Du communautarisme en Grande-Bretagne
Nathalie CETTINA
Les 25 et 26 novembre 2006 s'est tenue, dans le nouveau centre de congrès, Excel, à l'Est de Londres, la conférence annuelle « Global Peace and Unit Event » organisée par Islam Channel. Quelques milliers de musulmans, originaires pour la plupart du sous-continent indien et venus de tout le Royaume-Uni, en famille, – hommes, femmes, adolescents et enfants – revêtus de leur tenue traditionnelle (kiswah, hijab, niqad), se sont pressés aux guichets (tarif de 15 livres) pour écouter se succéder à la tribune, jusque tard dans la nuit, des enseignants, des juristes, des intellectuels, des parlementaires et autres poètes, presque exclusivement musulmans, venus d'Europe, des Etats-Unis, du Canada, d'Arabie Saoudite, de Mauritanie, du Pakistan, d'Indonésie ou encore du Qatar. Les interventions doctrinales, présentées comme autant de sources d'inspiration, entrecoupées de récitations de passages du Coran et de musique Nasheed, jouxtaient des expositions, aires de jeu, buffets de restauration, distribution de ballons aux inscriptions explicites (« Stop Terror », « Help Palestian Childs »).
Femmes riant sous leur hijab, tenant un ou deux enfants par la main ; jeunes hommes accroupis avançant un seau destiné à collecter des fonds pour la cause palestinienne ; jeune femme dans un fauteuil roulant tendant un autre seau pour les malades musulmans ; distributions de tracts de diverses organisations musulmanes (Al Muntada Al Islami, Muslim World League, Ummah Welfare Trust, Islamic Party of Britain, Islamic Dawah Centre International) et de quotidiens musulmans édités en Grande-Bretagne (tel The Muslim) – sont quelques unes des scènes que l'on pouvait observer sous le regard d'un service d'ordre privé imposant.
La mobilisation en faveur de l'arrêt des combats en Irak et du rejet de la politique américaine dans le monde arabe animait plus que jamais les participants avec le souci de mettre fin à la terreur orchestrée contre la population musulmane dans les zones troublées du globe. Mais cette année, la conférence s'est déroulée dans une atmosphère particulière marquée par les récentes prises de position de Jack Straw, leader de la Chambre des communes et ancien ministre de l'Intérieur, relayées par les médias, en faveur de la limitation, voire de l'interdiction, du port du voile islamique dans la sphère publique.
Les débats ont été guidés par le souci de dénoncer « l'islamophobie hystérique » qui se répandrait dans la société anglaise, présentée comme le contrecoup de l'échec la « Guerre à la terreur » déclenchée en Irak, dont les musulmans seraient les boucs-émissaires. En corollaire, les intervenants entendaient dédramatiser l'image de l'Islam en occident.
Parmi les thèmes abordés, deux grands axes se dessinaient :
– un souci d'ouverture en direction de la société occidentale, en vue de construire des ponts de coexistence avec le monde islamique, à travers des débats portant sur :
- « La responsabilité islamique à l'ouest » ;
- « Faire un pas pour tirer bénéfice de la connaissance de l'Occident » ;
- « La dawa en Occident » ;
- « Gagner la paix » ;
« Le prophète Mahomet : essayer de corriger l'image stéréotypée et négative du prophète en Occident et promouvoir le concept de dialogue et de coexistence entre les religions ».
– Une défense des pratiques identitaires de l'oummah au sein des sociétés occidentales, à travers notamment :
- la tenue vestimentaire ;
- la rejet du capitalisme.
Le voile comme liberté de ne pas choisir le « chaos occidental », le hijab comme symbole, la dissimulation comme dignité
Ces musulmans entendent défendre le droit de toute personne de s'habiller en accord avec ses croyances religieuses, d'être libre de choisir son style de vie au sein de la société britannique et de ne pas empêcher les autres de faire de même. Ils ressentent la prise de position du gouvernement comme un diktat sur leur choix de vie et appellent à la reconnaissance du droit fondamental de leur communauté à la liberté de conscience, d'expression, de religion.
A propos du hijab, une association de charité musulmane, Al Muntada Al Islami, l'explique et le justifie ainsi :
« Historiquement, la mise à l'index du port du hijab en Occident est présentée comme une réaction de l'homme européen qui, privé du plaisir de regarder et d'approcher les beautés orientales, a considéré ce vêtement comme le destructeur de ses désirs.
