Cuba/Etat-Unis: Un couple d’américains, agents des services de renseignement cubains durant 30 ans
Alain RODIER
Le 2 juin 2009, un couple d'Américains a été arrêté, soupçonné avoir espionné au profit du régime castriste pendant plus de trente ans. Walter Kendall Myers âgé de 72 ans et son épouse Gwendolyn Steingraber Myers (71 ans) étaient immatriculés par les services de renseignement cubains comme les agents 202 et 123 (Gwendolin a aussi eu le numéro E-634). Bien qu'il ait pris sa retraite le 31 octobre 2007, Kendall Myers était toujours en contact avec les services cubains. Il s'est fait piéger comme un novice par un officier du FBI agissant sous couverture.
Le déroulement de la manipulation cubaine
Kendall Myers a débuté sa carrière au sein du département d'Etat en 1977 au sein du Foreign Service Institute (FSI) basé à Arlington.
En décembre 1978, un représentant de la mission diplomatique cubaine basée à New York lui adresse une invitation pour se rendre en voyage touristique à Cuba. C'est au cours de ce séjour de deux semaines qu'il aurait été contacté par des officiers traitants de la Direccion General de Inteligencia (DGI), les services de renseignement extérieurs cubains. A peu près six mois après son retour de Cuba, le couple reçoit la visite d'un « diplomate » de la mission cubaine auprès des Nations Unies dans le Sud Dakota où il réside alors. Tous deux acceptent de servir en tant qu'agents de renseignement[1] au profit du régime castriste. Kendall Myers est encouragé à continuer sa carrière au sein du département d'Etat et même à se faire embaucher à la CIA, ce qu'il tentera sans succès en 1981. Les services cubains ayant pour règle de ne pas payer leurs collaborateurs extérieurs (pour des raisons économiques et non de déontologie), c'est donc le sentiment de sympathie qu'entretient le couple à l'égard de Cuba et de ses chefs castristes qui a servi de levier pour ce recrutement. La motivation est donc ici totalement idéologique[2].
En 1979, Kendall Myers est muté à Washington où il prend un poste au sein du département d'Etat. Sa compagne le rejoint en 1980. Ils se marient en mai 1982. Gravissant peu à peu les échelons de la fonction publique, Kendall Myers sera accrédité « secret » 1985 puis « très secret » en 1999, ce qui lui donnera accès à des informations de plus en plus confidentielles.
De 1988 à 1999, Kendall Myers en plus de son travail normal au sein du FSI, collabore au bureau de renseignement et de recherche (Intelligence and Research/INR) du département d'Etat. Les informations auxquelles il a accès sont très confidentielles. A partir de 2001 et jusqu'à sa retraite en 2007, il est affecté à plein temps au sein de l'INR comme analyste Europe. Il a toutefois accès à de nombreux renseignements qui concernent directement Cuba.
Initialement, le couple est doté d'un poste de radio ondes courtes sur lequel il reçoit des directives codées qu'il parvient à déchiffrer grâce à un programme de décryptement. Ce poste radio sera retrouvé au domicile des suspects lors de la perquisition qui a suivi leur arrestation.
Au cours de toutes ces années de manipulation, le couple a rencontré des officiers traitants cubains lors de voyages effectués au Mexique, à Trinidad et Tobago, en Argentine, au Brésil, en Equateur, en Jamaïque et à New York. Par ailleurs, il a transmis des informations de « la main à la main » en échangeant de sacs de commissions dans des épiceries. Selon les intéressés, ce procédé est simple et relativement sûr. Madame Myers abandonnera cette manière de procéder lorsqu'elle constatera que les commerces sont de plus en plus dotés de caméras de surveillance. Pour sortir les informations de son bureau, Kendall Myers faisait surtout confiance à sa mémoire et à quelques notes qu'il prenait (parfois avec la bonne vieille méthode de l'encre sympathique !). A de très rares exceptions près, il a toujours évité de ramener chez lui des documents classifiés. En outre, ayant été bien formé sur le plan de la sécurité, le couple veillait à ne pas être sous surveillance, particulièrement lors de ses déplacements.
A titre de récompense, le couple a reçu un grand nombre de médailles attribuées par le régime castriste. Il a même eu l'honneur et le privilège d'obtenir une audience privée de quatre heures auprès du leader maximo en 1995 lors d'un voyage clandestin effectué à la Havane, via le Mexique. En réalité, par mesure de sécurité, c'est lui qui s'est déplacé discrètement dans la villa qu'ils occupaient.
La chronologie de la manipulation du couple Myers est logique, à la limite du « cas école ». Les services de renseignement cubains avaient certainement procédé avant 1978 à un important travail d'environnement de Walter Kendal Myers, décelant l'opinion positive qu'il entretenait vis-à-vis de la révolution cubaine. Sa position de contractuel au sein du département d'Etat intéressait aussi beaucoup les Cubains car les ministères des Affaires étrangères constituent toujours de cibles de choix pour les services de renseignement.
