France : les menaces sécuritaires actuelles
Alain RODIER
Il est banal d'affirmer que les menaces sécuritaires sont désormais multiples protéiformes et délocalisées. En cette période de vaches maigres due à la crise économique mondiale que le pays traverse, il semble légitime de s'interroger sur la réalité des menaces qui pèsent aujourd'hui directement sur la France ainsi que sur ses intérêts. A ce propos, il est utile de souligner le fait que les citoyens qui paient des impôts, lesquels ne vont pas aller en diminuant, demandent aux responsables politiques qu'ils ont élu démocratiquement d'assurer leur sécurité physique et matérielle en dehors de toutes considérations idéologiques. Il convient donc de bien cerner ce qui représente un risque réel pour le pays et de ne pas se lancer inconsidérément dans des combats lointains qui n'ont que peu de rapports avec la sécurité de la France et des Français. Pour parler crûment, la France n'a plus les moyens – sauf « exception qui confirme la règle »- d'intervenir en tous temps et en tous lieux.
Cette note n'aborde que le volet sécuritaire des menaces, pas celui de leur dimension économique, quoique ces deux sujets se rejoignent assez fréquemment. Le détournement de milliards d'euros dus à la criminalité en col blanc fait également peser d'énormes risques sur l'économie mondiale, dus à des truands de haut vol qui, à quelques exceptions près comme dans le cas Bernard Madoff, échappent comme par miracle à toutes poursuites.
Les menaces identifiées sont classées en ordre d'importance décroissante. Bien sûr, nous n'évoquerons pas celles qui ne sont pas connues actuellement car la prospective est un art particulièrement difficile.
Le crime organisé
Bien qu'il n'ait que peu l'honneur de figurer à la une des médias, le crime organisé est la menace principale contre nos sociétés. Il est vrai qu'il occasionne apparemment peu de « morts d'hommes », le meurtre étant considéré comme le moyen ultime à utiliser quand tous les autres ont échoué. Cela dit, il ne contribue pas à l'allongement de la vie des êtres humains car il participe directement à leur malheur. Le fait qu'il reste discret est voulu. En effet, la publicité nuit à la bonne marche des affaires car elles ont besoin de se faire à l'abri des investigations policières et journalistiques. La corruption est le moyen privilégié pour éviter tout tapage inutile. Celle-ci est devenue systémique, chaque organisation criminelle transnationale (OCT) consacrant un pourcentage important de ses gains à cette activité d'autoprotection. Malheureusement, ce phénomène n'épargne en rien la France bien que le secret reste la règle dans ce domaine, sauf quand le cas devient trop voyant. Et encore, de nombreuses affaires qui ont été révélées se diluent peu à peu jusqu'à disparaître complètement car ces cas sont toujours gênants pour le bon déroulement de la vie socio-professionnelle.
Nombre d'observateurs, par idéologie ou angélisme, vont jusqu'à nier l'existence même des OCT ou à en diminuer considérablement l'importance. Quand un mafieux important disparaît, les médias parlent alors du « dernier parrain » comme si personne ne prenait la relève…
La dangerosité du crime organisé provient du fait que ses moyens financiers énormes lui permettent de pénétrer en profondeur la société, et pas uniquement ses bas-fonds. En effet, il est intimement lié à l'économie légale, injectant dans cette dernière les profits qu'il a su faire dans les différentes activités délictueuses qui font son quotidien. La période de crise que traverse l'Occident favorise ces investissements à caractère mafieux car les besoins en argent frais ne sont plus satisfaits qu'avec parcimonie par les établissements bancaires. Si cette démarche est dictée par le désir de générer encore plus de profits, elle est également la résultante d'un besoin psychologique de « reconnaissance ». Les « parrains » ne rêvent que d'une chose : intégrer la haute société, mettre leurs enfants dans des écoles prestigieuses et avoir le pouvoir, même si des hommes de paille sont mis en avant par souci de sécurité. Il vaut mieux tirer les ficelles depuis l'ombre qu'être personnellement trop exposé.
Même si la France n'héberge pas sur son sol d'organisation criminelle transnationale purement « nationale »[1], toutes les OCT étrangères y sont bien présentes : triades chinoises, mafias italiennes, albanaises, turco-kurdes, issues des ex-pays de l'Est et nigérianes, gangs de motards, cartels sud-américains, etc. Ces organisations s'appuient sur la criminalité hexagonale pour gérer localement leurs trafics, en particulier la distribution de drogues (cannabis, cocaïne, héroïne, métamphétamines, etc.). De plus, la France est une zone de villégiature appréciée des criminels de haut niveau[2]. En conséquence, ces derniers n'hésitent pas à investir dans l'immobilier, particulièrement sur la Côte d'Azur et dans les stations de sports d'hiver.