La manière dont les gens s'habillent et laissent transparaître leur beauté accroît leur attractivité et conduit à la corruption physique et spirituelle des individus et de la société tout entière. Il y a seulement à regarder les adolescentes enceintes dans ce pays, le taux de divorces ou d'adultères, le sida, la pédophilie, les viols, pour admettre qu'il y a un problème. Tant que l'accent sera porté sur l'adoration de soi-même pour le sexe opposé, et que prédominera l'attitude selon laquelle on doit multiplier les expériences, vivre pour aujourd'hui et non pour demain, les messages ne seront pas écoutés et les gens évolueront avec la seule option de suivre leurs désirs. Satan a dit « Je vais éveiller le désir en eux ». Sans un profond changement des comportements, l'Ouest ne sortira jamais de ce cercle vicieux où il est enlisé. Avec une telle réalité, l'occident appelle l'orient à devenir plus moderne (ce qui signifie plus occidentalisé), c'est-à-dire ludique, pourquoi les musulmans devraient-ils suivre un mouvement qui est destiné à s'écraser ?
Le voile est présenté par les européens, comme un obstacle dans leur projet de civiliser l'orient, ce qui en réalité signifie dominer et usurper son territoire et ses ressources. Ainsi, le hijab, au lieu d'un symbole religieux, devient un signe de dégénérescence et de retard, comme une métaphore du déclin du monde musulman.
Les élites musulmanes veulent rejoindre rapidement l'occident en suivant sa voie et incitent les autres à en faire autant. Le dévoilement public des femmes des leaders et la prédominance des figures féminines constitue une rupture physique avec le passé. Mais comme le dit une hadith « La majorité de l'Oummah n'ira dans jamais dans le sens de l'erreur ».
Le hijab est une libération, le hijab doit demeurer.
Trop souvent on entend que le hijab n'est pas un élément de l'islam à proprement parlé mais un vêtement arabe. Ce ne serait pas quelque chose que les femmes musulmanes choisissent de porter, mais plutôt qui leur est imposé. La réponse la plus courante est que le hijab est un souvenir physique de Dieu. La raison pour laquelle les sœurs musulmanes observent ce commandement est qu'elles savent qu'il s'agit d'une recommandation de leur dieu. Le hijab libère la femme de l'oppression du désir masculin, elle est libre de savoir qu'elle est davantage qu'un corps et le coran lui rappelle qu'elle a une dignité qui n'est pas due à son physique mais à sa spiritualité. Et s'il y a un jugement pour celles qui ne le portent pas, il viendra d'Allah, qui reconnaîtra la vérité dans le cœur. En effet, la vérité triomphe sur le mensonge ».
Le travail comme seule source de richesse, les intérêts comme Interdit
Le Islamic Party of Britain parle en ces termes du prêt d'argent avec intérêts :
« Il est évident que baser une économie sur les intérêts est une manière stupide de servir une nation qui a besoin de produire, de consommer et de faire du commerce. Il en résulte les démons de l'inflation, du chômage, du déclin des services, des guerres commerciales et des conflits armés.
Utiliser les taux d'intérêts comme un moyen de contrôler les problèmes économiques d'une nation est futile, car ces problèmes sont en premier lieu créés par les intérêts. C'est seulement quand un gouvernement crée sa propre monnaie sans charge pour la nation pour faciliter la production, la consommation et le commerce, au lieu d'autoriser des banques privées à créer une monnaie nationale et placer la nation sous le coup d'une rançon en la brisant par le poids de la dette, et c'est seulement quand on reviendra à un système où les usuriers ne seront pas récompensés en tirant avantage des difficultés d'autrui, que l'on acquerra une réelle prospérité.
L'islam souvent montré comme figé sur ses principes au lieu « d'évoluer avec son temps » n'a jamais répondu à la demande des prêteurs d'argent. En regardant à l'évidence avec un esprit ouvert, il ne faudra pas longtemps pour réaliser que l'islam a du sens et les intérêts n'en ont pas ».
Bref, si la volonté de vivre en paix au sein du monde occidental est ouvertement proclamée, elle se comprend chez ces musulmans britanniques, non pas comme une quête d'intégration, mais comme un souci de préserver et de faire accepter leur particularisme. Ils comptent y parvenir par la défense et la reconnaissance d'un communautarisme au sein de la société britannique, à une période où l'évolution de la position gouvernementale en la matière, qui tend à remettre en cause le multiculturalisme, soulève surprend, inquiète et irrite.
