Europe : les nouveaux terroristes islamiques
Alain RODIER
Depuis les attentats de Madrid et de Londres, les forces de sécurité se retrouvent confrontées à une nouvelle génération de terrorises islamiques qui se réclament d’Al-Qaida. Certains observateurs en déduisent qu’il s’agit de cellules locales totalement indépendantes, qui n’ont aucun lien structurel avec la nébuleuse qu’a initiée Oussama Ben Laden. Cependant, il est troublant de constater qu’une partie de ces nouveaux activistes a entretenu des contacts avec le Pakistan. Certains d’entre eux ont même fait le voyage ou ont subi un entraînement militaire et idéologique dans ce pays qui abrite l’état-major d’Al-Qaida. Le dernier discours vidéo de Ben Laden prouven, non seulement, qu’il était en vie encore très récemment, mais qu’il évolue dans un environnement relativement sécurisé qui lui permet de se tenir au courant de l’actualité mondiale. Certains experts américains le situent dans la vallée de Chitral au nord-ouest du Pakistan. S’il peut recevoir des informations, pourquoi ne pourrait-il pas envoyer des consignes via des moyens discrets ?
Des connexions ont été découvertes entre des cellules djihadistes en Allemagne, en Grande-Bretagne, en Italie et en Espagne. Etant donnée la position géographique de la France, située au carrefour de ces Etats européens, il serait étonnant qu’il n’y ait eu aucun contact avec des activistes résidant sur le territoire national.
Il est également important de noter que ces djihadistes utilisent tous l’internet. La toile mondiale sert à recruter, motiver et à former les militants. C’est également par là que passent discrètement les instructions données par les dirigeants d’Al-Qaida.
Par ailleurs, de nombreuses mosquées tenues par des islamistes radicaux semblent être devenues des points de contact et de recrutement importants. Lors de perquisitions, les forces de police y ont trouvé des produits chimiques entrant dans la composition d’explosifs et des vidéos de propagande.
Enfin, la haine de plus en plus vivace dirigée contre le monde occidental en généra, les Etats-Unis et Israël, en particulier, est devenue le ciment qui sert d’idéologie aux nouveaux activistes. De nombreuses conversion à l’islam1 ont lieu en raison de ce sentiment et non par idéal religieux. Cette haine est alimentée par les politiques menées par Washington et Israël, ressenties comme des agressions contre les plus pauvres. C’est pour cela que de nombreux activistes qui, il y a quelques années encore, auraient plutôt versé dans le gauchisme se tournent vers l’islam extrémiste, considéré comme la seule force capable de s’opposer à la toute puissance occidentale.
Le laxisme des démocraties européennes dans le domaine de l’immigration constitue également un atout opérationnel important pour les personnes qui vivent dans la clandestinité. Ce phénomène est essentiellement du aux complexes qu’entretiennent les Etats européens vis-à-vis de leur Histoire : croisades, inquisition, guerres de religions, conflits mondiaux avec leurs cortèges d’atrocités, passé colonial difficilement assumé, angélisme de certains intellectuels animé d’une foi rousseauiste, etc. Ce complexe a été grandement utilisé par le KGB lors de la Guerre froide afin d’altérer l’esprit de défense des populations européennes en vue d’un hypothétique affrontement Est-Ouest. Il est encore exploité aujourd’hui par des pays qui souhaitent influencer la politique européenne dans un sens qui leur est favorable.
Allemagne
Le 5 septembre, Fritz Gelowicz (28 ans), Daniel Martin Schneider (22 ans), deux citoyens allemands convertis à l’islam et le Turc Ayem Yilmaz (29 ans) sont appréhendés par le GSG9 dans la localité de Medebach-Oberschledorn. Les autorités les soupçonnent d’avoir voulu déclencher des attentats de masse à l’aide de véhicules piégés contre l’aéroport international de Francfort, contre la base aérienne américaine de Ramstein et contre différents endroits fréquentés par des Américains (boîtes de nuit, bars, etc.). A cette fin, ils auraient importé trois camionnettes depuis la France. Les détonateurs de qualité militaire saisis lors des perquisitions proviendraient de Syrie. Par contre, ce serait du Pakistan que l’ordre de passer à l’action dans les quinze jours aurait été donné aux activistes au début septembre. Une dizaine de membres de cette cellule constituée de citoyens allemands, de Libanais, de Pakistanais ou d’apatrides est actuellement activement recherchée. Certains auraient réussi à fuir le pays par avion, en particulier en direction de la Turquie. Cependant cette cellule pourrait avoir bénéficié du soutien d’un réseau de sympathisants plus important. Elle serait rattachée au mouvement de l’Union du Djihad islamique (Al-Djihad al-Islami) ouzbek qui est connu pour être lié à Al-Qaida.
