Etats-Unis : le » coordinateur » d’Al-Qaida
Alain RODIER
Depuis 2003, le FBI et la CIA traquent Adnan Gulshair El Shukrijumah, né en Arabie saoudite le 4 août 1975, qui est soupçonné être un important responsable opérationnel d'Al-Qaida chargé d'organiser des attentats aux Etats-Unis. La découverte en 2009 d'un complot visant le métro de New-York a confirmé le rôle de cet homme qui est désormais considéré comme le coordinateur d'Al-Qaida pour le continent nord-américain.
En effet, depuis la création d'Al-Qaida, Oussama Ben Laden a divisé le monde en zones géographiques où des branches de son mouvement sont actives. A la tête de ces régions se trouvent des coordinateurs qui sont chargés de faciliter la vie des activistes implantés sur place, en leur apportant une aide logistique et en recrutant de nouvelles recrues. Les grandes régions connues pour être actuellement actives sont l'Irak, la Péninsule arabique (le point central étant le Yémen), le Sahel, la Corne de l'Afrique, l'Extrême-Orient, l'Europe et le continent nord-américain. Il semble que les ex-pays de l'Est et la Tchétchénie soient actuellement « en sommeil ». Les évènements violents qui s'y produisent sont plus le fait d'activistes locaux que de combattants internationalistes. Israël et les pays environnants échappent à l'influence d'Al-Qaida, l'Iran se réservant ce « pré carré ». Les coordinateurs d'Al Qaida ont généralement vécu dans les zones dont ils ont la charge, mais ils séjournent souvent au Pakistan. C'est là que les activistes viennent les rencontrer pour prendre leurs consignes, voire pour certains, y subir un entraînement. Cela a été le cas en 2008 de Najibullah Zazi, Adis Medun Janin et Zarein Ahmedzay, les trois individus impliquées dans la tentative d'attentat contre le métro new-yorkais fin 2009.
Adnan G. el Shukrijumah est aussi connu sous le nom de Jaffar al Tayyar – ce qui signifie Jafar le pilote[1] – et sous le pseudonyme d'Abou Arif. Il est arrivé avec ses parents aux Etats-Unis en 1986 en provenance de Trinidad et Tobago. Son père, aujourd'hui décédé, était un religieux formé à l'université Al Azhar du Caire avant de rejoindre Médine en Arabie saoudite. Il a été imam de la mosquée Masjid Nur Al-Islam (3324 Church Avenue à Brooklyn) avant de rejoindre la Floride en 1996. Sa mère Zuhrah Abdu Ahmed vit toujours à Miramar, en Floride. Elle affirme que son fils est innocent des charges qui pèsent contre lui car il physiquement fragile (il serait asthmatique).
Fréquentant assidûment les mosquées, El Shukrijumah bascule dans le fondamentalisme. Il séjourne en Afghanistan à la fin des années 1990. Il aurait été formé dans un camp d'Al-Qaida. Il aurait eu pour chefs opérationnels Khaled Cheikh Mohammed et Abou Zubaida, qui ont tous deux été arrêtés et transférés à Guantanamo. C'est d'ailleurs en grande partie grâce à leurs aveux que le rôle d'El Shukrijumah est connu des autorités américaines qui ont mis sa tête à prix pour 5 millions de dollars. Le FBI souligne qu'il peut avoir subi une opération de chirurgie esthétique et qu'il peut présenter des passeports d'origine guyanaise, saoudienne, canadienne et trinidadienne. Il parlerait l'anglais (avec un fort accent américain), l'espagnol, l'arabe et l'urdu.
De retour aux Etats-Unis, El Shukrijumah enseigne au Broward Community College à Fort Lauderdale tout en se passionnant pour l'informatique à titre privé. Il quitte officiellement les Etats-Unis en mai 2001 avec comme destination annoncée Trinidad et Tobago. Fin 2002, il aurait été localisé au Maroc où il aurait vécu avec une épouse et un enfant, donnant localement des cours d'anglais. Depuis, il aurait été vu au Mexique et même aux Etats-Unis.
Une légende prétend que Ben Laden en personne aurait chargé El Shukrijumah de mener des attentats à l'aide de bombes sales dans plusieurs métropoles américaines. Il semble que cette histoire relève du fantasme ou de la désinformation, Al-Qaida n'ayant actuellement pas les capacités techniques de mener de telles opérations. Par contre, une information fait état de liens que El Shukrijumah aurait noué avec des gangs salvadoriens actifs aux Etats-Unis. Cette dernière hypothèse semble plus réaliste dans la mesure où Al-Qaida peut éventuellement payer des criminels pour développer des cellules clandestines aux Etats-Unis. Toutefois cette entente logistique entre les mondes criminel et terroriste ne peut qu'être éphémère, les intérêts des deux camps étant diamétralement opposés. Les criminels recherchent le profit financier dans une relative discrétion et les terroristes souhaitent mener des actions spectaculaires souvent fatales pour leurs exécutants.
El Shukrijumah fera probablement parler de lui prochainement. Soit il réussira une action terroriste spectaculaire, soit il sera neutralisé. Cette deuxième option est la plus vraisemblable car aujourd'hui les services de sécurité américains sont sur les dents et Al-Qaida en mauvaise posture opérationnelle.
- [1] Comme les terroristes du 11 septembre 2001, il aurait suivi des cours de pilotage en Floride et à Norman dans l'Oklahoma.