La criminalité hexagonale
En ce qui concerne la criminalité hexagonale, les bandes de banlieues font désormais la loi dans certains quartiers où les forces de l'ordre ne pénètrent plus qu'occasionnellement, et en force. Selon les statistiques policières, elles seraient environ au nombre de 500. Elles regrouperaient généralement quelques dizaines de membres. Toutefois, certaines auraient maintenant plusieurs centaines d'affidés.
Les activités de ces voyous de base sont une menace permanente pour les « citoyens normaux[3]», d'autant que ces bandes n'hésitent plus à sortir de leurs sanctuaires pour investir les quartiers plus cossus et même les zones rurales moins surveillées que les centres-villes. Une nouveauté réside dans le fait que certaines bandes de banlieues vont aujourd'hui plus loin encore. Elles ont décidé d'aller s'approvisionner en « matière première » (drogue, êtres humains, contrefaçons, etc.) directement à la source plutôt que d'acheter leur marchandise auprès des « centrales de ventes » qui ont été mises en place par différentes OCT. De cette manière, leurs profits augmentent considérablement car les voyous hexagonaux n'ont plus à rémunérer les intermédiaires et s'affranchissent de toute « protection ». Cette nouvelle indépendance est une des raisons de la multiplication des conflits violents qui éclatent aujourd'hui entre différents gangs. Les OCT ne parviennent plus à « réguler » les activités criminelles et la guerre de conquête de nouveaux territoires bat désormais son plein.
En matière d'insécurité, les petits truands qui ont moins d'expérience que leurs aînés mais autant de sauvagerie, n'hésitent plus à se livrer à des agressions dirigées contre la société qu'ils abhorrent car ils ne reconnaissent plus aucune règle. Leurs anciens prenaient plus garde à ne pas trop effrayer la « poule aux œufs d'or » dont ils profitaient comme des sangsues par des actes de violence inconsidérés. En particulier, le risque d'émeutes est désormais toujours latent, une manière pour les bandes de faire peur aux autorités et, ainsi de les empêcher d'agir trop fermement à leur encontre.
La criminalité, un danger direct pour l'économie nationale
Les OCT et la criminalité hexagonale, ensemble ou séparément, ont donné naissance à une économie parallèle qui, si elle apporte un calme social relatif dans des banlieues défavorisées[4], porte un préjudice grave à sa consoeur légale. En effet, les entreprises à caractère criminel viennent concurrencer directement les PME en n'étant pas soumises aux mêmes contraintes réglementaires. Elles peuvent aussi bénéficier, quand le besoin s'en fait sentir, d'apports de capitaux frais quasi illimités, qui relève du blanchiment d'argent sale. Bien sûr, elles ne connaissent pas de troubles sociaux et peu de problèmes de concurrence.
Le développement exponentiel des contrefaçons représente une menace qui devient existentielle pour une partie de l'industrie. En France, le luxe n'est pas le seul domaine touché. En effet, les pièces de rechange pour l'automobile, l'aéronautique et l'informatique sont abondamment copiées, souvent au détriment de la fiabilité des matériels proposés.
Le trafic d'être humains représente aussi une menace considérable, qu'il s'agisse des immigrés illégaux que des esclaves modernes qui se livrent à la prostitution ou au travail forcé en France ou à l'étranger.
Ainsi, sans que le public ne s'en rende bien compte, le crime organisé infiltre la société et risque à terme, de ne laisser subsister les élus que comme des « façades présentables », les « parrains » tirant dans l'ombre les ficelles politiques et économiques. Un tableau trop noir pour être vrai ? Il suffit de s'informer sur ce qui se passe réellement en région Provence/Alpes/Côte d'Azur (PACA) pour constater que ce cancer risque de contaminer le pays tout entier. La France possède tout de même un atout contre l'extension du crime organisé. C'est le fait d'être un Etat centralisé.
En effet, il a été constaté que les pays fortement décentralisés (cf. Italie) sont plus sensibles au crime car son pouvoir de corruption est beaucoup plus aisé à exercer au niveau local que national. D'autre part, il serait utile de développer la juridiction en matière de confiscation de biens issus des gains des mafias. C'est en effet en « frappant où cela fait mal », c'est-à-dire l'argent, que l'on peut contrer le crime organisé.
LE TERRORISME
A l'inverse du crime organisé, le terrorisme est fortement médiatisé. En effet, ceux qui utilisent cette méthode de combat ont pour objectif de marquer les foules pour faire reconnaître leur cause. Aujourd'hui, le terrorisme est essentiellement d'origine islamique radicale. Il est même intéressant de constater que d'autres idéologies s'interdisent actuellement d'employer ce moyen justement parce que ce sont des extrémistes musulmans qui s'en sont emparés. En effet, cette méthode est considérée aujourd'hui comme contreproductive car extrêmement impopulaire. Il est probable que si le terrorisme d'origine islamique disparaissait, d'autres acteurs (extrême-droite, extrême-gauche et anarchistes de tous bords) y reviendraient rapidement.
