi pour la République islamique d’Iran voisine et d’autres pays de la région. La communauté internationale doit être alertée afin de se préparer à faire face éventuellement à de nouvelles épidémies transfrontalières. Ce qui conduit les autorités arméniennes à pointer du doigt les dirigeants de l’Azerbaïdjan comme entièrement responsables de la flambée de potentielles épidémies qui pourraient se prolonger dans la période d’après-guerre.
[1] https://armenpress.am/arm/news/1032011.html?fbclid=IwAR07oF2d41O6DaK56YjeXVo7U44uDa0kYjJaOg3Nz0LXYDzipSuKB6E3wCk
[2] https://www.rfi.fr/en/wires/20201006-amnesty-warns-cluster-bomb-use-karabakh
[3] https://hetq.am/en/article/123243?fbclid=IwAR3d_hN3rN_c8wdGOAqCbOUCfwFv2Tk0jYn5_wyGecMr6REhd8qbp6puLe4
[4] https://www.facebook.com/arcrun/posts/3435711469797770
[5] https://see.news/azerbaijan-shows-readiness-to-release-armenian-soldiers/
[6] https://www.facebook.com/ministryofhealthcare/posts/2778676939040084