Etats unis – Yémen – Pakistan : la chasse aux responsables d’Al-Qaida se poursuit
Alain RODIER
Les documents saisis par les Américains à Abbottabad au Pakistan, lors de l'assaut qui a conduit à la mort d'Oussama Ben Laden le 2 mai 2011, démontrent que ce dernier craignait l'action des drones tueurs. Aujourd'hui, bien que relativement en diminution, ces opérations continuent à être particulièrement meurtrières. Ainsi, en l'espace de quelques semaines, les trois responsables d'Al-Qaida dans la péninsule arabique (AQPA) qui s'étaient félicité ou avaient revendiqué les attentats de janvier à Paris ont été tués.
– Le dernier en date, le Yéménite Nasser bin Ali Al-Ansi, a trouvé la mort – ainsi qu'un de ses fils et quelques fidèles – lors d'une frappe qui visait le port d'Al-Moukalla, chef-lieu de la province de Hadramout, passée sous le contrôle d'AQPA le 9 avril dernier. Al-Ansi, ancien combattant islamique en Bosnie-Herzégovine (1995), avait rejoint Ben Laden en 1998. Considéré comme un homme de confiance par ce dernier, il l'avait envoyé en mission au Moyen-Orient et en Extrême-Orient. Il était ensuite revenu dans son Yémen natal où il avait suivi des études religieuses avant de participer à la création d'AQPA. C'est lui qui a officiellement revendiqué l'attentat dirigé contre Charlie Hebdo au nom de « l'émir général, le généreux cheikh Ayman bin Muhammad al Zawahiri […] et selon le désir du cheikh Ossama Ben Laden ».
Nasser al Ansi
– La neutralisation du Saoudien Ibrahim Suleiman al-Rubaish avait été annoncée le 14 avril. Selon la déclaration d'AQPA, il a été pris « dans un raid des croisés » vraisemblablement aussi à l'ouest d'Al-Moukalla. Ibrahim al-Rubaish était connu pour ses violentes diatribes contre l'Occident, en particulier contre les États-Unis et la France. Dans un message diffusé fin janvier, il avait même affirmé que cette dernière avait « remplacé les Etats-Unis en tête des pays ennemis de l'islam en raison de l'affaiblissement de ces derniers ». Vétéran d'al-Qaïda « canal historique », al-Rubaish a été arrêté en Afghanistan après la bataille de Tora Bora, puis envoyé à Guantanamo avant d'être finalement rendu à son pays le 13 décembre 2006. Il a alors subi un « stage de désintoxication » qui n'avait pas porté ses fruits puisqu'il a rejoint les rangs d'AQPA où il s'est affirmé comme l'un de ses principaux idéologues. Depuis décembre 2014, les Etats-Unis offraient une prime de 5 millions de dollars pour tout renseignement permettant sa capture. Il figurait également sur une liste de 85 personnes recherchées par le gouvernement saoudien. Bien que s'étant félicité des avancées des islamistes de Daech en Syrie et en Irak, il était resté fidèle à Al-Zawahiri dans la querelle qui l'oppose à Abou Bakr Al-Baghdadi.
Al-Rubaish (à gauche) et Ghazi al-Nadhari (à droite).
– Le 31 janvier, Hareth Bin Ghazi Al-Nadhari, un autre responsable d'AQPA ayant menacé la France à plusieurs reprises et revendiqué l'attaque contre Charlie Hebdo comme une « vengeance en l'honneur de Mahomet » a été tué dans des circonstances semblables.
Ces trois individus étaient des adjoints directs de Nasir al Wuhayshi, l'émir d'AQPA mais aussi second (avec le titre de « directeur général ») d'Ayman al-Zawahiri. Si ce dernier venait à disparaître, c'est lui qui reprendrait logiquement le flambeau.
Les éclairages d'Abbottabad
Indirectement, les informations saisies à Abbottabad sur les ordinateurs, les disques durs, les clefs USB et les papiers de Ben Laden apportent une caution à la politique sécuritaire menée par l'administration Obama. D'ailleurs, la publication de ces renseignements n'est vraisemblablement pas exempte d'arrières pensées politiques dans la perspective des élections qui se profilent à l'horizon 2016. Globalement, Ben Laden et ses proches évoquent les difficultés que leur causaient les opérations américaines.
En premier lieu, on y note que le sentiment de paranoïa, qui est présent dans tout mouvement clandestin, était porté à son paroxysme tant la crainte d'infiltration ou du recrutement d'agents par la CIA était omniprésente. En effet, ces agents étaient les plus à même de désigner précisément des cibles aux frappes aériennes. Plus anecdotiquement mais très symboliquement, certains craignaient que les Américains utilisent des poisons, en particulier sur les billets de banque qui pouvaient parvenir dans les mains d'Al-Qaida. Cela obligeait à aller échanger ces billets suspects dans des grands centres urbains, ce qui constituait une lourdeur opérationnelle qui ralentissait considérablement les mouvements d'argent. Cela obligeait Al-Qaïda à consacrer beaucoup de temps et d'efforts aux activités de contre-espionnage, autant d'énergie qui ne pouvait pas être consacrée à des opérations offensives.
