Démantèlement d’un vaste trafic de drogue entre le continent américain et l’Europe
Alain RODIER & Fabrice RIZZOLI
Une opération conjointe menée par les carabiniers italiens et les polices américaines – dont le FBI et la DEA – a abouti, les 16 et 17 septembre 2008, au démantèlement d'un important réseau criminel. Celui-ci était co-animé par la ‘Ndrangheta (la mafia calabraise la plus entreprenante d'Italie à l'heure actuelle) [1] et le cartel du Golfe mexicain. Ces deux organisations criminelles transnationales (OCT) se livraient à un trafic de drogue de grande échelle entre l'Amérique latine et l'Europe. Cette opération fait partie d'une enquête – baptisée Solare en Italie – qui a débuté en mars 2008. Elle s'inscrit dans une vaste opération des forces de l'ordre américaines et européennes – nom de code est Project Reckoning – qui a débuté en juillet 2007. Depuis le début de cette opération, 507 individus ont été appréhendés et plus de 61 millions de dollars américains, 176 véhicules et 167 armes ont été saisis, ainsi que 23 tonnes de marijuana, 16 tonnes kilos de cocaïne, 471 kilos de métamphétamine et 8 kilos d'héroïne.
Mi-septembre 2008, dans le cadre de Solare , quatorze Italiens soupçonnés d'avoir monté de ce réseau ont été arrêtés (huit en Italie et six à New York). Toutes les autres personnes interpellées aux Etats-Unis, au Mexique et au Guatemala auraient des liens avec le cartel du Golfe.
Une organisation originale
Ce réseau s'étendait d'Amérique latine – zone de production [2] – à l'Europe – zone de consommation – en passant par le Mexique et les Etats-Unis [3] – zones de transit. Les Etats-Unis servaient aussi de lieu de négociation (elles avaient principalement lieu dans le quartier de Brooklyn à New York) et de blanchiment de l'argent.
Au départ, les ‘ndrines (familles calabraises de la ‘Ndrangheta) se fournissaient auprès d'un gang équatorien dirigé par Luis Calderon. Or, ce dernier a été arrêté le 30 avril dernier à New York. Les Calabrais se sont alors retournés vers Christopher Anthony Castellano et Ignacio Alberto Diaz (un citoyen paraguayen) qui représentaient les intérêts du cartel du Golfe mexicain à New York. Les négociations entre Italiens et Mexicains auraient été particulièrement âpres. En fin de compte, un accord aurait été trouvé. Les Calabrais se seraient engagés à ne se fournir qu'auprès du cartel du Golfe. Il faut dire que ce dernier est en guerre ouverte avec les autres organisations criminelles mexicaines et qu'il ne souhaitait pas que ce juteux trafic profite à ses concurrents.
En Italie, les frères Coluccio assuraient le paiement de la drogue commandée en utilisant les services de la Western Union ou en effectuant des transferts commerciaux clandestins. L'argent était reçu aux Etats-Unis par la famille calabraise Schirripa, installée dans le quartier de Corona de New York. Cette famille se chargeait ensuite d'envoyer la drogue par courrier postal ou par des sociétés de portage à des familles mafieuses italiennes implantées dans le sud de l'Italie (côte ionienne et région de Reggio de Calabre). Ces dernières l'expédiaient alors dans le reste de l'Italie, en Espagne et en Hollande. Il semble que les Schirripa se livraient à ce type de trafic depuis 1995 !
Ce trafic affaire illustre parfaitement les liens qui se sont tissés entre différentes organisations criminelles transnationales de part et d'autre de l'Atlantique. Le clan de ‘Ndrangheta recherchait de la drogue pour approvisionner l'ensemble de l'Europe occidentale. Après leur essai malheureux au Guatemala, les Italiens se sont tournés vers un des plus importants cartels mexicain : celui du Golfe. Ce dernier a profité de l'aubaine, trouvant par là une nouvelle filière de distribution à destination de l'Europe qui consomme plus en plus de cocaïne. En effet, les Etats-Unis sont actuellement saturés par ce produit qui pénètre sur son territoire par voies terrestre, aérienne et maritime [4]. De plus, un euro fort par rapport au dollar favorise les bénéfices des trafiquants.