Les trois activistes arrêtés ont tous subi un entraînement terroriste au Pakistan dans un camp dépendant de l’Union du Djihad islamique, ce qui peut expliquer leur appartenance à ce groupe. C’est d’ailleurs à cette occasion qu’ils ont été repérés par les Américains qui ont passé l’information à leurs collègues allemands, lesquels les ont alors placés sous surveillance. Ils avaient fréquenté la même mosquée intégriste à Ulm. Fritz Gelowicz considéré comme le cerveau de la cellule allemande, aurait été employé au Centre d’information islamique de la ville d’Ulm. Tous trois avaient fréquemment visité sur le web des sites islamiques radicaux. Enfin, au moins deux des terroristes appréhendées avaient téléphoné depuis leur portable en Grande-Bretagne.
Il est à noter que depuis 2000, sept attentats potentiels ont été déjoués en Allemagne.
Danemark
Le 4 septembre, huit hommes âgés de 19 à 29 ans ont été arrêtés aux environs de Copenhague. D’origine pakistanaise, afghane, somalienne ou turque, six d’entre eux ont la nationalité danoise, les deux derniers séjournant de manière parfaitement régulière dans le pays. Des connexions avec un responsable d’Al-Qaida auraient été établies.
Selon les autorités danoises qui surveillaient ces individus depuis des mois, la motivation de ce groupe n’aurait rien à voir avec les caricatures du prophète Mahomet parues dans la presse danoise, il y a deux ans, et avec la guerre en Irak (les forces danoises ont quitté l’Irak en juillet 2007).
Grande-Bretagne
Selon un rapport de police, plus de 600 des 1 350 mosquée que comptent le royaume britannique seraient aux mains des membres de la secte radicale Deobandi qui a fourni quelques 80% des terroristes locaux à l’origine des dernières tentatives d’attentat. Cette secte qui est très présente au Pakistan, en Inde et en Afghanistan est un des deux grands courants de l’islam radical, l’autre étant issu des frères musulmans originaires d’Egypte. La fameuse mosquée rouge au Pakistan, qui a été l’objet d’intenses combats cet été, constituait un haut lieu de ce mouvement.
Une de ses plus hautes autorités, le juge pakistanais Mohamed Taqi Ousmani estime que les musulmans peuvent vivre en paix dans les pays comme la Grande-Bretagne jusqu’au moment où ils se sentent assez puissants pour engager le Djihad. A noter que cette sommité religieuse se rend fréquemment en Grande-Bretagne et dans d’autres pays occidentaux. Il est vrai que les autorités le considèrent officiellement comme un « modéré ». Qu’est-ce qu’il faut dire pour être classé comme un radical ?
Italie
Sur les 258 mosquées recensées officiellement en Italie (leur nombre est certainement plus élevé), un certain nombre sert de centre de prosélytisme et d’entraînement pour de jeunes volontaires. Certains imams ont été arrêtés cet été en raison de leurs discours enflammés demandant qu’une guerre ouverte soit déclenchée contre les « juifs et les chrétiens ». Les villes de Milan, Turin (surnommé la « Kaboul du Piemont »), Bologne et Naples sont de plus en plus infiltrées par des intégristes islamiques
Le rôle central du Pakistan dans l’animation des réseaux
Tout laisse penser que la direction d’Al-Qaida réfugiée au Pakistan a plus d’influence opérationnelle que beaucoup d’observateurs ne le croient. Certes, elle ne commande pas ses troupes comme cela peut être entendu en Occident (il n’y a pas de « structure pyramidale ») mais sert d’inspirateur, de fournisseur d’aide (entraînement, fonds, etc.) et donne des consignes générales d’action.