Au-delà de cette logique d'explication, de dialogue, de défense identitaire et de recherche d'unité, la ligne de démarcation avec la tentation de la propagande se veut fragile. Avec l'intervention de William Rodriguez, le discours s'est ouvertement orienté vers un révisionnisme des attentats du 11 septembre 2001 aux Etats-Unis : appel à la recherche d'une « autre vérité », vindicte du pouvoir américain, maître de la désinformation et de la manipulation, devant des adolescents portant des tee-shirts affichant la responsabilité des Etats-Unis dans les attentats du 11 septembre 2001.
William Rodriguez, présenté comme ancien gardien de la tour nord du World Trade Center pendant 20 ans, et dernière personne à l'extérieur le matin du 11 septembre 2001, déplore le « non sens de la « Guerre à la terreur » déclenchée le 11 septembre » et considère « qu'il est crucial que le monde connaisse la vérité pour prévenir de futurs actes terroristes, des guerres et pertes de vies humaines. Je détiens la clé pour comprendre ce qui s'est passé ce jour-là et comment cela s'est passé. J'ai fait ma mission de dire la vérité au monde entier. Si l'on ne connaît pas les faits exacts à propos du 9/11, comment pourrons-nous prévenir de futurs 9/11 et d'autres guerres ? ».
Il a affirmé « qu'une liste incluant des experts de la sécurité, des anciens officiers américains, du personnel militaire, des scientifiques évoque l'hypothèse qui prend de l'ampleur selon laquelle le pouvoir américain a planifié et réalisé les terribles attaques pour justifier les agressions qui ont immédiatement été déclenchées en Afghanistan et en Irak. Selon un récent sondage près de 4 américains sur 10 considèrent que le gouvernement américain a un rôle actif dans les attaques du 11/09 ».
« S'interroger sur les besoins d'une nouvelle enquête – tant de scepticisme est l'irrésistible preuve de la contradiction de l'histoire officielle (la démolition de la WTC7, le Boeing sur le pentagone….) – est donner un consentement tacite à l'impérialisme américain, alors que toute enquête exposerait sans aucun doute le réel coupable derrière le 11 septembre et derrière des désinformations telles que les armes de destruction massive, l'uranium du Niger, les attaques à l'anthrax contre les sénateurs démocrates, la « conspiration de la ricin » alors qu'il n'y avait pas de ricin, le « suicide » du docteur David Kelly et bien d'autres….
Bientôt la décision peu judicieuse de la « Guerre à la terreur » aura duré aussi longtemps que le Seconde Guerre mondiale, avec aucune fin en vue. Pendant ce temps, les néoconservateurs encouragent l'islamophobie pour répandre l'hégémonie américaine, et la même chose se produit en Grande-Bretagne depuis le 7 juillet 2005.
C'est pourquoi les témoignages individuels sont cruciaux pour arrêter le non sens de la « guerre à la terreur ». Alors pourquoi laisser les intellectuels, les personnalités médiatiques et l'establishment continuer de rejeter le problème du 11 septembre comme étant hors propos ou trop complexe. Cela prendra vingt ans pour que la vérité soit faite.
Vingt ans sont trop tard. Nous avons besoin de connaître la vérité maintenant pour prévenir davantage de terrorisme simulé, pour restaurer nos droits et libertés, soigner la maladie sociale croissant qu'est l'islamophobie et pour arrêter la descente fatale sur la pente d'une guerre perpétuelle ».
L'écho est recherché tant chez les musulmans que chez les non-musulmans, comme l'atteste la distribution de tracts, au slogan « Rejoignez la révolution de la vérité ! », en faveur d'une réunion publique organisée le lendemain dans le centre de Londres, par une organisation dénommée « 9/11 Truth », soutenue par la coalition « Stop the War » et la campagne « Against Criminalising Communities » avec de nouveau à l'affiche William Rodriguez, présenté en héros national américain…
L'opposition islamiste à « Global Peace and Unit Event
En marge de ce forum, plus inquiétante était la présence aux abords du congrès de partisans d'un islam radical, défiant le gouvernement britannique et les forces de police, rejetant les non-musulmans et distribuant des tracts appelant à boycotter cette conférence, en ce qu'elle prône l'Interdit (Haram), en ces termes :
« La désastreuse conférence « Global Peace and Unity » s'impose à nous encore une fois, comme si l'année dernière n'était pas suffisante.