Les OCT sud-américaines ont aussi noué des relations avec les autres mafias italiennes, particulièrement Cosa Nostra et la Camorra, les mafias albanaises, les Triades chinoises, les Yakusa japonais et les OCT de l'ex-URSS. Bien sûr, elles entretiennent aussi des relations d'affaires avec la Cosa Nostra nord-américaine et les bandes de motards très bien implantées aux Etats-Unis, au Canada et en Europe du Nord.
Le démantèlement du réseau
En Italie
Les carabiniers du Raggrupamento Operativo Speciale (ROS, unité spécialisée dans la lutte anti-terroriste et anti-criminalité), ont interpellé huit membres de la ‘Ndrangheta.
Le clan Aquino-Coluccio est jugé comme le plus actif de la ‘Ndrangheta calabraise. Ce clan est non seulement suspecté se livrer au trafic de drogue mais aussi au chantage. Il aurait également noué des relations avec Cosa Nostra (Sicile). Giuseppe Coluccio, un des chefs de la famille, avait été appréhendé à Toronto le 7 août dernier et extradé vers l'Italie. Son frère Antonio qui gérait une agence de transfert d'argent à Gioiosa Ionica et qui participait aux transferts de fonds illégaux est toujours en fuite.
La ‘Ndrangheta s'est implantée depuis des années aux Etats-Unis (particulièrement dans le quartier du Queens à New York) et au Canada. Et il est de notoriété publique que la famille new-yorkaise Gambino a repris ses relations avec Cosa Nostra (Sicile). Il est probable que les chefs des cinq familles de la Cosa Nostra implantées à New York étaient au courant de ce trafic. Toutes touchaient probablement leur pourcentage pour assurer la sécurité des tractations qui avaient lieu sur leur territoire.
Au Mexique
Sous la houlette du sous-secrétariat d'enquête spécialisé dans la délinquance organisée ( Sub secretaria de Investigacion Especializada en Delincuencia Organisada , SIEDO), les forces de sécurité mexicaines ont porté un coup très rude au cartel du Golfe en arrêtant, mi-septembre 2008, 175 de ses membres. Cependant, ses trois principaux leaders sont toujours libres : Jorge Eduardo Costilla Sanchez [5], Ezequiel Cardenas Guillén [6] et Herberito Lazcano, le chef du groupe armé Los Zetas formé d'anciens militaires.
Ce cartel avait pour habitude de se fournir en cocaïne, amphétamine, héroïne et marijuana auprès de producteurs implantés en Bolivie, en Colombie, au Guatemala, au Panama, au Pérou et au Mexique. Il est particulièrement influent à l'est de la frontière américano-mexicaine, mais aussi à Mexico et dans l'Etat du Nuevo Laredo. Comme l'illustre cette affaire, le cartel du Golfe a développé de nombreuses antennes aux Etats-Unis.
Nul doute que ces arrestations vont profiter au cartel de Juarez qui mène actuellement une guerre sanglante contre le cartel du Golfe. Le cartel de Sinaloa, qui avait conclu une trêve avec le cartel du Golfe en juin 2007, pourrait également être tenté de reprendre les hostilités afin de récupérer certaines activités à son profit.
- [1] Elle serait composée de plus 8 000 membres qui se répartiraient au sein d'environ 141 clans. Son chiffre d'affaire annuel serait de 44 milliards d'euros.
- [2] Les pays producteurs sont la Colombie, Panama et le Guatemala.
- [3] Atlanta puis New York.
- [4] Les Colombiens qui souhaitent s'affranchir de la tutelle mexicaine pour la distribution aux Etats-Unis, utilisent de plus en plus des engins semi-submersibles qui peuvent transporter jusqu'à dix tonnes de drogue. Les Américains estiment que plus de 30% de la cocaïne importée sur leur territoire utilise ce moyen original et sûr de convoyage.
- [5] Il assure l'intérim d'Osiel Cardenas Guillén, arrêté puis extradé vers les Etats-Unis en janvier de cette année.
- [6] Le frère d'Osiel.