Etats-Unis : soutien aux rebelles syriens
Alain RODIER
Pour Washington, il est hors de question – officiellement – d'envoyer des troupes au sol[1] dans la guerre qui s'est ouverte contre l'Etat islamique (EI). L'état-major sait bien que les frappes aériennes, si elles affaiblissent l'adversaire et l'empêchent d'évoluer librement à découvert, ne permettront toutefois pas de le réduire. Il faudra bien que des fantassins aillent sortir les djihadistes de leurs trous à la baïonnette pour les faire capituler ou, s'ils refusent comme s'est très probable, pour les « neutraliser ». Il faut donc que d'autres s'y collent.
Irak, une situation globalement stabilisée
En Irak, cela pourrait être : au nord, les Peshmergas ; au sud-est et au centre, les forces armées et les milices chiites[2]. Aujourd'hui, des lignes de fronts sont établies et les combats comme les actions terroristes n'ont lieu qu'à leur périphérie. L'EI ne peut plus progresser en zones chiites ou kurdes car les populations lui sont hostiles. Revers de la médaille, les forces kurdes et chiites ne peuvent s'aventurer en zone sunnite pour les mêmes raisons. Ce n'est d'ailleurs pas leur intention. Globalement, l'EI est toujours en phase offensive, particulièrement pour terminer la conquête de la province d'Al-Anbar, et ses adversaires campent sur leurs positions.
En conséquence, les Américains vont tenter de diviser la rébellion en appelant les tribus sunnites et les anciens cadres de Saddam Hussein qui ont rejoint l'EI à repasser de l'autre côté. Il convient juste (mais ce n'est pas évident) de trouver les compensations qui vont les inciter à rejeter l'autorité du calife Ibrahim ex-Abou Bakr al Baghdadi. Cela avait assez bien marché en 2006 avec les milices Sawha (Réveil), mais les promesses qui
avaient été faites à l'époque aux populations sunnites n'avaient pas été tenues par le pouvoir chiite en place à Bagdad. En effet, les chiites s'étaient emparés de tous les leviers politico-militaires du pays, les sunnites étant relégués à une non-existence au niveau étatique. Il est possible que ce souvenir cuisant soit encore présent dans les esprits de ceux que Washington cherche à convaincre. Il y a urgence car plusieurs localités sont actuellement en passe d'être prises, dans la province d'Al-Anbar et au nord et à l'ouest de Bagdad, sans cependant connaître la couverture médiatique de Kobani.
Syrie, guerre de conquête
En Syrie, le problème est beaucoup plus délicat car la rébellion est totalement éclatée. Il y a d'une part celle qui dépend de l'Etat islamique (EI), qui est l'ennemi à abattre. Il y a d'autre part celle qui est, soit aux côtés de l'EI, soit de l'autre – selon les circonstances – comme le Front al-Nosra[3] ; et enfin il y a l'opposition « modérée ».
En ce qui concerne les Kurdes, c'est encore un cas à part. Sans jamais avoir fait partie de la rébellion (en dehors de quelques groupuscules), ils n'ont pas non plus apporté leur soutien à Bachar el-Assad. Par contre, ils ont été l'objet d'attaques constantes de la part des forces islamiques radicales, EI et Front Al-Nosra en tête. Les forces des Kurdes de Syrie sont moins importantes que celle leurs frères d'Irak. C'est pour cette raison qu'ils sont lâchés à Kobani, les frappes aériennes ayant uniquement pour but de déclarer que « tout a été fait pour les sauver ».
Dans cette affaire, il faut également être conscient qu'Ankara défend l'intérêt des Turcs, même si cela semble inhumain. C'est triste à dire, mais le soldat turc ne souhaite pas servir de chair à canon pour les Américains[4], et encore moins pour les Kurdes. Malgré les négociations engagées depuis plus d'un an avec le PKK, le contentieux turco-kurde reste lourd. De nombreux Turcs sont viscéralement opposés aux revendications des Kurdes. Ces derniers représentent pourtant 18 à 20% de la population turque. Le pouvoir est donc obligé de composer avec ces radicaux car il sait qu'une intervention directe de l'armée turque en Syrie provoquerait immanquablement des troubles graves dans le pays. En effet, des dizaines de victimes des dernières manifestations « pro-kurdes » ayant eu lieu en Turquie ne sont pas dues à la police mais à des membres de groupes extrémistes comme le « Hezbollah turc », une organisation de contre-guérilla développée dans les années 1990 pour s'opposer par les armes au PKK. Il a été dit à l'époque que c'était une créature des services secrets et d'une partie de l'armée et de la gendarmerie. En cas d'intervention, la Turquie aurait aussi à faire face à une vague d'attentats provoquée par des partisans de l'EI. En effet, les volontaires turcs combattant en Syrie seraient plus d'un millier dans le pays et leurs sympathisants ne se comptent plus.
Même si l'opposition « modérée » syrienne n'est pas franchement laïque – d'autant que le conglomérat du Front islamique (FI) institué par Riyad regroupe de nombreux wahhabites dont les positions sont proches de ceux de l'EI – elle est considérée comme fréquentable et apte à recevoir armes et entraînement pour combattre, d'un côté l'EI, de l'autre les forces loyalistes à Bachar el-Assad.
Cependant, Washington semble s'être enfin rendu compte que le dirigeant syrien, fort de ses soutiens russe et iranien, n'était pas près de lâcher les rênes du pouvoir. La conséquence est que les Etats-Unis concentrent désormais leurs efforts contre l'EI et, accessoirement contre le Front al-Nosra, qui abriterait le mouvement Khorasan[5]. Il sera bien temps, plus tard, de voir ce qu'il y a lieu de faire avec Bachar el-Assad. Comme le dit le dicton populaire : « chaque chose en son temps ». Washington a donc décidé d'employer comme supplétifs à terre les fantassins du Harakat Hazm.