Cette conférence est une moquerie de l'Islam et une insulte à notre foi. Elle promeut ouvertement l'interdit (Haram) sans aucune honte sous la bannière de la paix et de l'unité. Elle s'annonce comme une conférence pour les musulmans, alors qu'elle est loin d'être une conférence islamique. Les principes de base de mixité, de musique et des étiquettes islamiques sont violés par nombre d'intervenants parlant dans le non sens. Ils promeuvent ouvertement le Haram et appellent les gens à rejoindre la police et à participer à la politique gouvernementale en vertu de laquelle les gens sont clairement guidés par des règles non islamiques. Et comme si cela n'était pas assez, ils font ce qui peut être décrit comme une conférence de musique avec des applaudissements et des sifflements, avec des femmes applaudissant également et criant.
La chose la plus surprenante est que ce panel d'intervenants, supposés être de respectables intellectuels islamiques, gardent le silence et continuent de participer à cet événement en admettant le démon qu'il renferme. Comment des musulmans pratiquants peuvent voir un tel démon et garder le silence ?
Comment cette conférence peut clairement s'appeler islamique et aller à l'encontre des principes de l'Islam, c'est une moquerie de notre foi, faisant de l'interdit quelque chose de légal et le justifiant sous le nom de « paix et unité ». C'est comme la personne qui vend de l'alcool dans le but de ramasser des fonds pour construire une mosquée, ou une femme qui se prostitue pour gagner de l'argent pour les pauvres. Les actions de telles personnes ne peuvent et ne pourront jamais être justifiées parce que leur intention est derrière eux. L'intention d'une personne n'est pas recevable si l'action est interdite (haram).Mais cette conférence va encore plus loin en ne commettant pas seulement l'interdit, mais en appelant islamique et en essayant de la justifier en dupant les masses, cela est non moins que de l'hérésie.
Cet événement est sponsorisé par la police métropolitaine, la force de police qui est responsable de l'arrestation et de l'emprisonnement de centaines de nos frères et sœurs musulmans et du meurtre d'un musulman innocent. Comment peut-on apporter son soutien à un tel événement et ainsi aux forces de police engagées dans l'attaque de musulmans.
De plus, il est interdit pour des musulmans de s'asseoir et d'écouter des
non-musulmans (kuffar) parler et prêcher leur malveillant et méprisable style de vie. Les gens qui refusent de croire en Allah et plus probablement maudissent notre prophète Mahommet donnent une plate-forme pour propager leur grossièreté sous le couvert de l'unité. Quelle sorte d'unité est-ce, voulez-vous vous unir avec les non-musulmans (kuffar) ?
Notre conseil est que vous restiez bien loin de cette conférence et de telles activités. Cet événement est un prétexte pour commettre l'illégalité (Haram) et n'apporte aucun bénéfice aux gens quels qu'ils soient. La paix et l'unité ne peuvent pas être acquises par de telles impuissantes et superficielles conférences où des ignorants parlent pour entraîner le peuple, alors que la seule base d'unité pour les musulmans est de suivre la charia.
Les organisateurs et participants de cette conférence ont besoin de se rappeler que viendra la jour lorsque l'on se tiendra devant Allah et que l'on devra rendre des comptes sur tout ce que l'on a fait dans sa vie, comment justifierez-vous cette attitude ce jour-là ?
Renoncez et faites renoncez votre famille d'assister à cette conférence vous amènera à Allah et ne vous corrompra pas en vous tenant éloigné du vrai travail d'Allah.
Ne soyez pas trompé, cet événement n'est pas islamique. »
A quelques pas des jeunes distribuant ces tracts, un de leurs condisciples collectait ouvertement des fonds dans un sceau portant l'étiquette « Djihad ».
Malgré les revirements du gouvernement britannique au cours de ces dernières années en faveur d'un droit d'asile moins généreux, d'une tolérance religieuse plus encadrée, que ce soit par l'interdiction d'entrée sur le territoire des imams radicaux étrangers, la volonté de contenir la poussée de l'islamisme et de favoriser le développement d'un islam modéré, certains jours, dans quelques quartiers de la capitale de l'ancienne Albion, le Londonistan ne semble pas avoir perdu sa caisse de résonance et continue de faire des émules.