Corée du Nord : un problème difficile à appréhender
Alain RODIER
Le 25 mai 2009, la République populaire démocratique de Corée (du Nord) a été à l'origine d'un véritable cataclysme politico-médiatique[1] en se livrant à un essai nucléaire que les experts internationaux ont jugé réussi. Cette expérience a été accompagnée, avant et après, par des tirs de missiles. Le tollé international a été général et la presse a fait ses choux gras de la possibilité du déclenchement d'une nouvelle guerre de Corée. En effet, le ministère nord-coréen de la Défense a déclaré que « notre armée n'est plus liée par l'accord d'armistice étant donné que les Etats-Unis ont fait entrer les pantins (la Corée du Sud) au sein de la PSI ». La Proliferation Security Initiative est destinée à lutter contre la prolifération d'armes de destruction massive en surveillant initialement les transports maritimes. Cette initiative a été signée par 91 pays. La Corée du Sud vient d'y accéder officiellement après le test nucléaire de mai 2009.
Le problème vient dy fait que très peu d'informations fiables circulent à propos de ce qui se passe exactement au sein de la dictature marxiste-léniniste nord-coréenne d'un autre âge. En effet, le régime communiste pur et dur en place à Pyongyang ne laisse rien filtrer en dehors des informations de propagande qu'il concocte lui-même. Le cloisonnement et la culture du secret sont si importants que les rares défecteurs qui parviennent à rejoindre le monde libre ont peu de choses à raconter. Aussi, les Etats-Unis sont-ils obligés de s'en remettre aux moyens techniques de renseignement : écoutes des communications, photos satellitaires, etc. C'est ainsi qu'ils ont pu localiser le lieu de l'expérience nucléaire (situé au nord de Kilju) et estimer sa puissance à environ 20 kilotonnes. Cette information a été confirmée par Moscou.
Cependant, en matière de renseignement, les sources techniques sont loin d'être suffisantes. Elles doivent être complétées par le renseignement humain qui permet de sonder les intentions des dirigeants adverses. Et ce dernier fait cruellement défaut en Corée du Nord. Même les services japonais – dont une des missions prioritaire est la surveillance de la Corée du Nord qui est considérée comme la menace la plus directe pour l'Etat nippon – se sont fait totalement surprendre par l'essai nucléaire et la série impressionnante de lancements de missiles.
Le résultat est là : les autorités mondiales sont dans le brouillard et ne parviennent pas à vraiment découvrir le « pourquoi ? », ni surtout, à imaginer ce que pourrait être la suite des événements. Les intentions de Pyongyang restent absolument imprévisibles ! Personne ne sait réellement quelle attitude il convient d'adopter en face de cet Etat. Une seule certitude, la politique des négociations entamée par le groupe des six (Chine, Japon, Corée du Sud, Corée du Nord, Russie et Etats-Unis) semble avoir totalement échoué.
Quels sont les rares éléments tangibles ?
Kim Jong Il, le « cher dirigeant » (widaehan ryongdoja) n'est pas en bonne santé. Il aurait subi une attaque cérébrale à l'été 2008 qui l'a obligé à ne pas apparaître sur le devant de la scène durant plusieurs mois. En conséquence, certains analystes estiment qu'il serait en train de préparer sa succession. Si c'est le cas, dans le plus pur style nord-coréen, cela devrait se passer en famille.
Kim Jong Il a trois fils. L'aîné, Kim Jong Nam (né en 1971) paraît avoir perdu les faveurs de son père après qu'il ait été surpris au Japon en 2001 avec un passeport dominicain. Toujours selon Kim Jong Il, le second fils, Kim Jong Chol né en 1981, n'aurait pas la carrure nécessaire[2]. Il ne reste plus que Kim Jong Un, le benjamin né en 1983. Ce n'est peut-être pas un hasard s'il vient d'être nommé au sein de la puissante Commission nationale de Défense (en même temps que son beau-frère Jang Song Thaek) que préside son père. Kim Jong Il a également une fille, Kim Sul-Song née en 1974, mais elle semble jouer un rôle négligeable sur la scène nord-coréenne. Le leader nord coréen a eu une épouse et trois maîtresses « officielles ». Son épouse et ses deux premières maîtresses sont décédées de « mort naturelle » (dont une à Paris).
L'option « successorale » reste toutefois rassurante. Il en existe en effet une autre qui est beaucoup plus inquiétante : si Kim Jong Il se sait condamné, il pourrait avoir décidé de ne pas « partir seul ». En effet, le peu que l'on connaît du personnage laisse dubitatif quant à sa santé mentale. Cette hypothèse n'est malheureusement peut-être pas à écarter. Sa mégalomanie peut le conduire à sacrifier son peuple. Dans quelle mesure ses collaborateurs directs sont-ils prêts à le suivre dans cette option suicidaire ? Tout est dans cette question dans la mesure où les services de renseignements occidentaux ne savent même pas réellement qui sont ses proches :Cho Myong-Nok, le chef du bureau politique de l'armée populaire, Yi Yong Mu, le vice-maréchal de l'armée populaire, O Kuk Ryol, le chef des opérations du parti, Ri Yang-ho, le chef d'état-major de l'armée populaire, etc ?
L'armée nord-coréenne est puissante en effectifs[3] et en matériels qui, s'ils sont majoritairement obsolètes, n'en sont pas moins efficaces, surtout s'il sont employés lors d'une première frappe avec un esprit de sacrifice suprême. Les Coréens sont des soldats de tout premier ordre[4]. Ils sont surnommés les « Prussiens de l'Asie ». Fanatisés, les légions du nord peuvent très bien mettre à feu et à sang la Corée du Sud en l'écrasant sous des bombardements d'artillerie classiques et, plus grave encore, chimiques et bactériologiques. Toutes les grandes villes sud-coréennes sont à portée de l'artillerie sol-sol qui regroupe la plus importante concentration de canons de la planète : plus de 10 000 pièces d'artillerie sans compter les batteries de missiles sol-sol.
