Etats-Unis – Iran : Trump renouvelle la « manoeuvre » d’Irak
Alain RODIER
Pour une fois, l’Histoire semble se répéter. Au début des années 2000, l’administration du président George W. Bush voulait absolument obtenir la preuve que le régime de Saddam Hussein détenait des armes de destruction massive. Aussi, les services de renseignement furent-ils harcelés par la Maison Blanche pour fournir les preuves irréfutables devant confirmer la thèse présidentielle. Au final, le pouvoir voulant des preuves concrètes, les services lui en fournirent car de nombreuses sources se firent un devoir de vendre ce qui leur était demandé. L’exemple le plus criant fut constitué par des camions destinés à mettre en œuvre des ballons météorologiques qui devinrent par miracle – croquis à l’appui – des « laboratoires mobiles » de fabrication d’armes biologiques. C’était simple ! Si aucune installation fixe n’avait été détectée, c’est que les Irakiens les avaient montées sur roues pour les rendre mobiles et ainsi échapper aux inspections !
On se souviendra aussi longtemps du général Colin Powell agitant, le 5 février 2003, une petite fiole contenant du supposé Anthrax en plein Conseil de sécurité des Nations unies. Bon nombre d’informateurs des Américains étaient des escrocs aux renseignements – catégorie très fréquente dans le monde de l’espionnage1 – qui monnayaient très cher les renseignements leur ayant été demandés, d’où une auto-inoxication2. La rumeur court que les services iraniens auraient participé à la fourniture aux Américains et aux Britanniques de faux renseignements concernant l’arsenal irakien. Il était en effet de leur intérêt que Washington intervienne en Irak pour s’y ensliser et « oublier » le principal pays désigné comme membre de l’« axe du mal » : l’Iran. Après le début des opérations militaires, les même canaux ont servi pour donner cette fois de vrais renseignements tactiques sur l’armée de Saddam Hussein, afin que les chars américains arrivent rapidement à Bagdad. Plus vite ils étaient enslisés, mieux cela était !
La recherche d’un prétexte
Aujourd’hui, Donald Trump est persuadé que Téhéran ne se soumet pas aux obligations qui sont les siennes suite à l’accord 5+13 (connu sous le nom de Joint Comprehensive Programme of Action (JCPOA) signé en 2015 sur le programme de développement du nucléaire. En conséquence, comme sous l’ère Bush, les services de renseignement sont priés d’apporter à Trump les « preuves » de sa thèse au point que nombre d’analystes qui n’ont pas la mémoire courte se rebiffent face aux instructions données.
Comme Bush, Trump met aussi la pression sur l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) pour qu’elle montre plus d’agressivité dans ses demandes d’inspections de sites iraniens soupçonnés se livrer à des activités prohibées par le JCPOA. Ainsi, Washington voudrait changer les règles qui régissent les inspections. Aujourd’hui, lorsqu’un doute sur une installation est signalé par un des pays signataires, dans un premier temps l’AIEA demande des explications à Téhéran. Si ces dernières sont jugées insuffisantes, un délai de deux semaines est nécessaire pour négocier les modalités d’inspection du site controversé. Si à l’issue de cette période, Téhéran refuse toujours l’inspection, les 5+1 peuvent voter une obligation de visite à laquelle les Iraniens doivent se plier dans les trois jours qui suivent sous peine de voir les sanctions internationales rétablies. Mais Washington voudrait pourvoir demander à l’AIEA de mener des inspections sans avoir à fournir de motif à fournir au préalable. En gros, de se livrer à des inspections aléatoires « surprise ».
La période est aujourd’hui cruciale car si Téhéran refuse une inspection (programmée dans le cadre de l’accord 5+1) d’ici la mi-octobre, il est probable que le président Trump se saisira de l’occasion pour ne pas signer la prorogation de l’accord qui doit être renouvelé tous les trois mois par le Congrès. Cela relancerait les sanctions américaines contre Téhéran. Les autres pays signataires seraient extrêmement gênés par cette décision unilatérale. D’ailleurs, ils la critiquent tous à l’exception de la Grande-Bretagne qui, à son habitude, s’efforce de faire le grand écart entre les Etats-Unis et l’Europe. Que deviendraient les échanges économiques occidentaux avec l’Iran si Washington décidait de sanctionner les investisseurs étrangers4 commerçant avec Téhéran ?