Le terrorisme d'origine islamique
Nul besoin de revenir en détail sur la menace représentée par Al-Qaida et ses mouvements affidés. Elle a été annoncée dix fois éradiquée et elle est réapparue un même nombre de fois, certes sous d'autres formes. Il est vrai qu' « Al-Qaida centrale » basé en zone AFPAK, à cheval sur les zones tribales pakistanaises et l'est de l'Afghanistan ne contrôle plus un « réseau mondial ». Les différentes factions établies en Irak, au Yémen, en Somalie, en Extrême-Orient ou en Afrique sont désormais totalement indépendantes. Elles ne se retrouvent que sur un projet commun : l'établissement d'Etats islamiques gouvernés par la charia.
La France est particulièrement la cible d'Al-Qaida au Maghreb islamique (AQMI), que ce soit à l'étranger ou en France. La zone à risque la plus importante pour Paris reste l'Afrique francophone en général et la zone saharo-sahélienne en particulier. AQMI y a rebâti en 2012 un refuge et un espace de convergence pour tous les activistes en mal de djihad. Depuis cette région, le mouvement islamique – qui n'a eu de cesse de proclamer la haine qu'il entretient vis-à-vis de la France – peut mener des opérations de déstabilisation dans les pays voisins, en particulier au Niger, en Mauritanie, au Tchad, au Burkina Faso et en Libye. A terme, il peut même pousser vers l'Afrique de l'Est et, pourquoi pas, vers l'Egypte, dont le canal de Suez reste vital pour le commerce international. Il a déjà effectué sa jonction avec la secte Boko Haram, au Nigéria, dont une centaine de combattants seraient présents au Nord-Mali.
D'autre part, AQMI, qui peut être qualifié de mouvement crimino-djihadiste, cherche à faire un maximum d'argent. Déjà, sa participation aux trafics à destination de l'Europe occidentale – particulièrement ceux de la drogue, des cigarettes et des êtres humains – lui apportent des subsides réguliers. Toutefois, cet état de fait pourrait bien changer dans l'avenir car les OCT sud-américaines et européennes, qui sont à l'origine de ce commerce lucratif, peuvent décider à tout moment de changer d'itinéraire. En effet le Sahel commence à être considéré comme une zone dangereuse, surtout si l'Algérie et la Mauritanie se décident à verrouiller efficacement leurs frontières respectives. Pour le moment, la corruption reste le sauf-conduit le plus efficace pour les caravanes, mais les choses peuvent changer en fonction de l'évolution de la situation dans la région. Alors, en plus d'augmenter le prix des demandes de rançons pour les otages déjà détenus, AQMI pourrait avoir la tentation d'en enlever ou d'en acheter d'autres.
Les loups solitaires
Certains individus (ou groupuscules) branchés sur le net décident de passer à l'action du jour au lendemain pour donner un sens à leur vie … et parfois à leur mort. Ils ont l'impression de sortir de leur médiocrité et de se transcender par medias interposés. A une époque où l'individu est roi et alors que les règles de vie en collectivité deviennent insupportables pour certains, ce phénomène ne cesse de se renforcer. Ce phénomène concerne tous les courants terroristes, de l'extrême-gauche à l'extrême-droite en passant par le religieux. Mais pour le moment, les motivations proviennent surtout de l'islam radical.
Les onze arrestations du 6 octobre 2012 en région parisienne, à Strasbourg et à Cannes, ainsi que la mort d'un des suspects, ont d'ailleurs ramené sur le devant de la scène le danger intérieur représenté par ce type d'individus qui a décidé de mener le djihad sur le territoire français. Le phénomène des petits délinquants passés à l'islam radical n'est pas nouveau sauf que, depuis l'affaire Mohamed Merah, ces « jeunes » terroristes semblent préférer désormais s'en prendre à des cibles sur le territoire français que rejoindre des territoires de djihad extérieurs.