En ce qui concerne le nucléaire, la Corée du Nord possède assez de matière fissile pour fabriquer au moins de six à dix armes. A la mi-2009, il est vraisemblable qu'aucune charge n'a encore pu être assez miniaturisée et durcie pour être adaptée sur une tête militaire qui pourrait être installée sur un missile. En effet, le chemin est long entre l'explosion expérimentale d'un engin nucléaire aux dimensions impressionnantes (généralement aux alentours du m3) et son adaptation opérationnelle sur un vecteur. Cependant, les ingénieurs nord-coréens qui ont été aidés dans le passé par les Pakistanais sont capables de prodiges. Il est probable qu'il leur faille que quelques années (de deux à cinq ans) pour parvenir à constituer une force nucléaire militaire opérationnelle.
Un des objectifs important de Pyongyang semble être l'année 2012, le 100e anniversaire de la naissance de Kim Il-sung (le « grand dirigeant »), le fondateur de la République populaire démocratique de Corée. En effet, les autorités ne cessent de clamer qu'elles comptent alors être une « grande puissance » reconnue par le monde entier, au même titre que les autres nations dotées officiellement de l'arme nucléaire. Cette reconnaissance internationale souhaitée permettrait au régime en place d'être légitimé et ainsi d'avoir plus de chances de perdurer. Dans l'opinion des dirigeants, la puissance militaire en est le seul réel garant.
La personnalité de Kim Jong Il
Pour le moins, la personnalité de Kim Jong Il est complexe. Selon ses biographes, il serait né en 1941 ou 1942. Cultivé, il entretient une véritable passion pour le cinéma. Il détiendrait plus de 20 000 films dans sa vidéothèque personnelle. Il apprécierait au plus haut point les films de kung fu, les séries de James Bond, de Rambo et de Godzilla ! Parallèlement, il entretiendrait quatre troupes de jeunes danseuses. Il aurait des goûts de luxe, particulièrement dans le domaine culinaire. Il est animé, exactement comme son père, d'une véritable phobie à l'égard des voyages en avion, préférant se déplacer dans son train blindé.
A l'été 2008, il aurait été victime d'une attaque cérébrale. Sa première réapparition officielle date du 9 avril 2009 lors de la séance inaugurale de l'Assemblée populaire suprême de Pyongyang. Certains experts prétendent qu'il est également atteint de diabète et qu'il est sujet à des problèmes cardiaques.
Complexé par sa petite taille (il porte des talonnettes et sa coiffure est destinée à le faire paraître plus grand), paranoïaque comme tous les dictateurs, imbu de sa personne, Kim Jong Il présente toutes les caractéristiques de la personnalité névrotique imprévisible et fermée à tout raisonnement cartésien. Dans d'autres circonstances, il aurait pu été enfermé dans des quartiers de haute sécurité d'établissements psychiatriques pour démence dangereuse.
La prolifération nucléaire, un réel danger ?
La Corée du Nord sera à terme une puissance nucléaire à part entière et influera sur les équilibres stratégiques régionaux. Et comme son dirigeant actuel frise la folie profonde, le risque le plus important reste celui de la prolifération. En effet, dans un premier temps, la Corée du Sud et le Japon qui sont à portée des armes nord-coréennes vont se trouver en droit de se doter d'armes de dissuasion afin de parer à une première frappe éventuelle. En effet, il est peu probable que le « bouclier américain » soit ressenti comme une garantie suffisante par les populations, et surtout, par les responsables politiques locaux.
Plus grave encore, la Corée du Nord est acculée financièrement. Elle cherche désespérément des fonds pour nourrir sa population mais aussi pour augmenter son potentiel militaire. Aussi, Pyongyang peut être tenté de monnayer au prix fort sa technologie nucléaire militaire, et pourquoi pas, de vendre une ou des armes à un acquéreur fortuné. Les regards se tournent immédiatement vers les mouvements terroristes comme Al-Qaida dont les moyens peuvent être conséquents.
La chute du régime de Kim Jong Il ne peut venir que de l'intérieur. Malheureusement, elle n'est pas prévisible. En effet, le caractère coréen est difficilement appréhendable pour un Occidental. Généralement, ils sont très fiers et d'une susceptibilité extrême : ils ne peuvent tolérer aucune intervention extérieure, aussi bien intentionnée qu'elle fusse. Par contre, ils sont prêts à s'entredéchirer, parfois pour une vétille. C'est peut-être ce qui pourrait arriver.
A court terme, il y a toutefois un élément rassurant : la surveillance américaine n'a pas détecté de mouvement anormal des troupes nord-coréennes qui pourraient constituer un prélude à une action offensive dirigée contre la Corée du Sud. Affaire à suivre …
- [1] Une première expérience avait eu lieu dans les mêmes conditions le 9 août 2006. Mais, selon les informations obtenues à l'extérieur de Corée du nord, il semble que cela avait été un échec cuisant.
- [2] Son père le trouverait même un peu trop efféminé !
- [3] Plus d'un million d'hommes sont en permanence sous les drapeaux dont 950 000 rien que pour l'armée de terre.
- [4] Qu'ils soient du Nord comme du Sud, encore que ces derniers aient été progressivement gagnés par un certain laxisme occidental.