Etats-Unis – Israël Un apprenti espion piège par le FBI
Alain RODIER
Le 19 octobre, un scientifique américain de haut niveau qui a eu accès à des informations confidentielles a été arrêté par le FBI pour tentative d'espionnage au profit d'Israël. Toutefois, il semble que dans cette affaire, les services de renseignement de l'Etat hébreu n'y soient absolument pour rien. En effet, cet apprenti espion maladroit est tombé suite à une provocation montée de toutes pièces par le FBI.
Stewart David Nozette, né le 20 mai 1957 à Chicago et résidant à Chevy Chase, dans le Maryland, est un scientifique de haut niveau, titulaire notamment d'un doctorat en astronomie de l'université technologique du Massachusetts (MIT). Il a travaillé de 1983 à 1989 pour les universités de Californie à San Diego, puis du Texas à Austin, et parallèlement, de 1986 à 1989 pour l'Initiative de défense stratégique [1]. Nozette rejoint la Maison-Blanche en 1989-1990 au sein du Conseil national de l'espace. D'octobre 1991 à octobre 1994, il est affecté au département de la Défense, au sein de l'Organisation de défense contre les missiles balistiques.
Parallèlement, il travaille pour le ministère de l'Energie de 1990 à 1999 et est recruté, en 1998, comme conseiller technique par la société de conseil Murphree Texas Investors, dont le gouvernement israélien serait l'actionnaire majoritaire.
En 2000, Nozette créé l'association Alliance for Competitive Technology (ACT) qui œuvre au profit du gouvernement américain, notamment de la NASA. En 2006, suite à des doutes sur l'emploi des financements attribués à l'ACT, la NASA cesse sa collaboration avec l'association qui, faute de moyens, doit arrêter ses activités.
De 1986 à 2006, ses activités permettront à Nozette d'être habilité à consulter des données classifiées, particulièrement celle ayant un rapport avec l'armement nucléaire américain et les mesures de détection avancées.
La provocation du FBI
Depuis un certain temps, le FBI avait été alerté par l'attitude de Stewart David Nozette. Une première enquête basée sur des rentrées d'argent inexpliquées aurait eu lieu en 2006 mais n'aurait pas abouti. Nozette aurait déclaré à un collègue de travail que s'il se retrouvait un jour poursuivi par la justice des Etats-Unis, il rejoindrait Israël ou un autre pays et qu'il leur « déballerait tout ». Au cours d'un voyage qu'il effectue en Inde, début 2009, un contrôle de routine permet de constater que le jour de son départ, le 6 janvier, il emmène avec lui deux clefs USB. Il ne peut les présenter à son retour, le 28 du même mois.
Jugeant que désormais Nozette constitue un danger potentiel important pour la sécurité nationale, le FBI décide de le neutraliser avant qu'il ne soit approché et recruté par un service de renseignement étranger. A cette fin, le service de contre-espionnage américain doit recueillir des preuves à charge crédibles contre lui. Or pour ce faire, il est possible, aux Etats-Unis, de se livrer à de véritables provocations. C'est ainsi qu'il est procédé.
Le 3 septembre 2009, un agent spécial du FBI téléphone à Stewart David Nozette en prétendant être un officier-traitant (OT) du Mossad. Ce dernier accepte une invitation à déjeuner le jour même dans le restaurant d'un hôtel situé Connecticut Avenue, à Washington. Lors de cette entrevue, l' « OT du Mossad » lui propose de collaborer avec le renseignement israélien, ce que Nozette accepte immédiatement en promettant de livrer des informations classifiées concernant notamment des satellites américains. L'agent du FBI lui communique alors l'adresse d'une boite aux lettres (BAL) banalisée qui servira de point d'échange des documents, ainsi qu'un numéro de téléphone « sûr ». Bien sûr, une caméra dissimulée filme les personnes qui utilisent cette BAL et le téléphone est branché en permanence sur écoutes.
Le 4 septembre, une deuxième rencontre a lieu au même endroit. Nozette avoue à son correspondant qu'il n'a plus directement accès à des renseignements confidentiels mais qu'il peut donner des informations intéressantes « de mémoire ». Sa motivation est claire : il se dit prêt à collaborer en échange d'une rémunération en liquide, les versements ne devant pas dépasser les 10 000 dollars « par mesure de sécurité »… Il demande également à recevoir un passeport israélien et à pouvoir bénéficier, en cas de besoin, d'un « droit au retour », ses parents étant juifs.
Les choses vont alors très vite. Le 10 septembre, l'OT dépose dans la boîte aux lettres une enveloppe contenant 2 000 dollars et un questionnaire. Nozette récupère le contenu de cette BAL le jour même.
Le 16 septembre, il répond par le même canal et promet dans un courrier joint de fournir des renseignements classifiés concernant le système de défense nucléaire américain. Il dépose également une clef USB cryptée.