L’attitude de Trump est fortement influencée par les Israéliens qui considèrent l’Iran comme la menace existentielle pour l’Etat hébreu. A leur décharge, les appels de Téhéran à la disparition d’Israël se sont toujours répétés à périodes régulières depuis la prise du pouvoir par les mollahs en 19795. Le Premier ministre Netanyahu a d’ailleurs profité de la visite du secrétaire général des Nations Unies à Jérusalem, António Guterres, en août 2017, pour affirmer que les Iraniens développaient une usine de construction de missiles en Syrie, à Wadi Jahannam, près de Baniyas, sur la côte méditerranéenne.
Mais à la différence des années 2000 où les opinions des différentes agences de renseignement américaines et étrangères étaient pour le moins contrastées6, il y a aujourd’hui un consensus entre elles et l’AIEA comme quoi il n’existe, à ce stade, aucune preuve formelle indiquant que Téhéran viole ses obligations. Ainsi, immédiatement après la signature de l’accord JCPOA, l’Iran a réduit le nombre de ses centrifugeuses ainsi que ses stocks de combustible.
L’Organisation des moudjahiddines du peuple (OMPI7) qui avait dévoilé l’effort nucléaire militaire iranien en 2002 est à la recherche d’informations sur ce sujet mais ne semble pas avoir recueilli des éléments décisifs à cette heure.
Selon l’OMPI, le brigadier général des pasdarans Mohsen Fakhrizadeh Mahabadi – alias docteur Hassan Mohseni – reconnu comme le père du programme nucléaire militaire iranien, dirige l’Organisation de l’innovation et de la recherche de la défense, apparue en 2011 et connue sous l’acronyme SPND. Elle poursuivrait secrètement ses recherches malgré l’accord 5+1. Toutes ces informations restent à être confirmées mais il est vrai que le président Hassan Rohani a déclaré dans un discours prononcé devant le Conseil de la choura, le 15 août dernier, que l’Iran est en mesure de reprendre son programme nucléaire « en quelques heures et quelques jours » si Washington continue de menacer et d’imposer des sanctions à Téhéran.
Pour des raisons politiques d’influence de l’Iran au Proche-Orient, le président Trump a choisi de diaboliser Téhéran au grand profit de l’Arabie saoudite et d’Israël. C’est pour cela qu’il lui faut à tous prix rompre l’accord qui a été conclu entre Téhéran et son prédécesseur, Barack Obama. Ses services sont mis à contribution pour tenter de justifier les mesures coercitives qu’il a, de toute façon, l’intention de prendre. « Qui veut tuer son chien l’accuse d’avoir la rage » dit le vieux dicton populaire…
- Parfois surnommés les « rats bleus ». ↩
- Un officier traitant (OT) demande à sa source de lui trouver les indices de présence d’armes chimiques. Cette dernière se fait un devoir d’en rapporter car elle sait qu’elle va être grassement rémunérée pour ses résultats. En retour, l’OT est convaincu de la véracité du renseignement. C’est un cercle vicieux. ↩
- Cet accord a été signé avec l’Iran par les cinq pays permanents du Conseil de sécurité plus l’Allemagne. ↩
- Les Américains imposent leurs règles juridiques à l’ensemble du commerce mondial, c’est là une excellente méthode pour se livrer à une concurrence totalement déloyale. ↩
- Excepté durant la guerre Iran-Irak, Bagdad étant alors considéré comme la menace numéro UN pour Israël qui n’a pas hésité à fournir Téhéran en pièces détachées et munitions pour les matériels d’origine américaine. ↩
- Les services français avaient de forts doutes sur la véracité des informations américaines. Le président Chirac a donc décidé de ne pas intervenir, ce qui a provoqué une importante vague anti-française aux Etats-Unis. ↩
- Organisation déclarée terroriste pour Téhéran en raison des nombreux attentats dont elle est responsable en Iran. ↩