A cela plusieurs raisons. L'expérience a montré que les combattants internationalistes français ne trouvent pas ce qu'ils sont venus chercher à l'étranger. Le fait qu'ils ne parlent majoritairement pas de langues étrangères en est une des raisons principales. Ils ne parviennent pas à s'intégrer correctement dans ce nouveau milieu. De plus, les convertis de fraîche date attirent systématiquement la suspicion de la part des intégristes qui voient en eux des musulmans de seconde zone. Enfin, les causes yéménite, somalienne, irakienne, afghane, indonésienne sont souvent incompréhensibles à ces volontaires qui ne savent même où se trouvent ces pays sur une mappemonde ! L'établissement d'un califat mondial leur est intellectuellement difficile à comprendre. Alors, ils se rabattent sur des objectifs plus simples et donc compréhensibles pour eux : l'application des codes de conduite salafistes[5], un antisémitisme viscéral, plus ou moins camouflé derrière un antisionisme véhiculé par de nombreux organes de communication bien-pensants auxquels ils ont eu accès, particulièrement via la toile, etc. Cette haine des juifs rejoint celle entretenue à l'égard des chrétiens qualifiés de « croisés » car, en fait, c'est la société d'origine judéo-chrétienne dans son ensemble qu'ils exècrent parce que selon eux, elle n'a pas su leur offrir une existence décente. Bien sûr, à aucun moment ils ne remettent en cause leur responsabilité personnelle dans leur parcours qui est allé d'échec en échec.
Le terrorisme étatique
Plus discrètement, un autre terrorisme d'origine islamique, mais chiite cette fois, est en train de couver. Il s'agit d'un terrorisme d'Etat, ce qui signifie qu'il peut être extrêmement dangereux. En effet, l'Iran peut décider à tout moment de reprendre ses opérations secrètes contre la France, à la fois contre ses intérêts outre-mer – contre les forces de la FINUL en particulier -, mais aussi sur le territoire français. Téhéran utiliserait alors ses services secrets (Vevak et force Al-Qods des Gardiens de la Révolution) pour nuire. L'Iran peut compter sur des activistes libanais du Hezbollah, voire des Palestiniens du Djihad islamique (qui sont sunnites mais inféodés à Téhéran) pour agir démultiplier son action. Il est vrai que Téhéran n'utilisera cette « arme » que s'il y est contraint par l'évolution de la situation et que cela lui permet d'obtenir un résultat concret. Or, pour l'instant, la France, malgré son alignement sur la politique de Washington, ne semble pas être considérée comme une menace vitale pour le régime des mollahs, malgré ses prises de positions énergiques à propos du programme nucléaire iranien et de la crise syrienne.
L'espionnage
Terroristes et criminels auront toujours besoin de recueillir des renseignements pour définir leurs cibles et, éventuellement, trouver des complices qui pourront les aider à mener à bien leurs opérations. Une part de leurs actions relève donc du domaine de l'espionnage, même s'il est souvent mené par des amateurs.
Plus globalement, la France est toujours pour les grandes puissances – y compris « amies » -, un objectif de choix pour des activités d'espionnage. Beaucoup de responsables ne croient pas en cette menace car, selon eux, à l'époque de la circulation fluide des informations, le vol de données n'a plus lieu d'être. C'est oublier un peu vite qu'alors que la compétition économique fait rage, la survie même de pans entiers du tissu industriel français est en jeu. Rien que les contrefaçons provenant d'Extrême-Orient ont provoqué des désastres dans les domaines de l'électronique et des activités associées. Un marché à l'export se gagne souvent grâce à la connaissance des propositions des concurrents. Tous les services de renseignements sérieux sont donc à l'affût et Paris constitue une des capitales de l'espionnage mondial. En tête des pays intéressés par la France on trouve les services chinois, japonais, russes et indiens, sans oublier l'ami américain. Les autorités songent à établir une nouvelle classification « secret économique » comparable au « secret défense ». Encore conviendra-t-il de sensibiliser les décideurs politiques et économiques.
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La liste des dangers qui menacent la France est loin d'être exhaustive puisque les problèmes constitués par les sectes, les risques climatiques, industriels ou les catastrophes naturelles n'ont pas été abordés. Les remèdes et différentes parades envisageables nécessitent des moyens qui se font de plus en plus rares, mais surtout de l'imagination pour proposer le réaménagement de différents services appartenant à plusieurs ministères différents. L'effort doit porter aussi sur la coordination et la mutualisation des moyens de manière à ce qu'il n'y ait pas redondance. Le pays ne peut plus se permettre ce luxe.
- [1] Le cas corse est légèrement différent.
- [2] Ces délinquants apprécient généralement les rivieras espagnoles, italiennes et françaises.
- [3] A l'image du « président normal ».
- [4] Les banlieues ne peuvent générer assez d'emplois pour les populations non qualifiées qui y résident. Les différents trafics génèrent de l'activité et des ressources qui sont inexistantes par ailleurs. C'est pour cette raison que certaines municipalités nient le phénomène criminel car une lutte frontale créerait plus de problèmes locaux qu'elle n'en résoudrait.
- [5] Port de tenues qui sont, en fait, l'affichage de leur révolte personnelle vis-à-vis de la société occidentale, et le respect de règles strictes qui donnent un semblant de sens à leur vie