Le 17 septembre, un nouveau questionnaire est déposé dans la BAL. Une somme de 9 000 dollars est jointe. Le courrier est relevé le jour même.
Le 1er octobre, Nozette dépose un courrier répondant à l'orientation fournie le 17. Son document concerne le programme de communications du Pentagone et la composition du système d'alerte de la Défense.
Le 19 octobre, les preuves de sa trahison étant jugées suffisantes, Stewart David Nozette est arrêté pour espionnage par le FBI à l'hôtel Mayflower à Washington.
La méthode employée par le FBI laisse songeur
Cette méthode en forme de provocation laisse songeurs les professionnels du renseignement. En effet, si elle a effectivement permis de neutraliser le danger potentiel que représentait Stewart David Nozette, elle rappelle malheureusement ce qui se passait de l'autre côté du rideau de fer lors de la grande époque de l'URSS. Le KGB employait régulièrement cette méthode pour confondre des opposants au régime.
Si ce procédé est contestable sur le plan de l'éthique, il l'est également en ce qui concerne l'efficacité. En effet, il aurait été beaucoup plus valorisant pour le FBI de maintenir Stewart David Nozette sous surveillance en attendant de voir s'il venait vraiment à être contacté par un membre d'un service de renseignement étranger. Cela aurait permis d'identifier le pays à l'origine de cette opération de recrutement, et de voir quelles étaient ses préoccupations en matière de renseignement sur le sol américain, en examinant les questionnaires posés à la source. Ensuite, le FBI aurait pu tenter de mener une vaste opération d'intoxication. Si cette dernière – qui est difficile à monter sans l'accord de la source, laquelle aurait dans ce cas agi en « agent inconscient » – ne pouvait aboutir, il aurait alors été temps de mettre fin à cette manœuvre en arrêtant les personnes incriminées. Le FBI n'a pas poursuivi dans cette direction, peut-être par manque de moyens (ce qui semble douteux), probabelement parce qu'il y avait un petit risque de prendre dans les filets un véritable OT israélien un peu trop entreprenant, ce qui aurait nuit considérablement aux relations entre les deux pays amis.
Enfin, la crédulité de Stewart David Nosette paraît insondable. Il accepte immédiatement de rencontrer une personne qui lui a téléphoné en se présentant comme étant un officier de renseignement du Mossad. Cela aurait du éveiller sa méfiance car, dans la très grande majorité des cas (pour ne pas dire dans 100% des cas), jamais un OT ne se présentera es qualité lors d'une approche, de surcroît en territoire étranger. Si le procédé de l'échange de courrier et d'argent semble tenir la route [2], le procédé semble toutefois un peu gros et surtout beaucoup trop rapide. Même lorsqu'une source a fourni des documents, il faut un certain temps pour évaluer cette première fourniture avant de lui adresser un nouveau questionnaire. En effet, ce n'est pas l'opérationnel sur le terrain qui va se livrer à cette estimation de production, mais les experts de sa centrale. Et cela prend parfois beaucoup de temps, surtout lorsqu'il s'agit de sujets pointus comme ceux qui relevaient de la compétence de Nozette. Cette crédulité a un coût car l'intéressé risque désormais un emprisonnement à vie.
Ce qui semble à peu près sûr – cela est confirmé par les déclarations des officiels américains – c'est que les services israéliens ne sont en rien impliqués dans cette trahison. Il faut dire que depuis l'affaire Jonathan Pollard, qui a défrayé la chronique au début des années 1980 [3], un accord tacite a été passé entre Washington et Jérusalem. Chacun des deux pays s'est engagé à ne pas mener d'opération d'espionnage contre les intérêts de son allié. Par contre, il n'est pas possible encore de savoir sur quoi portaient les travaux qu'a fourni Nozette à la société Murphree Texas Investors qui était vraisemblablement en liaison directe avec l'Etat hébreu. D'ailleurs, Nozette a déclaré à l'agent spécial du FBI : « je croyais que je travaillais déjà pour vous »… Des rumeurs laissent entendre que le FBI craindrait également que Nozette ait travaillé pour les services secrets indiens mais, à ce jour, il n'a pu en apporter la preuve formelle.
- [1] Politique initiée par le président Reagan qui a été appelée la « guerre des étoiles ». L'URSS n'a pas pu suivre cette course aux armements et à la technologie, ce qui a été l'une des causes de son effondrement.
- [2] Les deux hommes ont du utiliser des signaux d'approvisionnement et de relève de BAL, peut-être à l'aide du téléphone fourni par l'agent du FBI.
- [3] Jonathan Pollard est un citoyen américain qui a été recruté par les services de renseignement israéliens. Découvert en 1985, il a tenté de trouver refuge à l'ambassade d'Israël mais en a été chassé. Le 4 mars 1997, il a été condamné à une peine d'emprisonnement à vie. Depuis, Tel-Aviv demande régulièrement sa libération et son émigration en Israël.