Si les medias parlent beaucoup des zones tribales frontalières avec l’Afghanistan comme la zone refuge privilégiée d’Al-Qaida et des Taliban, ils oublient un peu vite toutes les écoles religieuses (madrasas) majoritairement dirigées par les Deobandi qui sont présentes sur l’ensemble du territoire. Les communiqués qui paraissent régulièrement sur le net sont le plus souvent envoyés depuis des cybercafés d’Islamabad. Les postulants au Djihad venant de l’étranger sont récupérés par des mentors à leur arrivée dans les aéroports internationaux pakistanais. Dans un premier temps, ils trouvent refuge dans les madrasas voisines avant d’être acheminés vers des camps d’entraînement de fortune. Par mesure de sécurité, ces derniers n’ont pas de localisation géographique permanente et ne regroupent que quelques activistes. Un rapport de l’ONU affirme que plus de 80% des attentats suicides commis en Afghanistan sont le fait d’activistes qui ont été formés au Pakistan. Il semble que cette technique est maintenant privilégiée par les instructeurs d’Al-Qaida qui envoient ensuite leurs kamikazes dans le monde entier.
Ayman Al-Zawahiri, le numéro deux du mouvement, a ainsi souvent donné comme directive de frapper l’Europe qui est considérée comme un « valet » des Etats-Unis. Les opérations ayant lieu en Afghanistan et au Liban servent également de prétexte pour prouver que les Européens font intégralement partie de la « croisade » déclenchée par les chrétiens contre le monde musulman. Les différentes affaires de caricatures du prophète Mahomet, la discrimination dont seraient l’objet les populations musulmanes immigrées en Europe servent également à entretenir la haine au sein des communautés islamiques. En aucun cas, l’opposition de la plupart des pays européens à la guerre en Irak ne sert d’excuse aux yeux des musulmans radicaux.
Enfin, pour les activistes islamiques résidant en Europe, la nationalité n’a plus aucune importance. Ils sont des musulmans faisant partie du « Djihad mondial » destiné à défendre l’islam contre l’agression des « juifs et des croisés ». Il est frappant de remarquer que l’on retrouve là l’internationalisme prôné par les marxistes léninistes au XXe siècle.
Il est utile de se rappeler que les attentats majeurs de Madrid, en 2004, et de Londre,s en 2005, ont déjà coûté la vie à 243 personnes. Pour le moment, la suite macabre a été évitée en grande partie grâce à l’action efficace et concertée des forces de sécurité européennes. Jusqu’à quand ?
Le point fondamental de la survie même des Etat démocratiques européens est de savoir que la lâcheté, l’inaction, les atermoiements et les divisions ne payent pas. En un mot, il faut être fort. Les fondamentalistes islamiques ne respectent pas les reculades. Ils ne respectent que la loi du plus fort, surtout sur le plan psychologique. En effet, ils ont eux un idéal à défendre. En retour, qu’est-ce que la « vieille Europe » a à proposer ? Les Etats-Unis ont promu la démocratie et l’économie libérale à tous crins. On en connaît les résultats particulièrement performants rencontrés en Irak, en Afghanistan et actuellement en Iran.
Un proverbe arabe souvent cité par Antoine Sfeir, grand spécialiste du monde musulman illustre parfaitement ce propos : « la main que tu ne peux couper, baise la ». Cependant, il est juste de remarquer que l’équilibre est difficile à trouver pour les dirigeants politiques européens. Il convient en effet pour eux de ne pas répondre aux provocations des mentors d’Al-Qaida qui souhaitent transformer leur guerre personnelle en affrontement entre monde chrétien et musulman . Ben Laden et ses acolytes demande en fin de compte aux chrétiens (et aux autres religions) de se convertir à l’islam ou de disparaître. Il est grand temps de trouver des idées qui préservent l’islam tout en s’opposant fermement à toute idée de conquête développée par ses éléments les plus radicaux.
- 1 Le nombre des convertis à l’islam aurait augmenté de 400% entre 2005 et 2006.