Extrême-orient : Daech toujours actif
Alain RODIER
Si Daech n’a pas encore désigné officiellement une (ou plusieurs) province(s) pour son califat en Extrême-Orient, Isnilon Totoni Hapilon a été confirmé comme l’« émir des soldats du califat » de la zone lors d’une interview fleuve parue dans le numéro 10 de la revue Rumiyah au début juin.
Selon les autorités philippines, cet individu recherché par toutes les polices du monde serait, depuis le 23 mai, derrière la prise d’une partie de la localité de Marawi qui compte habituellement 200 000 âmes. Si les Philippines sont majoritairement peuplées de catholiques, une importante communauté musulmane est installée sur l’île de Mindanao et la population marawi est majoritairement de cette religion.
Plusieurs groupes islamistes écument cette zone depuis des années[1] mais ce serait le groupe des frères Omar et Abdullah Maute, rebaptisé l’« Etat islamique à Ranao » qui serait à la manœuvre. Cette katiba n’en n’est pas à son coup d’essai puisqu’elle s’est déjà payé le luxe de prendre à deux reprises la ville de Butig située à 52 kilomètres au sud de Marawi (les 20 et 21 février et du 26 au 30 novembre 2016).
Malgré les désaccords affichés avec Washington, le président philippin Rodrigo Dutertre, parvenu au pouvoir en 2016, n’a pas hésité à faire appel aux forces spéciales américaines pour épauler son armée dans un combat qui se prolonge encore aujourd’hui. Les rebelles, qui seraient au nombre de plusieurs centaines dont une quarantaine de combattants étrangers (surtout des Indonésiens et des Malaisiens), ont pris une douzaine de chrétiens (dont un prêtre) en otages et menacent de les exécuter. Ils ont déjà diffusé la vidéo de l’assassinat de six autres chrétiens. D’ailleurs, une photo tirée du film de ces meurtres est incluse dans le dernier numéro de Rumiyah. Les rebelles ont aussi décapité le chef de la police d’un village voisin.
Les forces de l’ordre qui bouclent les quartiers où sont retranchés les activistes font face à une résistance farouche et déclarent avoir perdu 58 de leurs hommes. Le 2 juin, le général Nixon Fortes, qui commandait les forces militaires à Marawi, a été relevé de son commandement par le président Dutertre qui l’a remplacé par son adjoint, le colonel Generoso Ponio. Les rebelles utilisent des armes légères mais aussi des engins explosifs improvisés pour ralentir la progression des forces gouvernementales. Ces dernières essayent autant que possible de préserver les lieux de culte musulmans pour ne pas pousser la population dans les bras de ce qui peut être assimilé à une insurrection. Par crainte d’une extension des troubles, la loi martiale a été proclamée sur toute l’île de Mindanao dès le début des affrontements.
Depuis des semaines, les autorités internationales relayées en boucle par les medias affirment que « Daech est sur le recul » et que « la victoire est proche ». Cette vision des choses qui se base sur les batailles de Mossoul (ville qui, selon les autoirtés irakiennes devait être reconquise avant le début du ramadan et, selon Washington – moins optimiste – avant l’été) et de Raqqa (l’offensive « débute » en permanence, mais les forces démocratiques syriennes ne sont pas encore entrées dans le « dur ») est destinée à galvaniser des troupes sur le terrain et à convaincre l’opinion publique occidentale que l’on voit le bout du tunnel.
Mais des signaux qui ne sont pas « faibles » montrent que Daech est toujours bien présent et agressif. En Syrie, il est à l’offensive à Deir ez-Zor. En Irak, il multiplie les harcèlements laissant présager ce que sera l’avenir : une guerre de guérilla. Daech démontre aux Philippines qu’il est capable d’étendre son influence – même en menant des opérations de type conventionnel -, ses adeptes ne semblant pas faire bien grand cas des « revers » essuyés sur le front syro-irakien et en Libye. Ailleurs, il continue à répandre l’effroi par ses actions terroristes étant même parvenu à frapper pour la première fois Téhéran. Il est à la manœuvre en Egypte, en Afghanistan, au Pakistan, au Sahel, au Nigeria, dans le Caucase, etc.
A n’en pas douter, la guerre contre Daech n’est pas en phase terminale. Elle est juste en train de muter et la « cause » qu’il défend semble toujours attirer plus d’adeptes qui sont prêts à se sacrifier pour elle.
[1] Ansaru Khilafah Philippines (AKP), le Bangsamoro Islamic Freedom Fighters de Ismael Abubakar – alias Bongos -, devenu l’« Etat islamique à Maguindanao », la katiba Ansar el-Charia d’Abou Anas Al-Muhajir et la katiba Ma’rakah al-Ansar d’Abou Harith Al-Filipini (ces deux dernières entités ayant rejoint Hapilon).