Cuba se réveille… avec l’aide de Washington ?
Alain RODIER
Le 11 juillet, des manifestations « spontanées » ont eu lieu à Cuba, les premières de cette importance depuis le départ de Raúl Castro le 19 avril 1921, après 62 ans de gouvernement par les frères Castro. Ce qui a surpris les observateurs, c’est leur spontanéité et le courage des participants dont les slogans étaient : « Liberté ! (…) Nous avons faim ! (…) A bas la dictature ! ». Ils savent d’expérience comment ce type d’évènement est traité par le pouvoir communiste cubain. En effet, ce ne sont pas les premières manifestations populaires que connaît l’île. Elles ont été particulièrement importantes dans les années 2002-2003, alors même que les réseaux sociaux, qui sont un démultiplicateur en la matière, n’existaient pas encore.
Les difficultés croissantes de la population
L’événement déclencheur des manifestations de ces derniers jours a été la colère des populations de San Antonio de Los Baños, ville située à 26 kilomètres au sud de La Havane. Elles sont excédées par les coupures de courant quotidiennes, les restrictions d’approvisionnement en nourriture, la gestion du COVID-19[1] par les autorités – qui a pourtant été considérée comme « exemplaire » par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) – et par l’attitude de la police qui n’a rien perdu de ses habitudes de régime communiste.
C’est une vidéo montrant ces évènements sur la toile – et retirée 50 minutes après sa diffusion – qui a inspiré d’autres manifestations. Les autorités ont rapidement coupé les réseaux Facebook, WhatsApp et Instagram. En effet, La Havane s’est rendu compte que c’était la première fois que des manifestations de cette importance utilisaient les réseaux sociaux et qu’il était urgent d’interrompre les connexions pour éviter leur extension – mesure levée intégralement le 15 juillet. Miguel Díaz-Canel Bermúdez, le nouveau président cubain désigné – en sa qualité de Premier secrétaire du Parti communiste cubain – le 19 avril, assume la première crise de son mandat. Il réagit de manière habituelle déployant les forces de police, faisant arrêter des centaines de manifestants et lançant des contre-manifestations qui soutiennent le régime. Mais il y a tout de même une mesure d’apaisement : le gouvernement a décidé de faire baisser les taxes sur les biens de première nécessité entrant dans le pays. Le président cubain soutient également que Washington est derrière ces évènements et que des « mercenaires » ont été envoyés à Cuba pour attiser la révolte.
Des relations tumultueuses
Le régime communiste cubain est en effet, depuis la révolution de 1959, une épine dont Washington n’est jamais parvenu à se débarrasser bien qu’ayant pourtant employé tous les moyens à sa disposition, comme le débarquement de réfugiés cubains dans la baie des Cochons en 1961. La possibilité de lancer des opérations homosur les frères Castro a également été étudiée par la CIA.
Sans revenir sur l’historique des relations tumultueuses entre les deux pays et qui ont amené le monde au bord de la guerre nucléaire en 1962 lors de ce qui a été appelé la « crise des missiles », il est certain que les Américains ne souhaitent qu’une chose : la disparition du régime qui « fait désordre » dans leur pré-carré latino-américain. Ne pouvant déclencher une opération militaire d’envergure – bien que cela soit régulièrement proposé par des hommes politiques américains – qui serait condamnée unanimement par la communauté internationale, ils ont toujours maintenu des réseaux d’influence en espérant que le régime s’effondrerait de l’intérieur comme cela a été le cas pour l’URSS en 1990-91.
En 1962, les États-Unis ont décrété un embargo économique, commercial et financier contre l’île – appelé localement « le blocus » – qui a été condamné à 29 reprises par l’Assemblée générale de l’ONU. Il est resté officiellement en vigueur jusqu’en 2020 même si, au début des années 2000, les exportations de produits alimentaires et de médicaments ont été de nouveau autorisées, quoiqu’accompagnées de nombreuses restrictions. Affamer les populations pour qu’elles se révoltent contre leurs dirigeants – technique couramment employée par Washington en Irak avant 2003, en Syrie et en Iran aujourd’hui – n’est pas très populaire sur la scène internationale et surtout, sur le continent américain. Les États-Unis sont ainsi redevenus les premiers fournisseurs de produits alimentaires de Cuba, assurant entre 35% et 45 % des importations de nourriture.
En 2014, le président Barack Obama et son homologue cubain Raúl Castro ont lancé un processus de normalisation. L’accord a permis de lever quelques restrictions de voyage et financières américaines et surtout d’ouvrir une ambassade américaine à La Havane, fermée depuis 1961. En 2016, Obama a effectué la première visite officielle à Cuba d’un président américain en 88 ans !
En 2017, Donald Trump a refermé le processus, tout en maintenant l’ambassade américaine. Des restrictions plus sévères sur les déplacements d’Américains à Cuba ont été adoptées en 2019. Son successeur Joe Biden ne semble pas souhaiter changer fondamentalement de politique, les néoconservateurs qui le soutiennent ayant placé le sujet cubain en tête de leurs préoccupations. Les déclarations officielles sont d’ailleurs sans ambiguïté. Ned Price, le porte-parole de Département d’État américain a affirmé début juillet que les circonstances qui ont jeté des dizaines de milliers de protestataires dans les rues cubaines sont la conséquence « d’actions et d’inactions, de la mauvaise gestion et de la corruption du régime cubain » et non de ce que « les États-Unis auraient pu faire ». Il a enfoncé le clou : « nous sommes toujours en train d’évaluer les options disponibles qui nous permettraient d’aider le peuple cubain, de combler les besoins humanitaires qui sont en fait très profonds ». Le 13 juillet, c’est Joe Biden qui a mis en garde La Havane contre toute répression envers « l’appel vibrant à la liberté » du peuple cubain. Il a qualifié Cuba d’« État failli qui réprime son peuple ».
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Il est vraisemblable que les tensions sur l’île vont décroître dans les semaines à venir. Mais les Américains vont poursuivre leur travail d’influence et de sape, comme ils l’ont parfaitement fait via des ONG financées par le Congrès en Europe centrale puis en Ukraine, et enfin dans les pays arabes[2] avec les « révolutions de couleur ».
[1] Cuba est le seul pays latino-américain à avoir développé son propre vaccin.
[2] Dans les pays arabes, cela a été techniquement une réussite mais les réactions des populations et de nombreux militaires ont été mal anticipées.