Le séjour qui lui a été offert en 1978 à Cuba a permis de préciser la connaissance qu'ils avaient de l'individu. En effet, il était alors aisé pour les services de renseignement locaux de le mettre sous surveillance permanente. Le délai de six mois qui a précédé le recrutement formel a sans doute été exploité pour vérifier que, pris de remords tardifs, Myers n'allait pas tout confesser au FBI. Cette phase cruciale et risquée dans toute manipulation a vraisemblablement été effectuée par ce que l'on appelle un « officier recruteur ». Ce dernier n'intervient qu'une fois le recrutement quasi certain. En effet, s'il se heurte à un refus suivi d'une dénonciation aux services de sécurité locaux, il ne risque que l'expulsion car il bénéficie de l'immunité diplomatique.
Ensuite, les services cubains sont entrés dans la phase normale de manipulation deleurs sources. Les moments délicats à gérer sur le plan de la sécurité étant les contacts avec les officiers traitants, ceux-ci semblent toujours avoir eu lieu hors du lieu de résidence et de travail des agents. La livraison des renseignements recueillis s'est faite via des opérationnels qui échangeait des sacs de courses avec madame Myers. Quand ce système a pris fin, des messages codés via des cybercafés ont été utilisés.
N'étant pas rémunérés pour leur action, il a fallu récompenser et motiver ces agents méritants. C'est pour cela qu'ils se sont vus décerner des médailles cubaines -qu'ils ne pouvaient bien sûr pas arborer – et peut-être même un grade militaire. Ce procédé a été très couramment employé du temps de l'URSS. En outre de flatter l'ego de l'agent, ces titres lui assuraient, s'il venait à être exfiltré, un niveau de vie tout à fait confortable à Moscou. Dans le cas du couple Myers, il n'a pas eu le temps de se réfugier à la Havane. Cependant, s'ils sont échangés, cela facilitera considérablement leur retraite sous les palmiers[3].
Comment sont-ils tombés ?
Il semble que le FBI était sur leur trace grâce à l'écoute des émissions ondes courtes envoyées depuis Cuba à différents agents, informations recoupées par des e-mail que le couple aurait adressé à un officier traitant cubain à Mexico en 2008-2009. L'agence fédérale les a alors contacté via un officier agissant sous couverture. Le 15 avril 2009, il s'est présenté comme un officier traitant cubain envoyé par la centrale de la Havane pour reprendre le contact. Pour l'anecdote, il aurait souhaité un bon anniversaire à Kendal Myers et lui aurait offert un cigare cubain interdit d'exportation aux Etats-Unis.
Manquant de méfiance, le couple a détaillé à cet officier infiltré tous les tenants et aboutissants de leur collaboration avec Cuba, lui demandant même de saluer quelques personnalités de leur connaissance !
A la demande de ce dernier, ils ont même accepté de fournir des informations sur le sommet des Amériques qui s'est tenu à Trinidad et Tobago du 17 au 19 avril 2009. Pour ce faire, ils étaient prêts à employer un nouveau système de communication chiffré via le courrier électronique.
Les conséquences de cette affaire d'espionnage « classique »
En dehors des conséquences dommageables que cette affaire peut avoir sur le processus d'ouverture engagé par la nouvelle administration américaine à l'égard de Cuba, il est intéressant de noter que la justice américaine aborde ce problème par le côté financier. En effet, le couple risque surtout 20 ans d'emprisonnement pour avoir dissimulé ses activités illégales avec le remboursement intégral du salaire perçu par le mari. En effet, madame Myers qui n'avait pas d'activités sensibles, étant employée de banque, n'a pu livrer aucun secret. Elle n'a eu qu'un rôle de soutien logistique et moral ! Le fait d'être un agent à la solde, même non rémunéré, d'un gouvernement étranger ne coûte aux Etats-Unis que 10 ans d'emprisonnement auxquels il convient d'ajouter 5 ans pour conspiration.
Heureusement, il semble que les renseignements fournis aux Cubains étaient essentiellement politiques et économiques. Aucune mort d'homme ne serait à déplorer, les Myers n'ayant pas eu connaissance de l'identité d'agents recrutés par les services américains à Cuba ou ailleurs.
- [1] Un « agent » est un élément extérieur à un service spécial. Il est manipulé par un « officier traitant ».
- [2] Dans l'histoire de l'espionnage, les régimes communistes ont beaucoup joué sur le facteur idéologique, particulièrement auprès des intellectuels entretenant des sympathies pour la cause marxiste ou pacifiste.
- [3] Si l'option d'un échange parait peu probable, les Américains n'aimant pas beaucoup les traîtres, elle n'est pas impossible. Cuba pourrait proposer en retour de libérer quelques prisonniers politiques. L'intérêt est de préserver la crédibilité des services secrets cubains vis-à-vis de leurs autres agents en leur montrant qu'ils ne les laissent pas tomber quand ils se retrouvent dans l'adversité.