La peur des interceptions de la NSA était par ailleurs omniprésente. Même les moyens de cryptage existant étaient considérés avec suspicion sachant que les Américains étaient, à l'origine de toutes ces techniques et de véritables professionnels, Al-Qaida reconnaissant ouvertement qu'il ne faisait pas le poids. Pour déjouer la NSA, les transmissions par moyens techniques étaient tout simplement interdites, les messages étant acheminés par des agents de liaison. L'extrême lenteur de ce procédé posait un énorme problème de coordination entre le commandement central d'Al-Qaida et les différents mouvements affiliés ou associés présents de par le monde. Cela avait aussi comme conséquence de nuire au moral des chefs locaux qui demandaient à ce que Ben Laden leur adresse au moins des messages audio par cassettes. Il est facile d'imaginer que le sentiment de solitude, voire d'abandon, pouvait régner au sein des branches d'Al-Qaida, les shebab somaliens étant nommément cités. Au niveau des militants de base, le fait de ne pas pouvoir obtenir des nouvelles de leurs proches était aussi mal ressenti. Les rumeurs couraient vite et ne pouvaient être démenties qu'après de longues périodes d'angoisse.
Les reconnaissance aériennes américaines obligeaient aussi les activistes, notamment ceux présent sdans les zones tribales pakistanaise et en Somalie, à se terrer à l'intérieur des habitations et à éviter les grands regroupements pour se rendre le plus invisibles possible. Cela a nuit gravement à la formation de djihadistes qui ne pouvaient recevoir qu'une instruction théorique.
Les différents responsables se plaignaient de la perte de nombreux cadres de niveau intermédiaire qu'ils avaient bien du mal à remplacer puisque les volontaires ne pouvaient pas subir une formation correcte. Ils étaient contraints de réduire leurs opérations afin de « survivre et de persévérer ».
Autres pertes d'Al-Qaida
Parfois, les raids de drones sont responsables de dramatiques bavures qui frappent indistinctement civils et activistes. Il faut dire que la technique du bouclier humain est largement employée. Les décideurs américains se retrouvent alors devant des choix cornéliens : laisser s'échapper un responsable important ou le neutraliser mais aux prix de la vie de civils innocents.
Parfois, ce sont même des étrangers qui ont été frappés. Cela a été le cas lors de la mort d'un otage américain (Warren Weinstein) et de celle d'un Italien (Giovanni Lo Porto) le 15 janvier 2015, quand un bombardement a visé la nouvelle branche d'Al-Qaida « canal historique » (Al-Qaida dans le sous-continent indien/AQSI) dans les zones tribales pakistanaises. Le numéro deux d'AQSI, Oustad Ahmed Farooq (d'origine américaine) et surtout Adam Pearlman – alias Azzam l'Américain ou Adam Gadhan[1] -, le porte-parole d'Al-Qaida, ont été tués lors du même raid. Qari Imran, un membre du Conseil consultatif (l'organe de commandement) avait trouvé la mort le 5 janvier lors d'une action du même type. D'autres cadres avaient été neutralisés précédemment comme le Dr Sabarland et Adil Abdul Quoss en novembre 2014.
Les Américains ne sont pas les seuls à causer des pertes dans les rangs des responsables d'Al-Qaida.
– Aliaskhab Kebekov – alias Abou Mohammad -, le Daghestanais, le chef de l'Emirat islamique du Caucase fidèle à Al-Qaida, trouvait la mort le 15 avril après que son refuge situé dans la localité de Bouïnaksk, au Daguestan, ait été assiégé par les forces de sécurité russes. Deux émirs régionaux tombaient à ses côtés.
– A peu près à la même époque, le Saoudien Adel Radi Saber al Wahabi al Harbi, membre du Front al-Nosra et recherché par le Département d'Etat américain et par Riyad, aurait été tué en Syrie bien qu'aucune confirmation ne soit venue étayer son décès. Il était l'adjoint du Koweitien Muhsin al Fadhli (encore en vie) qu'il avait connu lors d'un séjour en Iran.
– Ahmad Akmad Usman y Batabol – alias Abdul Basit Usman -, un des principaux responsable djihadiste des Philippines et artificier reconnu, était assassiné par ses propres gardes du corps le 3 mai 2015 près de Guidulungan, dans la province de Maguindanao, dans le sud du pays. Ces derniers voulaient toucher la prime d'un million de dollars mise par le département d'Etat américain sur sa tête. Cinq de ses fidèles étaient également été tués. Chef du groupe des opérations spéciales du Bangsamoro Islamic Freedom Fighters (BIFF), branche dissidente du Front Islamique moro de libération (MILF), il dépendait d'Al-Qaida et entretenait d'excellentes relations avec le groupe Abou Sayyaf et le Jemaah Islamiyah indonésien.
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La mort de tous ces responsables qui soutenaient Ayman al-Zawahiri dans sa lutte d'influence menée depuis plus d'un an contre Daech affaiblit considérablement Al-Qaida « canal historique ». Cela permet en effet à Daech de récupérer des transfuges issus des réseaux d'Al-Qaida établis depuis de longues années. La stratégie initiée par Ben Laden, qui privilégiait l'action à long terme l'étranger, a également été un sujet de désaffection pour les djihadistes qui veulent combattre rapidement les « ennemis proches » et ne pas se morfondre dans la clandestinité, à préparer d'hypothétiques opérations qui seraient lancées contre les Etats-Unis. Longtemps réticent, Al-Zawahiri a relancé ses troupes sur les terres de djihad syrienne, yéménite et libyenne tout en perpétuant la volonté de lancer des actions terroristes en terres impies et apostates.
- [1] Né dans l'Orégon en 1978, il s'était converti à l'islam et avait rejoint Al-Qaida. C'est le premier citoyen américain à être déclaré comme « traître » depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Un avis de recherche associé à une prime d'un million de dollars pesait sur sa tête.