Le Harakat Hazm
Le Harakat Hazm, ou mouvement Hazm, est une coalition de plusieurs mouvements rebelles dits modérés (cf. annexe).
Sur le terrain, certaines de ses unités coopèrent avec le Jaish Mujahideen[6], le Front Al-Nosra et le Jaish al Muhajireen wal Ansar[7]. Ce denier mouvement est composé majoritairement de Caucasiens et de Syriens qui seraient fidèles à l'Emirat du Caucase dirigé par Ali Abou Mukhammad depuis la mort de son émir Dokou Oumarov, en mars 2014. Les « gentils » rebelles collaborent donc avec une des branches les plus dures d'Al-Qaida « canal historique ». Il est d'ailleurs intéressant de noter que de nombreux Caucasiens ont rejoint l'EI jugé plus en pointe dans le combat anti-occidental.
Par ailleurs, le Harakat Hazm bénéficiaire des largesses américaines, a condamné les frappes de la coalition en Syrie. Elles sont considérées comme une atteinte à la souveraineté du pays et une aide au régime de Bachar el-Assad. Il est aisé de déduire que les positions de ce mouvement sont pour le moins ambiguës, mais il est vrai que rien n'est simple au Proche-Orient peu sensible au cartésianisme occidental.
Cinq chefs, dont quatre proviennent des brigades Farouq, sont à la tête du Harakat Hazm. Le chef du bureau militaire : Abdullah Awda, alias Abou Zeid ; le chef des opérations militaires pour le front nord : Murhid al-Khaled, alias Abul-Motasim ; le chef des opérations militaires pour le front sud : Mohammed al-Duhaik, alias Abou Hatem ; le chef du bureau politique : Hamza al-Shemali, alias Abou Hashemi, qui entretiendrait d'excellentes relations avec les services secrets qataris et turcs ; le chef des relations extérieures : Bilal Attar, alias Abou Abdo Sham.
Parallèlement, les Américains ont décidé d'armer et d'entraîner des unités de l'ASL en Arabie saoudite et en Jordanie. De leur propre aveu, elles ne seront pas opérationnelles avant des mois, voire des années. A n'en pas douter, les problèmes syrien (et irakien) ne seront pas réglés avant la fin de la mandature de Barack Obama (ni de celle du président Hollande). La suite risque d'être houleuse !
- [1] Tout est dans la sémantique. Les hélicoptères d'attaque Apache engagés en Irak volent à quelques mètres du sol mais « Us Boots are not on the ground ». Les instructeurs sont sur les arrières et donc pas exposés sur les lignes de front. Enfin, il y a peut être des équipes des forces spéciales chargées des guidages aériens pour que les frappes soient aussi précises que possible. Mais les FS ne relèvent pas sur des effectifs de l'armée « classique ».
- [2] Qui sont encadrées par les pasdaran iraniens et quelques membres du Hezbollah libanais.
- [3] Qui ne s'attaque plus à l'EI depuis des mois ; il est même question d'une possible alliance entre les deux formations.
- [4] Qui sont aujourd'hui prompts à envoyer les autres au casse-pipe. Les multiples retournements de la politique étrangère de Washington déroute totalement leurs alliés qui ne sont plus prêts à accorder une quelconque confiance au grand frère américain.
- [5] Pour l'auteur, le mouvement Khorasan est une fabrication des services américains à destination de l'opinion américaine et des dirigeants arabes. A savoir qu'il faut que les Américains se sentent menacés sur leur territoire pour continuer à soutenir l'administration Obama qui fait l'inverse de ce pourquoi elle a été élue. En ce qui concerne les pays arabes qui ont soutenu d'une manière ou d'une autre Al-Nosra, il faut leur faire avaler la pilule que leur créature est maintenant à l'index. Il y a tout de même un fond de vrai (comme dans toute intoxication) : al-Zawahiri appelle de ses vœux une action terroriste d'envergure aux Etats-Unis ou, à défaut, en Europe. Cela redorerait le blason d'Al-Qaida « canal historique » bien terni ses derniers temps par rapport à l'EI. Il est possible que quelques individus soient en phase de préparation mais la Syrie n'est pas le pays le mieux placé géographiquement pour lancer une telle opération.
- [6] L'Armée des moudjahidines qui fait partie de l'Armée syrienne libre/ASL.
- [7] L'Armée des migrants et des soutiens
ANNEXE
Mouvements membres du Harakat Hazm
- Les brigades Farouq du Nord
- Les Forces spéciales n°9
- La première brigade mécanisée
- La brigade de la foi en Dieu
- La brigade al Farouq de Hama (ou les bataillons Abi al-Hareth et Ahrar al-Silmiya)
- Le bataillon du martyr Abdulrahman al-Shemali
- Le bataillon du martyr Bakr Bakkar
- Le bataillon Ahbab al-Rasoul
- Le bataillon du martyr Hamza Zakaria
- Le bataillon al-Rashid
- Le bataillon Abou Asad al-Nimr
- Le bataillon Ahdab Allah
- Le bataillon al Fateh
- La brigade d'infanterie n°60
- Le bataillon Abbad al-Rahman
- Le bataillon Abdul Gaffar Hamish
- La brigade Zaafana Farouq
- Le bataillon du martyr Abdullah Bakkar
- Le bataillon du martyr al-Rastan
- Le bataillon du martyr Ammar Tlas Farzat
- Les brigades Sawt al-Haq.